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L’Italie tire le bilan des années Berlusconi. (Entretien)

juin 2006

#Divers

Entretien avec Marc Lazar

Battu après avoir pu développer son programme pendant cinq années, Berlusconi n’a pas seulement coalisé contre lui un large courant qui va du centre à l’extrême gauche. Il laisse une Italie très divisée, mieux insérée dans la mondialisation mais affaiblie sur la scène européenne.

Esprit – Réputé imbattable, Berlusconi a été battu, mi-avril, pour la seconde fois, par Romano Prodi, ancien président de la Commission européenne, adversaire moins télégénique et charismatique que lui. L’Italie vient ainsi de connaître une alternance politique gauche-droite, après une mandature complète de Silvio Berlusconi. Cela signifie-t-il une standardisation de la politique italienne ? En quoi cette nouvelle victoire de Prodi se distingue-t-elle de la première ?

Marc Lazar – Oui, l’Italie illustre ici le principe d’une alternance régulière : 1994, victoire de Berlusconi ; 1996, victoire de Prodi contre Berlusconi ; 2001, victoire de Berlusconi contre Rutelli ; 2006, victoire de Prodi. D’autre part, Berlusconi a réussi à mener sa législature à son terme, un exploit qui n’était pas arrivé depuis Alcide de Gasperi entre 1948 et 1953 ! L’incroyable remontée de Silvio Berlusconi à la fin de la campagne électorale ne doit pas faire oublier que c’est la deuxième fois que Prodi parvient à le battre.

La première différence par rapport à 1996 est tout d’abord qu’à l’époque Belusconi n’avait gouverné que sept mois, évincé en raison de combinaisons parlementaires. Cette fois-ci, l’élection prenait la valeur d’un bilan des cinq ans d’exercice du pouvoir, en particulier vis-à-vis des promesses mirobolantes faites en 2001. Deuxièmement, Prodi se présentait à la tête d’une coalition plus large qu’en 1996, essentiellement pour deux raisons : Refondation communiste, qui avait renversé Prodi en 1998, est maintenant à l’intérieur de la coalition sur la base d’un accord et une multitude de partis se sont aussi agrégés. Son alliance est donc plus large mais aussi plus fragmentée et potentiellement turbulente. La troisième différence tient à la loi électorale : en 1996, 75 % des députés étaient élus au scrutin majoritaire à un tour, 25 % à la proportionnelle ; en 2006, c’est une loi plutôt proportionnelle mais au sein de laquelle les partis coalisés doivent indiquer à quelle coalition ils appartiennent et, comme le dit la loi, dire quel est leur chef.

Unité et division de la nouvelle majorité

Cet accord est-il électoral et stratégique contre Berlusconi ou programmatique et gouvernemental autour d’un vrai projet ?

Les deux à la fois. L’accord fondamental se fait autour de l’union de toutes les forces du centre et de la gauche pour abattre Berlusconi – avec des mouvements qui iraient en France de José Bové à François Bayrou, en passant par les communistes, les verts et toutes les tendances socialistes. Le danger que représente Berlusconi a fait le ciment de cette coalition pour l’élection d’avril dernier et favorisera l’unité du gouvernement Prodi, au moins les premiers temps. L’Union, qui associait pour la Chambre des députés entre autres l’Olivier composé des démocrates de gauche (DS, ancien parti communiste) et de la Marguerite (une partie des anciens démocrates chrétiens et les soutiens de Prodi), ne voulait cependant pas s’enfermer dans le seul rejet de Berlusconi. Les partis du centre gauche ont élaboré un programme de plus de 200 pages, à la fois très précis et très vague, fruit de nombreux compromis dans la coalition. Le document est très sérieux, met en avant l’assainissement des finances, la relance de l’économie, la prise en compte des partenaires sociaux… L’universitaire qu’est Romano Prodi n’a pas eu de mal, en outre, à convaincre ses partenaires qu’il fallait mettre très fortement l’accent sur l’enseignement supérieur et la recherche. Mais sur de nombreux points, le document reste dans le flou. Ainsi, on sait que la dégradation des finances publiques a été considérable sous Berlusconi. Un audit est donc annoncé. On connaîtra les vrais chiffres de la dette publique et du déficit public, qui sont certainement au-delà de ce que les critères de Maastricht autorisent. Mais quelles seront les réponses du gouvernement ? Une augmentation des impôts ? Un gel des salaires ?

