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Entre diplomatie de puissance et diplomatie des valeurs. Chantiers de politique extérieure

novembre 2007

Chantiers de politique extérieure

Traité simplifié, Darfour, Liban, Iran… : le nouveau président n’a guère attendu pour s’imposer sur la scène internationale. Même s’il met l’accent sur la défense des « valeurs », les continuités des traditions et les intérêts bien compris ne sont pas oubliés. Faut-il y voir une influence atlantique, au risque que la France affaiblisse sa propre partition à l’international ?

Il est bien sûr trop tôt pour prendre la mesure des orientations de politique étrangère de la France depuis l’élection du président Sarkozy. Trop tôt, surtout, pour juger des options de la « rupture » qui pourraient se profiler ici, comme elle est censée prévaloir en politique interne. Les contraintes propres à l’action extérieure imposent de tenir compte de cadres et de constantes difficiles à surmonter d’emblée. Néanmoins, la chaleur soudaine des relations franco-américaines, soulignées par une rencontre au sommet avec le président Bush autant que par les vacances américaines du président Sarkozy, la volonté affichée de revoir les rapports avec l’Otan dans le sens d’une plus grande intégration, la similitude des attitudes dans le dossier iranien augurent de changements possibles dans les positions traditionnelles de la diplomatie française. À défaut de coupures radicales, une lente révision des orientations de l’ordre gaullo-mitterrandien est probablement à l’œuvre dans plusieurs dossiers. Pour le moment et hors les indicateurs, réels, d’évolution, évoqués ci-dessus, la rupture est plutôt perceptible dans le ton, les approches ainsi que dans le positionnement du président de la République sur la scène extérieure. Elle l’est aussi dans la répartition, intéressante à relever, des dossiers entre la présidence de la République et le titulaire du ministère des Affaires étrangères et européennes et dans le « parler vrai » revendiqué par Bernard Kouchner.

Une présence rapide sur des dossiers visibles

La diplomatie française a été active dès les premiers mois de la nouvelle présidence. Si le sarkozysme a pu être défini sur le plan de la politique intérieure par une omniprésence médiatique mais aussi institutionnelle du président de la République, sa prééminence et son rôle dans nombre de dossiers de politique extérieure sont également incontestables. De plus, avec l’arrivée de Bernard Kouchner comme ministre des Affaires étrangères, l’allure imprimée à l’action extérieure est d’autant plus marquée par la personnalisation. Plus globalement et essentiellement, c’est la rapidité vorace avec laquelle la diplomatie française s’est présentée sur un certain nombre de dossiers qui frappe.

Le marathon diplomatique mené avec Angela Merkel réussit à sortir le traité constitutionnel européen de l’impasse et à le requalifier en traité simplifié ; le dénouement en forme de Happy End de la douloureuse affaire, si controversée, de la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien détenus en Libye ; la spectaculaire relance d’un dossier immobilisé, celui du Darfour, après la réunion diplomatique de Paris au mois de juin, en présence de la secrétaire d’État américain ; la réunion interlibanaise de La Celle-Saint-Cloud les 14 et 15 juillet, elle-même précédée d’une visite au Kosovo qui permet à Bernard Kouchner de s’intéresser à nouveau à un dossier qu’il connaît bien et qui visiblement lui tient à cœur : la machine diplomatique s’est mise en marche à toute vitesse. Ses résultats ne sont, d’ores et déjà, pas négligeables. La relance de la négociation européenne est effective. Au Darfour, la voie est enfin ouverte pour l’adoption au Conseil de sécurité d’une nouvelle résolution (1769), décisive, le 31 juillet, qui crée une force hybride Onu/Union africaine. Les Casques bleus seront près de vingt-six mille. Américains et Français se montrent déterminés à hausser le ton en dépit de la défense au Conseil de sécurité des positions de Khartoum par la Chine, l’Indonésie et le Qatar.

