Le Liban à la recherche d’un pacte civil
Tout en défendant l’esprit de l’appel qui précède, l’auteur, avant la reprise du conflit, s’inquiétait à juste titre de la détérioration du climat régional (rapport avec la Syrie, violences à Gaza, guerre civile en Irak) et international (le conflit sur le nucléaire iranien) dont la conséquence est la réplique de l’armée israélienne à l’action du Hezbollah. Mais il pointait également la montée d’une rhétorique tribunitienne qui a conduit un leader chrétien, le général Aoun, à cautionner la ligne politique de l’islamisme chiite libanais.
Le texte élaboré par le « Congrès permanent pour le dialogue libanais » doit se lire comme une tentative originale de refondation de l’entente libanaise sur des bases renouvelées. À l’ancien « contrat communautaire » qui liait les parties libanaises dans leur effort de jeter les bases de l’État libanais indépendant de 1943, le Congrès propose de substituer un nouveau contrat social qui jetterait les fondations d’un « État civil ». Cette dernière expression est à entendre dans le sens d’un État qui n’aurait plus pour fondement une entente communautaire mais qui aurait été édifié sur des bases non confessionnelles et qui se serait engagé sur les voies d’une sécularisation progressive au profit d’une citoyenneté dépouillée de toute référence à l’appartenance religieuse des Libanais. Les raisons invoquées pour un tel engagement ne sont pas idéologiques. Elles ne découlent pas d’un choix philosophique impulsé par l’idée d’un Liban laïc. Elles sont pragmatiques, relèvent du constat, et tiennent bien plutôt d’une analyse qui tire toutes les conséquences de l’impasse du modèle communautaire, générateur de guerres à répétition et de l’impossibilité pour le Liban de créer les conditions de sa stabilité et d’être à l’abri d’un retour programmé de la violence communautaire s’il persistait dans la reconduction de ce mode de gouvernement.
La volonté du renouveau national libanais sur des bases non confessionnelles n’est donc pas inédite. Elle a, surtout depuis l’indépendance libanaise, été portée par des forces laïques, des intellectuels comme des partis politiques. Elle traverse de part en part ce que l’on pourrait appeler l’imaginaire consensuel de la classe politique libanaise qui voit dans le communautarisme libanais, à l’instar du penseur politique, Michel Chiha, mort au début des années 1950, une situation transitoire devant être, à terme, dépassée. L’accord de Taëf, signé en 1989, qui met fin à la guerre libanaise ouvrant la voie à une sortie de crise contestée et violente, reprend cette utopie ouverte et toujours reconduite. Mais plutôt d’en faire un horizon toujours plus lointain, il la transforme en objectif pratique en planifiant l’effacement progressif du communautarisme politique dans le temps. Le document élaboré par le « Congrès permanent » s’inscrit dans son sillage. Mais là où l’accord de Taëf pensait cet effacement comme effet d’une procédure institutionnelle programmée par l’abandon graduel de la règle de répartition communautaire, le document du Congrès l’envisage à travers la forme d’un contrat civil qui fonde un « vouloir vivre en commun » non communautaire. Le moteur en serait la société civile et non plus seulement le fait des institutions ou de la volonté de la classe politique.
Le soulèvement pour l’indépendance
Cette approche nouvelle serait justifiée selon les premiers signataires du document par la voie ouverte par le mouvement populaire initié le 14 mars 2005. La mobilisation libanaise de revendication de souveraineté, initiée ce jour-là face à l’occupation syrienne et qui finira par amener le retrait des troupes de Damas officiellement entrées au Liban le 1er juin 1976, serait susceptible de jouer le catalyseur de cette dynamique. L’analyse offerte par le document s’articule autour de cette centralité perçue comme fondatrice d’une nouvelle temporalité libanaise. Il est vrai que par son caractère massif, la mobilisation populaire spontanée, un mois après l’assassinat du président du Conseil des ministres Rafic Hariri, a marqué durablement les esprits. Placée sous la seule égide de l’emblème national libanais, elle déroge aux manifestations partisanes à caractère confessionnel dont le Liban est coutumier. Ce n’est pas tant l’énormité du crime – le Liban de la guerre fut la scène d’horribles massacres marqués au coin d’une violence multiforme – mais sa dimension symbolique qui dénotait une volonté syrienne de ne rien céder au Liban et de ne pas relâcher sa mainmise sur le pays qui fut le véritable détonateur du soulèvement (intifada) de l’indépendance. La Syrie « se révélait » immuable dans sa politique de brutalité à l’égard des dirigeants libanais – nombre d’entre eux ayant été liquidés par les services syriens présents au Liban – mais surtout dans sa détermination à conserver sa tutelle sur son voisin et à recouvrer ses capacités économiques de prédation.