On peut relever d’autres exemples. Berlusconi a nettement assoupli le marché du travail accentuant les mesures déjà amorcées par le centre gauche entre 1996 et 2001. Comment traiter la précarité sociale ? Faudra-t-il revenir sur ces lois dites Biaggi, comme le réclament certains à gauche ? Une partie des forces les plus libertaires de la coalition demande qu’on adapte le pacs français mais les forces catholiques dans la même coalition, comme Prodi lui-même, sont très réservées sur ces initiatives. La construction de la ligne Tgv Lyon-Turin divise aussi la coalition parce qu’il a suscité d’énormes mobilisations dans lesquelles se retrouvent aussi bien les Verts que les communistes de Rifondazione. En matière de politique internationale, Prodi pourra-t-il prendre ses distances de la politique étrangère très pro-américaine de Berlusconi ? Quel sera le calendrier exact du retrait des troupes italiennes d’Irak ? Sur tous ces points, le programme ne tranche pas.

Prodi a-t-il tiré, sur la scène politique intérieure, un bénéfice de son passage à Bruxelles comme président de la Commission européenne ?

Il a essayé d’en tirer un profit en se présentant comme un homme responsable, un homme d’expérience connaissant les dossiers et les dirigeants des différents pays européens et fort d’un bilan qui n’est cependant pas vu comme très flatteur dans tous les pays de l’Union. Son message était donc en partie qu’il allait faire revenir l’Italie dans le concert européen. Symboliquement d’ailleurs, son premier texte public après l’élection portait sur le retour de l’Italie dans l’Union européenne1.

La coalition de centre gauche est moins divisée que peut l’être la gauche française sur la question européenne. L’Europe est donc un des facteurs d’unité de cette coalition hétérogène. Cependant, il faut remarquer qu’au cours de la campagne électorale l’Europe a été complètement absente. En outre, on voit depuis une quinzaine d’années en Italie un effritement de l’adhésion à l’Europe. Depuis 1957, les Italiens ont toujours fait partie des plus européens des Européens : l’Europe leur a permis de revenir sur la scène internationale après la période fasciste. Ils se sont saisis de l’Europe comme d’une opportunité pour résoudre des blocages internes. Or, depuis l’introduction de l’euro, on constate un déclin de l’enthousiasme pour l’Europe. Dans les derniers sondages eurobaromètres, moins de 50 % des Italiens estiment que l’Europe leur rapporte plus qu’elle ne leur coûte. Or, ce chiffre est inférieur à ce que déclarent en moyenne les Européens (52 % pensent que l’Europe leur rapporte davantage qu’elle ne leur coûte). Il y a donc non un euroscepticisme mais un doute sur l’Europe. Pour Prodi, ce n’était donc sans doute pas un atout majeur. Mais il sera probablement actif dans ce domaine parce qu’il en a besoin étant donné la situation financière et économique italienne. Dans la situation de désarroi où se trouve le processus d’intégration européenne, il tentera aussi de faire jouer un rôle nouveau à l’Italie en Europe.

Mais le leadership personnel de Prodi est-il reconnu dans sa majorité ? En 1996, il a été rapidement contesté au sein de son propre camp. A-t-il le crédit ou l’autorité personnelle nécessaire pour assurer la cohésion de sa majorité ?

Il peut asseoir son autorité sur le fait qu’il a effectivement battu deux fois Berlusconi, ce qui est une vraie performance. Plus Berlusconi manifeste son envie de revenir au pouvoir, comme il l’a fait dès les lendemains de l’élection, plus Prodi peut apparaître vis-à-vis de sa majorité comme le rempart contre son retour, le champion qui a mis le leader de la droite au tapis. Prodi a aussi pour lui le résultat des fameuses élections primaires de l’automne : c’est lui qui les a voulues contre les appareils. Dans un scepticisme général, avec finalement le soutien matériel des démocrates de gauche, quatre millions d’électeurs sont allés voter en faisant la queue pendant des heures et en le désignant, au final, largement comme le meilleur candidat. Il est vrai qu’il a des points faibles : il n’a pas de parti, il manque de charisme et sa coalition sera difficile à unifier. Mais, si la tentation venait de le mettre à l’écart, cette coalition n’a pas d’autre personnalité capable d’assurer son unité. Du moins pour l’instant.

