Nouveaux fragments d’une mémoire infinie (III)
Maël Renouard poursuit ses enquête littéraire sur les effets du numérique dans nos vies : notamment l’atrophie de la mémoire et le renoncement au jugement, qui fait qu’on ne se souvient plus de la manière dont on se souvenait du passé avant Internet et sa conservation de traces multiples.
À deux ou trois reprises, récemment, je suis dans l’incapacité de retrouver un nom propre qui m’est pourtant familier. Je ne sais si je dois incriminer mon vieillissement biologique individuel – source bien connue de ce genre de défaillances – ou bien un phénomène global, propre à notre époque, que l’on pourrait désigner comme la dégénérescence ou l’atrophie de la faculté de se remémorer, privée d’exercice par la disponibilité permanente de son auxiliaire numérique infini.
L’hypothèse de l’atrophie de la mémoire est au fond celle de Platon dans le Phèdre, lorsqu’il présente l’écriture comme une invention dangereuse. Platon décrit cette crainte d’une manière ingénieuse et frappante ; il est difficile, cependant, de soutenir que le développement de l’écriture au long des siècles ait conduit à un affaiblissement des capacités psychologiques de l’humanité. Nous n’avons aucun moyen de faire l’expérience de ce que pouvait être la mémoire d’un individu en l’absence d’un usage répandu de l’écriture. Il est possible de rêver à un âge d’or où cette faculté, régnant seule et soumise en permanence à une sorte d’entraînement athlétique, aurait été puissante, infaillible et docile ; mais il est probable que ce ne soit qu’un mythe, et il faut être prudent au moment d’estimer l’ampleur de l’affaiblissement qu’Internet aurait fait subir à la mémoire.
Ce qui me frappe, en revanche, dans ces moments de désarroi où je me bats avec ma mémoire défaillante, c’est la maniè