Au Liban : à défaut de pouvoir résoudre une crise inextricable et de mettre fin aux attentats meurtriers contre les représentants du courant souverainiste libanais, la reprise de la guerre et l’escalade de la violence furent gelées largement grâce aux médiations successives de Bernard Kouchner et aux émissaires du Quai d’Orsay. Dans l’affaire libyenne, des considérations d’ordre intérieur et le rôle d’émissaire spéciale du président de la République dévolu à l’épouse du chef de l’État ont alimenté une querelle interne. En réalité, le dossier, plus complexe encore, associe un État étranger, le Qatar, dans le coup de pouce financier de la résolution de la crise et une signature d’accords, notamment en matière d’armements. Quoi qu’il en soit du questionnement, légitime en démocratie, sur les tenants et les aboutissants d’une négociation opaque, force est de constater que le rapprochement opéré par Paris avec une Libye sortie de l’isolement dans laquelle elle était tenue, est une démarche qui reste largement en retrait par rapport à la normalisation des relations commerciales, militaires ou politiques et à l’aide au renforcement des capacités militaires libyennes effectuées sans états d’âme par les États-Unis, la Grande-Bretagne ou même l’Italie. Il est vrai également que le dénouement de l’affaire des infirmières bulgares ne tient pas à la seule implication de dernière minute de la France, même s’il était tentant pour une diplomatie communicationnelle de présenter les choses ainsi. Les pourparlers entre la Libye et l’Union européenne étaient déjà bien entamés. Une communication de crise habile, une finalisation des détails de la négociation et surtout un montage diplomatico-financier auront néanmoins permis que soit conclu un accord où la France est apparue comme l’indispensable médiateur capable de mettre en rapport les éléments hétérogènes de la solution.

À elle seule, l’affaire libyenne résume les facettes et les dimensions de l’action diplomatique voulue par Nicolas Sarkozy pour la France. Elle est, en effet, une diplomatie du réalisme qui tend à marquer des points sur le plan stratégique, prend acte et accompagne des changements politiques majeurs (tel le « retournement » de la Libye après la fin de son contentieux international suite à l’affaire de Lockerbie), et ne dédaigne pas de s’ouvrir des marchés. Elle est également une « diplomatie des valeurs », soucieuse de la promotion des droits de l’homme et des libertés. Le dossier libyen se prêtait à souhait à ce double traitement en raison de l’imbrication d’une question proprement humaine et de protection des personnes avec l’attrait d’une négociation financière et commerciale.

Sur d’autres terrains, les dossiers sont mieux identifiés. Au Kosovo et au Darfour, « la responsabilité de protéger » joue de manière plus libre, permettant à une diplomatie centrée autour des droits de l’homme, de la reconstruction ou de l’offre de médiation de se déployer comme diplomatie d’État. Le voyage spectaculaire effectué par Bernard Kouchner en Irak, en août dernier, est à cet égard significatif. S’il inaugurait un tournant par rapport à l’attitude de retrait prise par la France depuis le discours de Dominique de Villepin au Conseil de sécurité des Nations unies en 2003, à la veille de la guerre contre l’Irak, le voyage surprise de Kouchner n’avait pas, bien entendu, pour intention d’acquiescer à la politique américaine dans ce pays. Le ministre français rappelle, dans une tribune du 27 août dans Libération, que la France n’a pas pris part à l’intervention en Irak mais que « nous sommes les alliés, parfois difficiles, des Américains – comme le sont les vrais amis ». Dans les faits, Bernard Kouchner entend mettre en œuvre en Irak une diplomatie de « l’écoute » semblable à celle utilisée au Liban, une diplomatie de la « médiation », dans l’aide à la formation d’un gouvernement d’union nationale, bref une diplomatie du « nouveau regard », du Fresh Look pour reprendre ses termes dans Libération. La France, écrit-il, vient offrir « une nouvelle approche au service de la paix » inscrite dans la perspective du retour de l’Onu dans ce pays.

La puissance et les valeurs : continuité et inflexions

De manière générale, le mariage du réalisme et du droit est ancré dans le nouveau discours de politique étrangère de la France. C’est un équilibre intéressant dont il faudra observer l’évolution dans la pratique. Il pourrait correspondre, en première approche, à une division du travail diplomatique entre des dossiers classiques où se jouent des équilibres et des projections de puissance (négociation européenne, franco-américaine, franco-russe…) et des dossiers qui illustrent et défendent des lignes d’affirmation symbolique de valeurs et de propositions de résolution des conflits, centrées notamment autour d’aménagements de pouvoir pour les minorités (Liban, Soudan, Irak, et Kosovo dans le cadre, toutefois, de l’indépendance voulue pour ce pays par la France). Pour ces dossiers du deuxième type, la sensibilité propre à l’action du ministre des Affaires étrangères trouve naturellement un champ de déploiement spécifique. Une notoriété acquise dans l’action humanitaire se met ici au service d’une politique des droits de l’homme et d’une diplomatie de résolution des crises. L’apport d’expertise est alors patent de même que le bénéfice en termes de promotion des valeurs, de défense des droits et d’image pour la France. Toutefois, pour la cohérence et l’unité de la diplomatie, les contraintes politiques de l’exercice sont ses limites. La proximité avec des élites locales, comme en Afrique (on a pu percevoir les critiques émises à l’encontre de la récente visite du nouveau chef de l’État au Gabon), une représentation surannée des rapports avec ce continent1, l’existence des clientèles et de réseaux d’intérêts ou encore la conciliation du respect des droits de l’homme et la gestion de relations parfois passionnelles, comme avec les pays du Maghreb (l’Algérie, par exemple, où le président Sarkozy s’est rendu au mois de juillet), ne sont pas aisées à intégrer dans le processus de prise de décision.