Les médias se sont beaucoup moqués des débuts difficiles du gouvernement Prodi mais sa grande chance est le fait qu’il ait gagné de justesse, ce qui a maintenu Berlusconi en selle. Tant que celui-ci fera office d’épouvantail, les jeux parlementaires seront bloqués.

Les divisions de la société italienne

Lors des deux victoires de Prodi, en 2001 et en 2006, les résultats du vote ont été très serrés. Il semble que l’Italie soit comme coupée en deux. Comment comprendre la figure de la société italienne, telle qu’elle apparaît à travers le vote ?

Globalement, on observe l’opposition de deux Italies. Le bloc social de Berlusconi est constitué de deux grands piliers. Tout d’abord les petits et moyens entrepreneurs de l’Italie du Nord : professions libérales, petits artisans et commerçants qui travaillent à leur compte. Ils ont été déçus par Berlusconi, les promesses n’ont pas été tenues et le modèle économique italien reposant sur le dynamisme des petites et moyennes entreprises est en crise, ce qui oblige les entrepreneurs à délocaliser dans les pays d’Europe de l’Est, voire en Asie. Malgré ces déceptions, ces catégories ont constaté l’amélioration de leur situation : l’allègement des impôts, même s’il a été moindre à ce qui avait été promis, et la levée de l’impôt sur la succession, qui a été présentée à juste titre comme une loi personnelle pour Berlusconi, profitent largement aux artisans, commerçants et entrepreneurs. Ces catégories ont parfois également gagné en pouvoir d’achat, si bien que l’industrie du luxe prospère grâce à elles. Berlusconi a su néanmoins rassembler ces électeurs en stigmatisant la gauche, en agitant la menace d’un « retour des communistes », c’est-à-dire de l’État et des impôts.

La deuxième catégorie est celle des laissés-pour-compte de la modernisation, les populations les moins instruites, les moins diplômées, les petits retraités qui lisent peu les journaux et regardent beaucoup la télévision. Berlusconi leur a beaucoup promis et n’a vraiment fait concrètement qu’une augmentation des retraites minimales. Ils ont bénéficié un tout petit peu de la baisse du chômage qui s’est néanmoins accompagnée d’une précarisation accrue. Ces catégories ne votaient plus, étaient largement dépolitisées. C’est pour elles qu’il a mené une campagne électorale agressive, parfois violente, souvent outrancière. C’est sa stratégie antipolitique : même après cinq ans au pouvoir, il a voulu se présenter de nouveau comme un marginal du système, un personnage médiatique en rupture par rapport à la classe politique. Il a multiplié à leur intention les promesses démagogiques : suppression de l’impôt sur la résidence principale et des taxes sur les poubelles, etc. La démagogie a payé puisqu’il est parvenu à mobiliser cet électorat de manière spectaculaire en fin de campagne.

Les deux changements sociologiques importants de l’électorat sont que les jeunes (18-25 ans) ont voté pour le centre gauche de même que les salariés du privé, qui étaient plutôt pour Berlusconi en 2001. Cela s’explique notamment par le fait que les salariés ont perdu en pouvoir d’achat au cours des années Berlusconi. Ils ont donc rejoint l’électorat classique du centre gauche que sont les salariés du public.

Il faut ajouter à cette description la division territoriale qui ressort du vote. L’Italie de la Maison des libertés (Berlusconi et ses alliés), c’est l’Italie du Nord et la Sicile. La Sicile illustre toujours le vote clientéliste traditionnel pour les démocrates chrétiens de droite. Le Nord prospère (principalement la Lombardie et la Vénétie) présente un faible taux de chômage de 4 à 5 % seulement et a beaucoup bénéficié de la politique de la droite. L’Italie du centre gauche descend, elle, vers le Sud, à partir de l’Émilie-Romagne, de la Toscane, de l’Ombrie et des Marches, c’est-à-dire qu’elle s’inscrit en partie dans la continuité de l’héritage de la tradition socialiste et communiste. Le grand défi pour le centre gauche est de renouer, d’un côté, avec l’Italie dynamique et ouverte du Nord et, de l’autre, avec les populations les plus démunies, les plus en situation de souffrance sociale. Un grand écart difficile à réaliser. Mais ce défi c’est celui que doit relever l’ensemble de la gauche ouest-européenne.

