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Un nouveau départ pour la relation transatlantique ?

L’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis est l’occasion de repenser la relation transatlantique sur de nouvelles bases. Mais elle ne mettra pas fin aux tensions commerciales et aux divergences stratégiques que l’administration Trump a exacerbées.

Le 20 janvier 2021, c’est un homme doté d’une connaissance très fine de l’Europe qui entrera à la Maison Blanche. Le nouveau président des États-Unis est en effet l’un des derniers représentants d’une génération de patriciens de la vie politique américaine dont les liens avec notre continent, tant personnels que culturels, sont extrêmement forts. Ancien président de la puissante commission des affaires étrangères du Sénat, Joe Biden a toujours suivi de près les soubresauts qui ont marqué l’histoire européenne. Lors des guerres qui ont ensanglanté l’ex-Yougoslavie au cours des années 1990 ou, plus récemment, au moment du conflit en Ukraine, il a joué un rôle clé dans la réponse apportée par Washington à ces crises. Le 46e président des États-Unis est donc un homme profondément attaché à la relation transatlantique.

Cependant, ce serait une illusion de penser que l’élection de Joe Biden marquera le retour à une relation transatlantique dépourvue de zones d’ombre et de frictions. Certes, Donald Trump a, par ses excès, son agressivité et sa méconnaissance des enjeux géopolitiques, exacerbé et suscité de multiples tensions entre l’Europe et les États-Unis. Mais de nombreuses divergences stratégiques étaient antérieures à sa présidence et lui survivront. La volonté de l’Amérique de se recentrer sur elle-même, son retrait du Moyen-Orient, l’attention prioritaire accordée à l’Asie par rapport à l’Europe et la volonté de cette dernière de s’affirmer en tant que puissance géopolitique autonome sont des données structurelles avec lesquelles les dirigeants américains et européens doivent désormais composer.

Il n’en demeure pas moins que, dès ses débuts, l’administration Biden incarnera une rupture, tant sur la méthode que sur le fond.

Sur le plan de la méthode, le primat accordé par Donald Trump aux relations bilatérales l’a conduit à souvent marginaliser, voire ignorer l’Union européenne. C’est une approche différente de la relation transatlantique qui sera désormais à l’œuvre. Si les contacts bilatéraux entre Washington et les capitales européennes, en premier lieu Berlin et Paris, demeureront essentiels, l’attachement de Joe Biden au multilatéralisme replacera Bruxelles au cœur du jeu. Par ailleurs, alors que certains gouvernements européens, désireux d’affaiblir la cohésion et l’unité de l’Europe, ont pu trouver un allié de poids à la Maison Blanche pendant quatre années, cette dynamique va également changer. Tout en veillant à ne pas être accusée d’ingérences dans le jeu européen, l’administration Biden exercera une pression discrète mais ferme sur la Hongrie d’Orbán et la Pologne de Kaczyński, afin qu’elles se conforment aux valeurs européennes et au respect de la règle de droit.

Pour affirmer sa foi dans la capacité du multilatéralisme à répondre à nombre de grands enjeux, qu’il s’agisse du changement climatique ou de la gestion de la pandémie actuelle, Joe Biden cherchera à envoyer, dès les débuts de sa présidence, quelques signaux très forts. Dans cette perspective, il est probable que les États-Unis réintègrent rapidement l’accord de Paris sur le climat et reprennent leur place au sein de certains organes onusiens, dont l’Organisation mondiale de la santé et le Conseil des droits de l’homme.

Le nouveau locataire de la Maison Blanche sait que, seuls, les États-Unis ne pourront pas imposer une redéfinition des règles du jeu.

C’est également sur le plan commercial qu’un alignement stratégique plus fort pourra être observé entre Washington et Bruxelles. Deux décennies après l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Européens et Américains s’accordent pour considérer que l’architecture du système commercial international n’est plus adaptée aux défis actuels. Par ailleurs, et contrairement à son prédécesseur, le nouveau locataire de la Maison Blanche sait que, seuls, les États-Unis ne pourront pas imposer une redéfinition des règles du jeu. S’ils veulent contraindre Pékin à mettre fin à ses pratiques commerciales déloyales, que ce soit en matière de transfert forcé de technologies, de barrières non tarifaires ou de non-respect des droits de propriété intellectuelle, les dirigeants européens et américains doivent travailler main dans la main. C’est la condition sine qua non pour espérer apporter une réponse cohérente, efficace et de long terme à l’émergence de la puissance chinoise que les élites américaines, dans un rare consensus bipartisan, perçoivent comme la plus grave menace à laquelle l’Amérique est désormais confrontée.

