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L’élection présidentielle sous l’ombre portée de la crise de l’euro

janvier 2012

#Divers

La campagne présidentielle est surplombée par l’incertitude économique européenne. Celle-ci risque d’encourager chez les candidats une stratégie de prudence et de flou. Pourtant, le débat politique sur les choix à faire concernant la dette et les choix européens de la France est plus que jamaisnécessaire.

Jamais, dans l’histoire de la Ve République, un scrutin présidentiel n’avait été autant surdéterminé. Les programmes des candidats et leurs affrontements négligent cet état de contrainte qui vide la compétition d’une part de son contenu. Le décalage entre le discours et les exigences de la période était sensible dès les primaires. Il s’est aggravé depuis avec l’approfondissement des crises. La priorité de tout gouvernement français en juin 2012 sera de traiter ces crises et de mettre au panier la littérature électorale.

Une double crise qui surplombe le débat

Commençons par la crise de l’endettement. La France est dans la situation d’un particulier qui, depuis de longues années, dépense plus qu’il ne gagne et ne cesse de s’endetter en dépit des admonestations reçues et des engagements pris. Ses créanciers ont pris peur et imposent sa mise sous tutelle jusqu’au moment où il aura remboursé. Il peut hurler contre la « dictature » de ses créanciers et les tourments qu’il subit, rien n’y fera : il devra se serrer la ceinture et payer. C’est la situation de la France, sauf qu’il ne lui est pas demandé de tout rembourser mais seulement de réduire sa dette à 60 % de son Pib.

La France n’est plus un être majeur et autonome disposant de tous ses droits, elle est devenue, pour un temps, dépendante. Son Parlement ne peut plus voter librement son budget. Les promesses financières des candidats à la présidence sont autant de chèques sans provision.

Cette période de mise sous tutelle pourrait être courte, car l’effort à faire est limité par rapport à ceux consentis par d’autres pays développés (une quarantaine de milliards pour l’État, la Sécurité sociale et les collectivités locales). Malheureusement, elle pourrait se prolonger du fait d’une très faible croissance potentielle résultant d’une désindustrialisation plus marquée que chez nos voisins et d’une perte de compétitivité, alors que certaines dépenses progressent de façon quasi mécanique (retraites, santé). Le risque de rechute est élevé.

Il faut insister sur les causes structurelles. La crise de nos finances publiques est un symptôme de notre perte de compétitivité, mesurée par le déficit record et croissant de notre balance des paiements. Ce déficit croissant, associé à une croissance très faible, est un indicateur clair : la France vit au-dessus de ses moyens. Il lui faut produire plus pour réduire sa dépendance.

La seconde crise, celle de l’euro, complémentaire de la première, s’est amplifiée, prenant la forme d’une spirale de défiance dont on ne voit pas la fin. Elle paralyse notre vie économique et politique. Le plus inquiétant, c’est qu’aucune des solutions possibles n’apparaît plausible pour l’instant.

La sortie « par le haut » passe par une mutualisation partielle de la dette, combinée à une régulation budgétaire et financière commune. Concrètement, cela veut dire des eurobonds, une Banque centrale européenne intervenant en dernier ressort, des transferts budgétaires et une surveillance budgétaire et financière au niveau européen. Les conditions politiques et juridiques d’une telle avancée de l’Union européenne ne semblent pas réunies actuellement. Dans chaque pays, la crise accroît la tentation du repli sur soi. Et les délais nécessaires à de nouveaux traités, plusieurs années, sont incompatibles avec l’urgence de la situation.

La sortie « par le bas » est le démantèlement au moins partiel de la zone euro. L’opération est si complexe et incertaine que personne n’est capable de décrire ce qui se passerait1. Progressivement, dans chaque État, des outils essentiels de régulation des flux financiers ont été supprimés : réglementation des mouvements de capitaux et contrôle des changes. Il est impossible de les recréer en un jour. De plus, la sortie de la zone n’est prévue par aucun texte. Une procédure serait à inventer, ce qui prendrait quelque temps. C’est alors que se déchaînerait une spéculation massive et contagieuse asséchant les banques et engendrant une cascade de faillites. Déjà les Grecs accumulent les euros en cash et les dépôts dans les banques grecques ont significativement baissé. La « sortie par le bas » n’est pas simplement une opération technique comparable aux dévaluations d’antan. C’est un big bang, un changement radical de notre univers économique et financier. Certes, ce nouvel univers peut se révéler vivable à terme, voire bénéfique. Reste à supporter le choc initial.