D’un point de vue idéologique, comment caractériser le « berlusconisme » ? Comment peut-il concilier un discours libéral qui s’adresse aux entrepreneurs et un message de protection et de sécurité envoyé aux milieux les plus modestes ?

En 2001, Berlusconi a en effet présenté une synthèse libérale-autoritaire. Mais au cours de la législature, on n’a pas vu beaucoup le versant libéral. Il a pris des mesures qui parfois l’avantageaient personnellement, puisqu’il y avait en permanence ce grand problème du conflit d’intérêt : il n’a pas été le Ronald Reagan ou la Margaret Thatcher italien. Il n’a pas fait de privatisation – le centre gauche en avait fait beaucoup. Il n’a pas mené à bien les mesures annoncées sur les réductions des protections sociales ou sur la libéralisation économique. Il a attribué la responsabilité de cette absence de libéralisation sur une partie de ses alliés, sur les syndicats, les communistes et les juges. Sa rhétorique a continué de décliner le thème de la rupture libérale même si sa pratique gouvernementale n’a pas été au rendez-vous.

On peut également parler de discours de l’autorité chez Berlusconi si l’on ne confond pas la référence à celle-ci avec une tendance fasciste, ce qu’on dit trop légèrement, à mon sens, dans une partie minoritaire de la gauche italienne et largement en France. Berlusconi a développé un discours sur la simplification de la politique, sur sa prétendue capacité de décider ; il a affiché une désinvolture vis-à-vis des règles démocratiques ; enfin il a mis en avant des valeurs traditionnelles (la famille, l’ordre, etc.) et des valeurs modernes (comme la liberté d’entreprendre, de consommer, de s’enrichir). Ces valeurs nouvelles sont vraiment passées dans la société italienne. J’insiste sur un point. On a en outre assisté au cours de la campagne électorale à l’émergence d’un nouveau lobby intellectuel, inspiré des néoconservateurs américains, qu’on pourrait appeler les théo-conservateurs, qui considère que la priorité est la défense de l’Occident contre le monde islamique. Pour eux, il est donc urgent d’enterrer le conflit entre l’Église et l’État laïc et de réunifier l’Occident autour des valeurs judéo-chrétiennes. Ils sont regroupés autour de l’ancien président du Sénat, Marcello Pera et d’une fondation appelée Magna Carta, dirigée entre autres par un universitaire de grande qualité, l’historien Gaetano Quagliariello qui va bientôt faire paraître en France une histoire du gaullisme. Il est maintenant sénateur de Forza Italia2. On n’a pas voulu voir en France que le monde intellectuel italien n’est pas unanimement hostile à Berlusconi. Des intellectuels, des constitutionnalistes, des sociologues, des philosophes, des historiens, des journalistes forment, au sein de l’intelligentsia italienne, une minorité favorable à Berlusconi qui n’est pas négligeable.

Malgré le fait que Berlusconi n’a pas fait du libéralisme, un certain nombre de valeurs, qu’on le regrette ou qu’on s’en réjouisse, se sont diffusées dans la société italienne : l’acceptation du marché, de l’entreprenariat… Il y a donc une disponibilité italienne pour la mondialisation, sachant que ce pays est encore moins inséré dans la mondialisation que la France. Comme en France, cependant, la double matrice catholique et communiste alimente naturellement un fort mouvement anti-mondialisation.

Leçons italiennes

Du côté de la gauche, comment répondre à cette synthèse proposée par la droite ? Le centre gauche insiste à la fois sur l’économie de marché et sur la solidarité sociale. Mais la campagne du centre gauche s’est faite de manière très défensive sur les questions économiques, fiscales ou migratoires, etc. Au sein de la coalition, les démocrates de gauche (DS) ont fait preuve d’une grande prudence et d’une rare timidité afin de ne pas rompre leur alliance avec les modérés du centre. Ils ont adopté un profil bas sur tous les sujets économiques, politiques, sociaux et culturels. Ils en ont payé le prix en obtenant des résultats décevants (que l’on a pu mesurer au Sénat où ils couraient sous leurs couleurs). Pour eux, le défi politique est le même : comment renouer avec les classes populaires sans s’aliéner les classes moyennes dynamiques, urbaines ?