Diplomatie de puissance, diplomatie des valeurs : ce couple thématique semble traverser le discours tenu devant les ambassadeurs de France, le 28 août 2007. Cette réunion, devenue traditionnelle depuis une quinzaine d’années, est l’occasion pour le chef de l’État de fixer le cap en matière de politique et d’indiquer les thématiques prioritaires de la politique étrangère française. Le premier discours du président revêt bien évidemment un relief particulier. Il y a fait d’emblée référence à une France « porteuse d’un message et de valeurs », ceux des droits de l’homme, de l’humanisme, de l’engagement humanitaire et de la responsabilité de protéger (la création d’un secrétariat d’État aux droits de l’homme répond à ce souci). Comme au Darfour où « la souffrance des populations nous oblige ». Mais le réalisme ne perd pas pour autant ses droits : il y va de la nécessité de tenir son rang et sa place dans la mondialisation.

Ce qui frappe dans ce discours c’est à la fois sa continuité avec une ligne de politique étrangère classique, son caractère consensuel sur nombre de points (mais c’est une caractéristique de la politique étrangère de la France depuis le gaullisme) et ce qui pourrait constituer des lignes d’un possible infléchissement de la politique traditionnelle de la France.

En matière de continuité, sont d’abord affirmés le rôle de la France en Europe et la complémentarité nécessaire entre la construction européenne et la place de la France dans le monde : « Il n’y a pas de France forte sans l’Europe ; comme il n’y a pas d’Europe forte sans la France. » Cela nécessite que soit donc relancée la construction européenne, « priorité absolue » de la diplomatie française. À cette occasion, le rappel est fait de l’importance du couple franco-allemand et de « la parfaite entente » qui a abouti à l’élaboration du traité simplifié. Sur d’autres points les positions sont connues et confirmées : l’Afrique, le Moyen-Orient, en particulier, avec la nécessité d’un État pour les Palestiniens et le rôle de la négociation internationale, l’attachement à l’indépendance du Liban. Ici, le rôle de la France s’inscrit plus dans la continuité que dans la rupture. Toutefois, l’engagement aux côtés d’Israël est trop souligné et solennellement affirmé pour ne pas être relevé. Après des années de relative tiédeur du chiraquisme à l’égard d’Israël, la proclamation de la proximité du chef de l’État d’avec l’État hébreu est vigoureuse : « J’ai la réputation d’être l’ami d’Israël et c’est vrai. Je ne transigerai jamais sur la sécurité d’Israël. » Mais ces propos sont suivis d’un témoignage « d’amitié et de respect » envers les Palestiniens. La volonté d’ouverture vis-à-vis d’Israël est là. Elle sera confirmée par la visite de Bernard Kouchner dans ce pays. Mais l’objectif politique de la France reste inchangé : la sécurité pour Israël, un État pour les Palestiniens, l’appui à l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas (lors de la visite de B.Kouchner en Cisjordanie) et « le refus de se résigner à la prise de contrôle par les islamistes radicaux dans les territoires palestiniens ».

Une intonation différente est toutefois apportée à la Turquie. Sur ce sujet, le président Sarkozy assouplit le point de vue du candidat Sarkozy. Sa préférence va toujours à la formule d’une association « aussi étroite que possible » de ce pays à l’Union européenne sans aller jusqu’à l’adhésion. Mais la France ne s’oppose pas à la poursuite des négociations ni à « l’ouverture de nouveaux chapitres ».

Sur les relations avec les États-Unis et la question de l’Otan, le positionnement nouveau de la France est porteur à terme d’un véritable changement. À l’égard des États-Unis, le rapprochement nouveau, perceptible notamment dans des relations personnalisées instaurées avec le président Bush, ne signifie pas un alignement de la France : « Alliés ne veut pas dire alignés », l’expression des accords comme des désaccords doit être « sans complaisance ni tabou » rappelle N. Sarkozy dans son discours. Ces relations de franchise posent de manière nette les rapports de la France avec l’Otan. Le président a clairement situé ces rapports dans le cadre d’un renforcement de l’Europe de la défense – même si l’on n’est pas loin d’une prise de position chiraquienne qui ne s’est cependant jamais concrétisée. « L’Europe de la défense n’est pas en “compétition” avec l’Otan. » La complémentarité s’est même donnée à voir en Afghanistan et au Kosovo. La France serait donc toujours plus proche de l’Otan et irait vers une plus grande intégration dans ses structures, si l’Alliance atlantique accordait plus de responsabilité à la France et à l’Europe et encourageait la construction de l’Europe de la défense à laquelle il convient de donner « un nouvel élan » dix ans après Saint-Malo. La France propose à cet égard une équation qui serait celle d’un surcroît d’intégration à la mesure d’une prise de responsabilité plus grande dans les structures de commandement. Mais une telle équation ne peut se faire que dans le cadre d’une construction déterminée de l’Europe de la défense.