Pour importante qu’elle aura été, la mobilisation populaire du 14 mars n’était pas pour autant sans hypothèques. Une hypothèque objective pesait d’abord sur elle dans la mesure où les forces qu’elle regroupait ne rassemblaient pas l’ensemble des forces actives nécessaires pour créer un consensus national. Une semaine auparavant, la communauté chiite avait réussi à se mobiliser autour de ses deux partis de proue : le Hezbollah et Amal, le parti du président de la Chambre proche du pouvoir syrien. Sous des slogans tout aussi favorables à l’indépendance libanaise, sans mots d’ordre antisyriens cependant, la manifestation donnait à voir, outre le caractère compact d’une communauté décidée à peser sur les destinées du pays, une orientation politique différenciée. En effet, lié de très près à ses bailleurs de fonds iraniens, dépendant logistiquement de la Syrie pour sa force de frappe militaire, emblématiquement exaltée à travers les combattants de la résistance libanaise qui s’étaient opposés à Israël et avaient forcé le retrait de l’armée israélienne de la bande frontalière, le Hezbollah, véritable moteur de la mobilisation sociale et politique de la communauté chiite, ne pouvait se départir de ses alliances objectives sans se retrouver relativement marginalisé, dépouillé de son aura de « parti des martyrs » au profit d’un martyrologue dans lequel l’assassinat du leader sunnite Hariri signalait comme le début de l’ère réelle du renouveau libanais. D’où cette surenchère toujours relancée au profit d’une nécessaire poursuite de la lutte contre Israël, coupable de ne s’être pas totalement retiré du Liban puisqu’il maintenait son occupation sur une portion exiguë de territoire (le lieu-dit des hameaux de Chebaa) dont le statut était, par ailleurs, controversé entre le Liban et les Nations unies. Cette surenchère discursive permet la continuation de la résistance libanaise et, à travers elle, la prévalence du parti qui ne cesse de la monopoliser. Elle permettait également de continuer à désigner le seul véritable ennemi du Liban, Israël, et de ne pas faire de la Syrie, perçue et dénoncée comme l’instigateur de l’assassinat de Rafic Hariri, la partie à combattre. Dans l’esprit du Hezbollah, l’enquête internationale diligentée par le Conseil de sécurité de l’Onu devra désigner les responsables et établir les responsabilités sans qu’il soit besoin, d’ores et déjà, d’incriminer sans preuves la Syrie. Ce positionnement du Hezbollah est tout à la fois interne et externe. Il renforce la position du « parti de Dieu » auprès de ses adeptes, le place en contrôle de la région du sud Liban sur laquelle il règne en maître en l’absence de l’armée libanaise et l’inscrit dans les stratégies d’opposition qui, de l’Iran au gouvernement du Hamas en passant par la Syrie, visent à opposer un front de refus aux politiques d’Israël et des États-Unis.
L’autre hypothèque tient aux difficultés auxquelles se heurte le mouvement du 14 mars pour fédérer les partis, les groupes parlementaires et les personnalités politiques indépendantes qu’il rassemble en une véritable force politique. Le caractère fusionnel de la protestation du 14 mars ne s’est pas traduit par une unité d’action. Si la coalition parlementaire qui en est issue détient aujourd’hui une majorité de sièges, elle apparaît comme en dépendance par rapport à des évolutions externes. Attentives à l’affaiblissement du rôle régional de la Syrie, se fondant sur la dénonciation aux Nations unies de la prorogation, contraire aux dispositions de la Constitution, du mandat du président de la République, Émile Lahoud, et fondant ses espoirs dans une incrimination par la commission d’enquête internationale de la Syrie dans l’assassinat de Rafic Hariri, les forces incarnant la dynamique du 14 mars semblent se reposer sur une dynamique externe susceptible de leur ouvrir des marges de manœuvre plus grandes. Or, depuis son retrait du Liban, la Syrie opère un subtil retour politique au Liban : à travers ses alliés locaux, en profitant de la détérioration en Israël/Palestine, en tirant bénéfice des difficultés des États-Unis en Irak, en profitant du regain de popularité que connaît l’Iran, son partenaire stratégique régional, dans sa quête de puissance nucléaire. Plus d’un an après qu’elle s’est déclenchée, la dynamique du 14 mars s’est, pour toutes ces raisons, quelque peu estompée. Les assassinats de journalistes de l’opposition connus pour leur ligne éditoriale antisyrienne ont créé un véritable climat de terreur, très certainement voulu par les puissances de l’ombre que sont les services de renseignement libanais comme syriens avec leurs inévitables connexions palestiniennes et régionales. Par-dessus tout, le regain offensif de la Syrie s’est accompagné d’un retour du Liban aux manœuvres tacticiennes d’une classe politique rompue à l’habillage stratégique de ses objectifs communautaires.
