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Après Villiers-le-Bel : « Quand on veut expliquer l’inexplicable… »

janvier 2008

#Divers

Dimanche 25 novembre deux adolescents, Mouhsin et Larimi, circulant sans casque à vive allure sur une mini-moto, heurtent rue Louise-Michel à Villiers-le-Bel une voiture de police qui patrouillait. Ils meurent sur le coup. Sur les photographies de presse, on voit une moto de cross à terre, presque intacte et, en arrière, une voiture dont l’avant est complètement défoncé, le pare-brise étoilé. Énigme !

Pendant trois nuits, dans les rues des cités de Villiers-le-Bel des affrontements très violents mettent aux prises la police et les jeunes. Dimanche soir, un policier reçoit dans l’épaule une balle de gros calibre, un commissaire est roué de coups et doit être hospitalisé pour de multiples fractures. Dans la seule nuit de lundi à mardi, soixante-dix-sept policiers vont être blessés, dont six grièvement. Les émeutiers lancent des pierres, des pavés, des cocktails Molotov mais ils tirent aussi avec des chevrotines de chasse et des pistolets à grenaille. Des armes de poing ou des armes de guerre ont même pu être utilisées1. De son côté, la police a déployé d’énormes moyens – 1 000 policiers étaient mobilisés mardi 27 novembre, les Crs ont été renforcés par des hommes de la brigade anticriminalité (Bac) et par des unités du Raid. Malgré ce déploiement, plus d’une centaine de policiers ont été blessés au cours des trois nuits, l’escalade dans les moyens et le fait que les policiers aient été délibérément visés surprennent les observateurs et les policiers eux-mêmes. Si, lors des émeutes de novembre 2005, les émeutiers ont utilisé dans quelques circonstances des pistolets à grenaille (Grigny) et des boules de pétanque (Évreux), il reste que l’intensité des violences est nouvelle et interroge.

S’agit-il donc d’un remake des nuits de novembre 2005, en plus dur et en plus circonscrit ? Il y a de fortes similitudes : deux adolescents trouvent la mort alors qu’ils se croyaient poursuivis par la police (2005), en heurtant une voiture de patrouille (2007), et dans les deux cas il s’agit de villes pauvres de la région parisienne et les jeunes impliqués sont majoritairement issus de l’immigration africaine ou des territoires d’outre-mer. Toutefois, la gestion des deux crises émeutières a été assez différente, le gouvernement – le président étant en voyage – s’est montré circonspect dans ses premières interventions, calées sur les rapports de l’Ign et les propos du procureur, et n’a haussé le ton et le niveau de la riposte que le troisième jour. En 2005, les déclarations publiques étaient intervenues très vite pour mettre hors de cause une responsabilité policière.

Le contexte social des affrontements de Villiers-le-Bel offre, comme celui des émeutes de 2005, la quintessence de ce qui va mal dans nos banlieues. Villiers-le-Bel est une commune de 23 000 habitants comportant 50 % de logements sociaux, deux cités qui sont classées en zone urbaine sensible (Zus), dont 40 % de la population a moins de 25 ans. Le taux de chômage, de 19 % en moyenne, atteint 30 à 40 % dans les cités. C’est une ville de la grande couronne parisienne enclavée : reliée à Paris par une ligne du Rer (D), elle est mal desservie dans les autres directions, les liaisons avec le pôle d’activité de Roissy sont extrêmement médiocres alors que c’est la zone d’emploi la plus dynamique dans la proximité (75 000 emplois). Elle possède une zone d’activité partagée avec Sarcelles qui n’est pas très attractive et ne reçoit aucune des ressources fiscales liées à l’aéroport. Les communes du Val-d’Oise présentent un peu plus de diversité que celles de la Seine-Saint-Denis, il y a notamment plus d’aisance à Enghien (champs de course) et Montmorency, un certain dynamisme autour de la ville nouvelle de Cergy. Mais au sud, les communes de Sarcelles, Goussainville, Garges-lès-Gonesse, Arnouville-lès-Gonesse et Villiers qui jouxtent la Seine-Saint-Denis sont les plus pauvres, le revenu par unité de consommation (qui traduit le niveau de vie d’un ménage) ne dépasse guère 10 000 à 11 000 euros par an et, dans les quartiers situés en zone sensible, qui composent souvent plus de la moitié de la population de ces villes, il est de 8 000 à 9 000 euros, soit la moitié du revenu moyen en Île-de-France2. Symptomatiquement, en 2001, Montmagny, la seule commune un peu plus aisée de l’agglomération dont fait partie Villiers-le-Bel, a quitté la communauté d’agglomération pour rejoindre Montmorency. Au collège Léon Blum, pour des raisons financières, 50 élèves seulement sur 650 mangent à la cantine. Cette situation est comparable à celle de beaucoup d’autres communes pauvres d’Île-de-France.