D’ores et déjà, toutefois, la France travaille à un synergie d’action entre l’Union européenne et l’Otan. Des propositions françaises ont été transmises à l’Otan en ce sens. En soi, elles supposent que Paris soit déterminé à faire le pas nécessaire pour son retour dans la structure militaire intégrée de l’Otan. En pratique, ces propositions se heurteront sans doute à certaines réticences de la part des États-Unis soucieux de conserver la haute main sur l’essentiel des structures de commandement, au scepticisme des Britanniques concernant la construction, relativement rapide, d’une défense européenne de quelque efficacité et… à la Turquie qui ne verra pas d’un bon œil un rapprochement euro-atlantique la contraignant à partager ses informations militaires avec le gouvernement de Chypre qu’elle ne reconnaît pas. Pour la France néanmoins, un pas important, pratique et de psychologie politique, vient d’être franchi. Les propositions pour un retour complet dans les structures de l’Otan auront été le fait d’un gouvernement qui se réclame de l’héritage du général de Gaulle.

Nouvelles lignes de partage international

Enfin, il existe des défis à relever. Le président Sarkozy en cite trois. D’abord, le risque d’une « confrontation entre l’Islam et l’Occident » qui serait le fait d’« extrémistes comme ceux d’Al-Qaida dont l’objectif est de créer un khalifat rejetant toute ouverture ». C’est d’ailleurs comme une « réponse à ce risque » que le projet d’une Union euroméditerranéenne est avancé. Les deux autres défis sont l’intégration dans le nouvel ordre global de géants émergents tels la Chine et le Brésil, et les risques globaux majeurs des pandémies et du réchauffement climatique.

Il reste, néanmoins, que la préoccupation immédiate de la France est représentée par l’Iran. Le durcissement de ton adopté à l’égard de l’Iran est manifeste dès le discours prononcé devant les ambassadeurs. La position du président Sarkozy n’est pas surprenante : elle prolonge celle adoptée par le candidat Sarkozy. D’emblée est posée « l’alternative catastrophique : “la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran” ». Cette opposition frontale à la politique d’enrichissement de l’uranium par Téhéran sort du cadre convenu des négociations des cinq du Conseil de sécurité et de l’Allemagne menées avec l’Iran. Paris s’alignerait-il sur l’aile dure américaine qui appelle à une confrontation militaire avec Téhéran ? Ou serait-il prêt dans un premier temps à alourdir les sanctions, comme il l’a laissé entendre, y compris celles qui pourraient être prises en dehors du Conseil de sécurité ? Les propos de Bernard Kouchner en septembre dernier sur la « préparation au pire », c’est-à-dire « à la guerre » ont entraîné des réactions vives de la part de la Chine, de la Russie et de l’Iran. Le rapprochement russe qui s’opère vis-à-vis de Téhéran favorisera la détermination de l’Iran à poursuivre son programme nucléaire. Moscou, inquiet des projets américains dans le Caucase, du projet de boucliers antimissiles et de l’attitude européenne et particulièrement française favorable à l’indépendance du Kosovo, n’est pas prête à faire des concessions. La récente visite de Nicolas Sarkozy a montré les difficultés de la négociation avec la Russie de Poutine, en particulier sur les dossiers relatifs aux droits de l’homme et à la répression en Tchétchénie et en Ingouchie. Dans son discours du 28 août, Nicolas Sarkozy avait relevé que la Russie « imposait son retour sur la scène mondiale en jouant avec une certaine brutalité de ses atouts ». Il y a fort à parier que du Kosovo à Téhéran en passant par la Tchétchénie, les lignes de démarcation d’une nouvelle guerre froide se mettent en place.

  • 1.

    Voir infra l’analyse du discours de Dakar, p. 163-181.

Joseph Maïla

Ancien directeur de la prospective au Ministère des affaires Etrangères, il est philosophe de formation et s’intéresse à la géopolitique moyen-orientale, en particulier aux tensions confessionnelles dans la région.

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