Ruptures internes
C’est sans doute ce dernier aspect qui est le plus inquiétant. Il est indicatif d’une dégradation des mœurs et des civilités politiques rarement atteinte dans la période de normalisation de l’après-Taëf. Loin d’être un trait anthropologique auquel il faudrait se résigner, l’échange de propos vindicatifs ou insultants s’inscrit dans une vague de suspicion mutuelle où l’échange politique devient un exercice de repérage des trahisons. Dans le contexte régional crispé, toute prise de position est lue à la lumière de l’appui ou de l’hostilité qu’elle recèle à l’égard de la Syrie encerclée, de l’Iran harcelé, de l’Irak occupé, des Palestiniens abandonnés ou des Occidentaux, essentiellement la France et les États-Unis, acharnés à s’ingérer dans les affaires des peuples de la région. Ce discours explosif, modulé selon les intérêts de chacune des parties, n’entraîne pas pour le moment une remise en cause des acquis du 14 mars et du sentiment retrouvé d’appartenance nationale. Pour preuve, l’accord qui s’est fait entre tous les protagonistes libanais lors des réunions du dialogue national qui se sont tenues ces derniers mois et au cours desquelles les représentants des principales forces politiques libanaises sont tombés d’accord sur la nécessité de l’établissement d’ambassades entre les deux pays et sur la certification de leurs frontières communes. Ce qui dans l’histoire tourmentée des relations syro-libanaises serait, à terme, si une suite favorable se dessinait, le signe que la Syrie accepte, de la manière la plus formelle entre États, de reconnaître l’existence politique plénière de son voisin libanais. Mais cette régularisation politique des relations ne touche pas au débat interne sur la position à avoir à l’égard du régime du président Assad. Les partisans de Saad Hariri, Walid Joumblatt, Samir Geagea, des personnalités chrétiennes libanaises, dont certaines proches du patriarcat maronite, ainsi que les membres de la gauche refondatrice sont les tenants d’une opposition à la Syrie qui va du choc frontal à une non-agression verbale comprise comme indissociable du refus ferme, en retour, de toute ingérence de Damas dans les affaires libanaises. En face, les partis chiites restent fidèles à une alliance perçue au plan régional comme préservant leurs intérêts, empêchant surtout qu’une tutelle franco-américaine ne se substitue à l’ancienne occupation syrienne et plaçant la communauté chiite en position de force pour négocier un surcroît de présence et d’influence au sein de l’État. La virulence des propos échangés entre l’un et l’autre des camps est habilement entretenue et explicitement exploitée par la Syrie. Cette dernière vise dans un premier temps à faire accroire l’idée d’une irrémédiable minorité politique des dirigeants libanais. Ce qui appellerait de la part de la Syrie à une régulation de la vie politique du Liban ou au moins à la reconnaissance d’un rôle, à partager éventuellement avec d’autres puissances. Pour le moment, les ruptures politiques et les clivages discursifs opèrent comme une remise en cause des fondamentaux de l’après-Taëf : le gouvernement par consensus, la collaboration des pouvoirs, le désarmement de ce qui reste comme milices que ce soient celles du Hezbollah ou des Palestiniens, l’esprit de déconfessionnalisation…
Mais ces fragilités internes ne sont pas seulement des points de fixation pour des querelles qui dépassent le Liban selon un schéma avéré. Pour la première fois, commence à se faire jour un discours aux allures populistes. Il est le fait de l’ancien général Michel Aoun qui s’est trouvé un allié de poids dans le Hezbollah. L’entente qu’il a signée avec ce parti le rapproche du principal allié de Damas au Liban, ce qui n’est pas à négliger dans la perspective des élections présidentielles de l’an prochain. Le général Aoun, lui, apporte sa caution de leader chrétien charismatique à la ligne politique de l’islamisme chiite libanais. Mais le combat de Michel Aoun est également ailleurs. Il est contre l’establishment politique libanais qu’il honnit, notamment dans sa partie chrétienne, coupable de trahison envers lui naguère et de tiédeur aujourd’hui. Michel Aoun pourfend avec véhémence la classe politique corrompue et l’État accusé d’impéritie et d’incurie, dénonce la gabegie, s’en prend aux mafias de l’argent et du pouvoir qui volent le peuple et le font ployer sous la hausse du coût de la vie et des services. Dans l’atmosphère de désillusion politique, voire de désespérance, ce discours n’est pas anodin. Le sursaut du 14 mars pourrait aussi bien être annihilé par la rhétorique tribunitienne.