Existe-t-il des solutions moyennes ? Nos gouvernements le croient et ils ont proposé, voire mis en place de nouveaux dispositifs (le Fonds européen de stabilité financière, les achats de dettes par la Bce). Cela n’a pas suffi à convaincre les marchés. Existe-t-il d’autres « solutions moyennes » permettant le retour à la stabilité, au moins pour un temps ? Ce n’est pas impossible, dans la mesure où le problème est en partie psychologique et où un retour à la confiance peut être rapide. Il suffirait que les marchés concentrent leur tir contre un autre débiteur massif, les États-Unis.

Néanmoins, c’est peu probable, notamment parce que la confiance implique une unité de commandement. Or il existe toujours une demi-douzaine de personnes dans la cabine de pilotage européenne. À tout moment, une erreur de pilotage (ou la « révolte d’un pays contre la rigueur ») peut provoquer une « sortie par le bas » alors que personne ne l’a vraiment souhaité.

Cette seconde crise passe très au-dessus de la tête des candidats. Ils n’ont pas de prise sur les événements. Et même le président français parle plus qu’il ne pèse sur le cours des choses. Son talent n’est pas en cause, mais la voix d’un pays sous quasi-tutelle financière n’est guère entendue. Ce talent sera-t-il suffisant au point que le changement de pilote au milieu de la tempête soit perçu comme un risque dangereux ? Les élections récentes en Espagne montrent que l’argument ne suffit pas à dissuader l’électeur de sortir les sortants.

Le candidat et le discours de la responsabilité

Comment le candidat de la gauche doit-il se comporter ? Les sages diront : en minimisant la crise, en restant flou, et en tentant de faire rêver les poches vides et percées. Pour les professionnels sages, toute autre attitude serait suicidaire. Mais dans une période folle, les sages ne sont-ils pas les fous ? « Faire comme si » présente des risques considérables : inciter à l’abstention, favoriser les extrêmes (Marine Le Pen et Mélenchon), préparer une crise majeure pour le jour où, en cas de succès, il faudra gouverner.

François Hollande a conscience de la difficulté, il annonce la rigueur et a retardé l’explicitation de son programme. Compte tenu de la fluidité de la situation, il a eu raison. Pourra-t-il en janvier aller plus loin, expliquer qu’un programme détaillé n’a pas sa place dans un contexte aussi instable et dangereux, et s’en tenir à une méthode et à des priorités ? Le discours le plus adapté aux circonstances est actuellement celui de François Bayrou. Il constate que des « États aveugles et laxistes ont accepté une dette insoutenable » qu’il faudra rembourser. Il insiste sur « l’hémorragie cataclysmique du commerce extérieur et la nécessité de se remettre à produire ». Il prône la « sortie par le haut » en acceptant les contraintes qui en résulteront. Il considère que comme en 1945 un parti, seul, ne pourra gouverner2. Mais la crédibilité d’un candidat isolé qui s’est enfermé dans un jeu personnel est très faible.

Tous les éléments de programme doivent au minimum être revus et subordonnés à la sortie du gouffre ; par exemple, une nouvelle étape dans la décentralisation n’est pas prioritaire (car dans un premier temps, elle coûte).

La seule voie réaliste ouverte au candidat de la gauche est de se comporter en homme d’État et d’échapper aux agitations du jour et au diktat des communicants. L’homme d’État évitera les facilités et ne sera pas à la recherche de boucs émissaires – les marchés, les banques, la chancelière… Il sait que dans la situation où notre pays s’est mis, il aura besoin de l’appui des autres. Il combattra le président en place sans faiblesse mais sans excès, sachant que la critique excessive pourrait rapidement se retourner contre le nouveau président.

Il fera œuvre pédagogique, expliquant les enjeux et la situation exacte où se trouve la France, avec sérénité mais sans complaisance. Il proposera sans catastrophisme sa vision de la mondialisation et de la place de la France dans un monde dont les équilibres changent avec une rapidité stupéfiante.