Par-delà l’importance relative des difficultés matérielles et du manque de ressources, ce qui constitue le syndrome de Villiers-le-Bel c’est sans doute la ségrégation des habitants des cités, notamment des familles venues d’Afrique noire. Une population autochtone vieillissante s’est installée il y a déjà plusieurs décennies à l’écart dans des pavillons qui sont aujourd’hui rachetés par des Turcs et des Assyro-chaldéens (nombreux dans la ville voisine de Gonesse). Dans ce contexte de forte ségrégation, les derniers migrants et leurs enfants se sentent fortement ostracisés, leurs relations avec la police sont déplorables. L’ennui sourd de la cité et les jeunes ont pris l’habitude de se lancer des défis en moto-cross, en quads et autres engins à moteur. On peut voir sur Daily-motion les films de leurs exploits. En mettant leur vie à l’épreuve, lors de ces joutes motorisées, les jeunes de ces cités expriment tout à la fois l’ennui et le besoin de donner du piment sinon du sens à leur existence. Aujourd’hui à Villiers-le-Bel, les associations sportives (foot, tennis) se sont nettement affaiblies et les associations culturelles ont disparu. De ce fait il y a un déficit de cadre de socialisation. D’une façon remarquable, les associations dynamiques qui se sont développées dans la période récente sont celles des communautés d’origine africaine qui font à la fois de l’accompagnement à la scolarité et des activités de défense des cultures locales. Parallèlement, le déficit démocratique est fort, en dépit du mouvement d’inscription sur les listes électorales, analogue entre 2002 et 2007 à ce que l’on a observé dans le reste du pays. Lors du premier tour de la présidentielle de 2007, le taux d’abstention à Villiers-le-Bel était, avec celui de Stains et de Garges-lès-Gonesse, parmi les plus élevés d’Île-de-France (18 %), le taux de participation au 1er tour de la législative partielle de décembre 2007 a été de 22 % de votants. Une fraction importante de la population reste dépourvue de représentation politique directe.

C’est cette configuration de chômage, de manque de dynamisme de l’emploi local, de ségrégation et d’aliénation politique qui a constitué la toile de fond des dramatiques événements de la fin novembre 2007. De tels événements auraient pu se produire dans d’autres communes comme Garges-lès-Gonesse ou Goussainville, voire Sarcelles dans le Val-d’Oise, ou comme les Mureaux ou Trappes dans les Yvelines3. Le terreau de ces émeutes persiste.

Il est remarquable qu’à la différence des émeutes de 2005 le niveau de la violence a été extrêmement élevé mais aussi que les émeutiers n’étaient pas seulement des gamins sortis du collège ou du lycée professionnel mais aussi de jeunes adultes et que, si une partie de la population a été choquée et déconcertée par la destruction de la bibliothèque du quartier, d’une école maternelle et de plusieurs concessionnaires automobiles (outre les postes de police), une fraction des parents restés dans les appartements pendant les affrontements a manifesté une solidarité active avec les émeutiers en jetant de l’eau pour atténuer l’effet des gaz lacrymogènes. Si l’on a pu écrire que les jeunes émeutiers de novembre 2005, qui venaient de plus de trois cents quartiers en France, étaient seuls c’est d’abord en référence à l’isolement d’une classe d’âge étroite par rapport à ses aînés. En 2007, s’il y a bien eu, en écho, des émeutes dans les communes proches, il n’y a pas eu d’extension large, l’isolement est celui d’un quartier et d’une ville (Villiers-le-Bel) : ni les circonstances de la mort des adolescents ni la violence des affrontements ne permettaient d’extension.

Que faire ? Villiers-le-Bel comme beaucoup de communes bénéficie des dispositifs de la politique de la ville – deux zones urbaines sensibles, La Cerisaie et Derrière les murs de monseigneur ; une convention signée avec l’Agence nationale de rénovation urbaine pour le quartier des Carreaux ; un contrat de réussite éducative. Ces dispositifs, nécessaires, ne produiront des effets positifs qu’à long terme et si, de plus, les solidarités à l’échelon national et régional évitent que ne s’alourdissent les difficultés de la commune par une répartition inéquitable des charges d’accueil des plus démunis. Pour sortir du cercle de la violence, il faudrait que s’ajoute à ces programmes structurels une volonté d’intégration dans la vie politique des populations issues de l’immigration, notamment que les formations politiques présentent dans des positions éligibles des membres des groupes issus de l’immigration récente qui ont acquis la nationalité française. Il faudrait d’urgence restaurer entre la police et les jeunes un respect mutuel faute de pouvoir retrouver dans l’immédiat une confiance dans les institutions (certains prônent des conférences de consensus). Si l’on veut restaurer ce respect il ne convient pas de nier la dimension sociale des émeutes récentes, il n’est pas judicieux de la part du président de la République, de promettre « la cour d’assises à ceux qui ont pris la responsabilité de tirer sur la police ». Quand on veut gouverner sans exclure, il faut, toujours, sans excuser, essayer de comprendre…

  • 1.

    Comment expliquer l’apparition de ces armes ? La recrudescence du trafic de drogues, en particulier du crack au-delà de ses lieux de deal habituels, suscite une augmentation de la circulation des armes déjà assez nombreuses, comme en témoigne le fait que la justice enregistre de plus en plus de blessés par balles à l’occasion de règlement de compte entre trafiquants.

  • 2.

    Le Monde et Libération ont mentionné le chiffre de 6 250 euros par personne, ce qui correspond à un revenu moyen par unité de consommation de 11 000 euros.

  • 3.

    Qui ont en écho connu des incidents. D’ailleurs, comme le souligne Fabien Jobard dans un article publié dans Libération sur l’émeute comme mode d’entrée en politique, il y a environ une dizaine d’émeutes chaque année en France, dans les basses eaux.

Hugues Lagrange

Sociologue, il vient de publier Les Maladies du bonheur (PUF, 2020). Ses travaux ont porté notamment sur la socialisation des jeunes, à travers des enquêtes  sur la violence, l'entrée dans la sexualité, l'usage des drogues, la prostitution, le décrochage scolaire et les récits familiaux de migration. Parmi ses publications précédentes : Les Adolescents, le sexe, l'amour. Itinéraires contrastés (Sy…

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