Joseph Maïla
Post scriptum
À nouveau, le Liban se trouve rattrapé par des turbulences régionales auxquelles il ne parvient pas à échapper.
Exsangue mais porté par des espoirs de réconciliation interne et de reconstruction, c’est sa dimension de théâtre d’opérations guerrières et d’exutoire à des tensions internationales qui l’emporte néanmoins et fait du pays un espace de règlements de conflits et des crises en cours au Proche-Orient. La dimension stratégique de la crise libanaise est de retour et, avec elle, la nature d’une guerre gigogne dans laquelle des puissances régionales activent, selon la conjoncture, les rouages de multiples et persistantes confrontations.
À l’origine de la dernière flambée de violence, se trouve la capture, en territoire israélien, par des combattants du Hezbollah, de deux soldats de Tsahal. Le calme n’a jamais prévalu à la frontière israélo-libanaise depuis le retrait d’Israël du territoire libanais en mai 2000. En jeu, la revendication par le Liban d’un territoire de 25 km2, les fermes de Chebaa, enlevé lors de la guerre de 1967 par l’armée israélienne à l’armée syrienne qui l’occupait. Derrière une question de délimitation de frontières jamais certifiées se cache en réalité une stratégie politique de surenchère nationaliste et guerrière d’un parti islamiste libanais, le Hezbollah, dont l’ambition n’a jamais été confinée à la seule participation à la vie politique, parlementaire (le bloc parlementaire du Hezbollah regroupe quatorze députés) ou gouvernementale (deux ministres). La volonté de continuer la lutte dans le sud libanais inscrit « le parti de Dieu » dans la double orientation d’une poursuite de la lutte contre Israël, source de légitimité incontestable auprès des populations de la région, et de la lutte contre la politique et l’influence américaines au Proche-Orient. Ces orientations font du Hezbollah l’héritier d’une politique de contestation radicale des choix assumés par les organisations palestiniennes avant la paix d’Oslo et continuée à sa manière et dans la position qu’il occupe actuellement dans les territoires palestiniens par le Hamas. Elles font de lui, également, l’allié, en réalité l’instrument, de l’Iran dont il épouse étroitement les positions sur l’accession à la dignité de puissance nucléaire comme sur l’Irak, ainsi que l’obligé de la Syrie dont il dépend logistiquement pour ses armes et pour l’hinterland qu’elle lui assure. Quant à l’agenda interne du Hezbollah, il apparaît plus flou dans la mesure où le parti a, depuis une quinzaine d’années, abandonné son programme de « république islamique » pour le Liban se contentant d’organiser des structures de sociabilité et de solidarité islamiques au niveau des régions qu’il contrôle (dispensaires, écoles…) et de diffusion de son programme, de sa culture et de son image à travers la création de médias propres. Son action spécifique s’est déplacée ces dernières années. Le Hezbollah privilégie désormais une ligne de politique étrangère en phase avec les objectifs iraniens, confondue avec son rôle d’opposant à l’Occident au Liban. La montée en puissance et en influence régionales du Hezbollah est, toutefois, directement liée à la jonction faite avec le Hamas qu’il aide symboliquement (collecte de fonds en aide aux Palestiniens à la suite de l’arrêt des subventions internationales) et qu’il « soulage » en maintenant une tension certaine sur le front libanais.
Le refus du Hezbollah de désarmer, c’est-à-dire sa volonté de s’opposer au démantèlement de ses milices, réclamé par la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies, a mis le gouvernement libanais dans une position impossible. Entre la rupture du consensus gouvernemental (laissant entrevoir des risques de troubles civils) et l’instabilité à la frontière israélo-libanaise, la coalition au pouvoir a choisi de privilégier le maintien de liens, précaires, avec le Hezbollah. Une rupture eut signifié une opposition déclarée à la Syrie et à l’Iran comme elle aurait entraîné aussi le retrait des chiites d’Amal de la participation politique. Aucun gouvernement au Liban visant une stabilité minimale ne peut se permettre de prendre de tels risques. Mais ce positionnement laissait la voie ouverte à tous les débordements sur la frontière méridionale du pays. La réaction d’Israël à l’enlèvement de ses soldats sur cette frontière faisant suite au rapt quelques jours auparavant d’un soldat israélien sur la frontière avec Gaza est venue confirmer la volatilité d’une situation intenable.