Ses mots clés pourraient être ceux qu’utilise Mario Monti : « Rigueur, croissance, équité. »

Sur la « rigueur », si l’objectif doit être précis, le calendrier importe : décisions rapides et douloureuses mais mise en œuvre étalée dans le temps, l’objectif étant à la fois d’être pris au sérieux par les marchés et d’obtenir du temps pour un retour à l’équilibre. Les perspectives de croissance se situeront dans une vision longue, celle du développement durable. Le plus urgent est d’accroître notre compétitivité et de réindustrialiser par des mesures structurelles (Pme, formation, recherche, énergie). L’équité, elle, concernera d’abord les jeunes et les chômeurs, dont le nombre va croître dans les prochains mois, ce qui passe par une réforme fiscale et une redistribution des transferts sociaux.

Enfin, l’homme d’État doit réfléchir, sans forcément se découvrir, à l’après. Si le scénario catastrophe se réalise, le seul gouvernement des socialistes (appuyé mollement par les Verts) n’est pas adapté à une situation aussi exceptionnelle. Les élus d’un seul parti soumis à réélection peuvent difficilement assurer seuls une telle tâche. Il faut réfléchir à l’impensable, à l’Union nationale (ou au moins à l’élargissement de la majorité) ou à un gouvernement de technocrates, avec des limites dans le temps, et le recours à des procédures exceptionnelles comme les ordonnances, comme avait fait le général de Gaulle en 1958 pour rétablir la situation économique.

Le fonctionnement de la démocratie française est perturbé par l’accumulation des erreurs commises et par le désordre international. L’objectif est de revenir à des conditions normales de l’exercice du jeu démocratique. Pour y parvenir, le pragmatisme est nécessaire.

François Hollande cache-t-il un homme d’État sous l’apparence d’un aimable candidat et est-il prêt à se découvrir avant l’élection ? Puisse-t-il se ménager toutes les éventualités ; par exemple en s’abstenant de déclamer contre les gouvernements de technocrates à la Monti (démocratiquement investi par le Parlement) ou les centristes de diverses obédiences.

L’intérêt de Berlin passe par l’Europe

Selon la politique décidée à Berlin, notre élection présidentielle se présentera sous un jour différent. Imaginons une seule hypothèse, qui faciliterait la tâche de nos candidats. L’Allemagne se mue en puissance bienveillante et apporte les clés de la solution à la crise de l’euro. Elle en a les moyens. La chancelière deviendra-t-elle un nouveau général Marshall, faisant sien le devenir de l’Europe ? Les États-Unis ont compris en 1947 qu’ils ne pourraient développer leur industrie et leurs exportations sans des clients en bonne santé. Les Allemands pourraient faire le même raisonnement en 2012, abandonnant la sage attitude adoptée depuis 1950, qui consistait à se mêler le moins possible des affaires des autres. La médiocrité de leurs perspectives conjoncturelles conduit à une prise de conscience plus exacte de leurs responsabilités qui débouche sur plus de coopération et plus de générosité. Depuis deux ans, leur discours et leur politique ont déjà fortement évolué. Ils prennent conscience qu’une Allemagne riche dans une Europe qui s’appauvrit n’est pas une perspective tenable.

Le vaincu de 1945 prendrait la place du vainqueur et la France pourrait être admise dans son camp à condition d’être à la fois rigoureuse, modeste et efficace, et d’utiliser ses cartes politiques. Seule la France (avec, accessoirement, la Pologne) peut réduire les critiques face à la montée d’une « Europe allemande ». Sans la caution de la France, une phobie anti-allemande gagnera la plus grande partie de l’Europe.

Les nécessités nationales – alléger la charge de la dette et accroître notre compétitivité – ne changeront pas. Le contexte sera seulement plus favorable. L’exigence de vérité subsistera.

Le candidat de la gauche de gouvernement saura-t-il reconnaître que le sort de notre pays est hypothéqué et qu’un redressement comparable à celui qui a suivi la Libération est la seule voie possible ? Pourra-t-il obtenir la confiance de nos concitoyens et leur redonner confiance sur de telles bases ? Tel est l’enjeu des prochains mois.

  • *.

    Ancien commissaire au Plan, ancien président de la Coface. Voir ses précédents articles dans Esprit, notamment « Nicolas Sarkozy et les réformes », mars-avril 2010 et « La crise de confiance dans l’Europe », juillet 2010.

  • 1.

    Voir Pierre-Yves Cossé, « Sortie de l’euro : un scénario catastrophe », Esprit, mars-avril 2011.

  • 2.

    François Bayrou, « Pour redresser le pays, il faut se remettre à produire en France », La Tribune, 30 novembre 2011.