À cet égard, l’un des premiers items sur l’agenda transatlantique sera, sans nul doute, la question des subventions et des aides d’État. Si les dirigeants européens et américains parviennent à se mettre d’accord sur un corpus de règles pour les encadrer, ils auront en effet franchi une étape cruciale pour mettre fin à la guerre commerciale entre Airbus et Boeing, qui empoisonne depuis trop longtemps la relation transatlantique. À l’heure où le duopole exercé par ces deux sociétés s’apprête à prendre fin avec l’émergence de l’avionneur chinois COMAC, la poursuite de ce conflit serait une erreur stratégique.

Ces axes de coopération ne doivent cependant pas masquer le fait que des tensions commerciales très fortes vont continuer d’apparaître et de miner la relation transatlantique. Elles prendront principalement racine à quatre niveaux.

Tout d’abord, les conséquences sociales et économiques de la crise sanitaire n’ont fait que renforcer, de part et d’autre de l’Atlantique, les tendances protectionnistes en germe depuis plus de deux décennies. Poussé par l’aile gauche du Parti démocrate, Joe Biden n’a d’ailleurs pas hésité à faire campagne sur le thème du « Buy American ». Dans ce contexte, il est peu probable que les dirigeants européens et américains veuillent user de leur capital politique pour relancer des négociations sur un grand accord commercial transatlantique.

C’est ensuite la volonté européenne de mieux réguler les géants du numérique, tant sur le plan fiscal qu’en matière de droit de la concurrence ou d’exploitation des données, qui risque de susciter des discussions tendues entre Washington et Bruxelles. Si des voix s’élèvent également aux États-Unis pour appeler à un meilleur encadrement de la Big Tech et repenser la législation antitrust, l’agenda législatif européen risque cependant d’être perçu par l’administration Biden comme une forme de protectionnisme déguisé de la part d’un continent qui a, jusqu’à présent, été incapable de faire émerger des entreprises à même de rivaliser avec les géants américains.

Dans le champ de la lutte contre le changement climatique, il est indéniable que la politique défendue par le nouveau président américain sera beaucoup plus alignée avec les ambitions affichées par les Européens, notamment dans le cadre du pacte vert pour l’Europe. Néanmoins, des mesures telles que la taxe carbone aux frontières de l’Union européenne, ou les tentatives de l’Europe d’imposer, via sa diplomatie commerciale, ses standards environnementaux au reste du monde, pourraient être vivement combattues par une Amérique désireuse de préserver la compétitivité de ses entreprises.

Enfin, l’extraterritorialité du droit américain – en particulier en matière de sanctions économiques – demeurera un sujet de tensions aiguës. Si l’administration Biden décide la reprise des négociations avec l’Iran et le retour à une politique d’ouverture à l’égard de Cuba, certaines sanctions américaines pourraient être levées. Il n’en demeure pas moins que nombre d’entreprises européennes demeureront sous la menace de celles-ci.

Dans ce contexte, et alors que Washington ne peut plus compter sur Londres pour altérer certaines orientations de l’agenda européen qu’il juge contraires à ses intérêts, l’administration Biden cherchera de nouveaux points d’appui, notamment en Europe du Nord, afin de faire contrepoids à l’axe Paris-Berlin. À cet égard, les Pays-Bas, qui ont récemment endossé l’habit de chef de file des « frugaux », et ont toujours exprimé un attachement très fort à l’alliance transatlantique, pourraient être vus comme un partenaire clé par les États-Unis. Il en va également de la Suède qui a, par ailleurs, annoncé récemment un renforcement substantiel de son budget et de ses capacités en matière de défense. À la Maison Blanche, où les présidents successifs accusent régulièrement l’Europe de ne pas faire assez pour assurer sa propre sécurité, ce geste n’est pas passé inaperçu.

Alors que l’Europe et les États-Unis n’ont pas d’autre choix que de travailler ensemble pour faire face aux menaces et défis auxquels ils sont confrontés, l’élection de Joe Biden ouvre une ère de nouveaux possibles pour la relation transatlantique. Les dirigeants européens et américains devront néanmoins faire preuve de courage politique et de vision stratégique, notamment dans le choix de leurs axes de coopération, s’ils veulent éviter que les tensions ne reprennent très vite le dessus.

Jérémie Gallon

Jérémie Gallon est directeur général pour l’Europe du cabinet de conseil géopolitique McLarty Associates. Il enseigne également les questions internationales à Sciences Po.

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