En se livrant à des représailles massives en territoire libanais, en détruisant systématiquement routes, ponts, carrefours urbains, infrastructures de communication, pistes d’atterrissage et en pratiquant un blocus maritime, Israël entend renouer avec une politique de punition du Liban. Comme précédemment, lors des crises avec le Hezbollah, en 1993 et en 1996, la politique de destructions sanctionne le Liban accusé de ne pas garantir la sécurité à sa frontière. Comme dans certaines crises passées, Israël entend aussi récupérer ses soldats disparus ou otages du Hezbollah, en sachant que ce dernier cherche à faire sortir des geôles israéliennes les prisonniers libanais et palestiniens, confirmant son étendard de libérateur. Mais contrairement aux crises passées, Israël entend éloigner définitivement le Hezbollah de sa frontière. Son retrait du sud libanais donne à l’État hébreu un avantage dont il ne pouvait se prévaloir auparavant quand il était force occupante. À court terme, le but d’Israël serait de forcer le déploiement de l’armée libanaise en forçant l’application de la résolution 1559. Mais, est-ce suffisant ?
La guerre ouverte sur le front libanais a révélé la puissance de feu, relative mais inquiétante pour Israël, du Hezbollah. Le bombardement des villes israéliennes touchées par des missiles et des roquettes est une source d’insécurité, jamais soupçonnée par Tel-Aviv. Le mimétisme est, par ailleurs, contagieux qui pourrait gagner, demain, des factions palestiniennes. L’atteinte à la sécurité israélienne à partir de l’extérieur du territoire israélien relève du cauchemar stratégique. C’est pourquoi, le déchaînement de feu qu’a organisé l’armée israélienne, va au-delà d’une revanche sur un passé d’échecs face à une guérilla devenue emblématique dans le monde arabo-islamique. Tout se passe comme si Israël entendait ne plus tolérer le Hezbollah et se lançait du même coup dans une entreprise d’éradication du parti islamiste.
Toutefois, en s’en prenant au Liban comme il le fait, en s’attaquant à l’armée libanaise qu’il bombarde, Israël ne se fraie pas des voies de pacification. On peut douter de l’efficacité des frappes pour éradiquer une résistance tenace autant qu’insaisissable. Il n’est pas sûr, en outre, que les Libanais, certes excédés par l’aventurisme du Hezbollah, dont le chef a pris sur lui une responsabilité écrasante en procédant à l’enlèvement des soldats israéliens et – il faut en tenir compte dans le contexte économique de crise – en mettant en péril la saison touristique, source de revenus importants pour le Liban, répondent, dans un premier temps du moins, par le désaveu de la milice combattante, indignés qu’ils sont par la disproportion des moyens mis en œuvre et la brutalité de la riposte. De plus, sur un plan diplomatique, contrairement aux crises passées, la Syrie n’est plus présente au Liban pour garantir des accords qui se négociaient avec elle et à son bénéfice. Cette absence complique singulièrement la donne pour des puissances, comme les États-Unis, qui se sont habituées à sous-traiter, en dépit de leur détestation du régime de Damas, à la Syrie le règlement des crises qu’elles avaient provoquées ou permises. Sauf si le but, indirect ou recherché, était de replacer la Syrie au cœur de l’équation libanaise et de lui confier une sortie de crise qui aurait été facilitée par l’affaiblissement du Hezbollah. Dans cette hypothèse, on assisterait à un retournement de la diplomatie américaine depuis la demande de retrait des troupes de Damas formulée dans la résolution 1559 – à laquelle la France a donné tout son appui – qui, en écartant la Syrie du Liban, visait à donner à ce dernier des chances de se gouverner par lui-même. On peine à imaginer que tel puisse être le cas encore aujourd’hui.
Internationalisée comme elle l’est aujourd’hui, plus que jamais, la question libanaise mérite un traitement conséquent. Au-delà de la trêve nécessaire et urgente, l’envoi d’une force internationale de stabilisation à la frontière israélo-libanaise est le seul moyen de sécuriser le Liban. Le monde arabe est trop divisé pour jouer les casques verts comme en 1976. Les États-Unis, empêtrés en Irak, impuissants en Palestine, en rupture de dialogue avec l’Iran et de confiance avec la Syrie, ne sont plus à même d’exercer une médiation acceptée. Dans l’immédiat, les solutions ne sont pas en nombre infini. À commencer par la première et la plus immédiate : empêcher que le Liban qui brûle ne soit la proie de ses pyromanes pompiers.
19 juillet 2006
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Voir son précédent article sur ce sujet : « La Syrie affaiblie », Esprit, février 2006.