On a beaucoup insisté en France sur l’influence que Berlusconi pouvait exercer par la télévision. Pourtant la télévision n’a pas fait l’élection.

Durant son « règne », Berlusconi a fait un usage excessif des médias : il a favorisé ses propres chaînes, épuré la télévision publique, la Rai. Avant le début officiel de la campagne, il a été omniprésent sur les radios et les télévisions. Pour autant, je n’ai jamais été convaincu par le thème de la « télécratie » qui me semble démenti par les deux victoires de Prodi. On pourrait dire, plus exactement, avec Bernard Manin, que les métamorphoses de la démocratie nous conduisent à ce qu’on peut appeler une « démocratie du public » caractérisée par un rôle essentiel de la communication, du marketing politique, de la personnalisation des campagnes, de l’appel direct à l’électeur et d’une volonté de dépasser les formes classiques de la démocratie libérale et représentative. On observe en effet que les partis politiques ne sont plus capables d’être des matrices de culture et d’identité politiques, de canaliser le vote, de lire les attentes de la société et de les traduire en politique.

Pourtant, on n’a pas basculé d’un monde à un autre et les pesanteurs de l’histoire continuent de s’exercer. Les partis ne jouent plus exactement les mêmes fonctions mais même dans leurs fonctions nouvelles, on observe la permanence de l’ancien : dans la sociologie comme dans la géographie électorale, on voit l’héritage de la démocratie chrétienne, du socialisme de la fin du xixe siècle, puis du communisme de 1945 à 1990. Je propose donc plusieurs nuances. Tout d’abord, on observe la permanence des formes de la démocratie libérale et représentative : sous Berlusconi, malgré son usage du pouvoir, la Constitution, la cour constitutionnelle et, en général, l’État de droit ont continué à fonctionner, de même que la logique des partis, y compris ceux qui étaient alliés à Berlusconi. Même si l’Italie a connu un bouleversement majeur des partis traditionnels marqué par leur incontestable déclin, les partis réunissent toujours un nombre conséquent d’adhérents. En France, les partis ont tellement peu d’adhérents qu’ils n’osent pas appeler à une manifestation ; en Italie, Forza Italia peut faire descendre des centaines de milliers de personnes dans les rues. Leur capacité de mobilisation et de socialisation reste donc forte. En outre, on assiste à des transformations de la participation des citoyens. On n’a jamais eu tant de mobilisations de la société civile au cours de la période de pouvoir de Berlusconi, contre la guerre en Irak, contre la timidité du centre gauche, sous la forme des girotondi, ces personnes qui entouraient des bâtiments de la Rai et les palais de justice en tournant en rond avec le cinéaste Nanni Moretti et le directeur de la revue MicroMega, Paolo Flores d’Arcais. On observe donc à la fois des évolutions vers ce qu’on a appelé avec Bernard Manin une « démocratie du public » mais aussi des formes maintenues de la démocratie des partis et des formes nouvelles de mobilisation de la société civile qui attestent une volonté de participation à la vie publique et de rénovation de la démocratie.

De ce point de vue, l’Italie nous incite à réfléchir sur des évolutions qui concernent l’ensemble des démocraties européennes. Plutôt donc que de ne voir en Italie que la pathologie de la démocratie des médias, je propose d’y repérer également l’émergence de nouvelles mobilisations pour la participation démocratique, la justice sociale et la cohésion nationale. L’Italie n’est donc pas une anomalie démocratique mais un révélateur des mutations de la démocratie, d’une société écartelée entre l’aspiration à l’individualisme et de nouvelles formes de solidarité dans un pays en évolution du fait de la mondialisation.

  • *.

    Historien (Iep Paris), a publié récemment, l’Italie à la dérive. Le moment Berlusconi, Paris, Perrin, 2006. Voir aussi son article dans Esprit : « Faut-il avoir peur de l’Italie de Berlusconi ? », mars 2002.

  • 1.

    Romano Prodi, « L’Italie doit repartir de l’avant », Le Monde, 13 avril 2006.

  • 2.

    Voir Gaetano Quagliariello, Cattolici, pacifisti, teocon. Chiesa e politica in Italia dopo la caduta del muro, Milan, Mondadori, 2006.