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Décourager l’asile ?

Ce n’est ni Calais ni la vallée de la Roya, mais une petite commune de 15 000 habitants à 20 kilomètres au sud de Paris, Juvisy-sur-Orge. Un collectif de soutien aux demandeurs d’asile s’y est d’abord constitué, en septembre 2015, après que le préfet eut réquisitionné un foyer de personnes âgées désaffecté pour y accueillir une douzaine de migrants (malheureusement, ils ont été rapidement transférés dans un ancien hôpital essonnien, très mal desservi par les transports publics). D’autres migrants sont arrivés, individuellement ou en petit groupe. Le collectif est devenu association. Depuis plus de deux ans, nous découvrons en l’accompagnant le parcours éprouvant et risqué du demandeur d’asile. Voici quelques constats.

Le demandeur d’asile est plongé pendant de longs mois dans un labyrinthe de procédures et un dédale administratif où il risque de se perdre, les explications et documents donnés par les services de l’État étant tout à fait insuffisants. On a parfois l’impression que l’administration suppose que les demandeurs d’asile connaissent le Code d’entrée et du séjour des étrangers et demandeurs d’asile (Ceseda) !

La législation est d’une telle complexité, les exigences d’une préfecture à l’autre, parfois d’un agent à l’autre dans la même préfecture, si différentes, le vocabulaire si spécialisé, les incompréhensions dues à la langue si fréquentes, qu’il y a toujours le risque d’être en faute (document manquant, délai non respecté…). L’accompagnement au plus près des demandeurs d’asile dans leurs démarches administratives par des associations ou particuliers (comme il en existe heureusement de plus en plus), est une absolue nécessité. Cet appui devrait être officiellement étendu, soutenu et encouragé. Cette solidarité n’est pas un délit !

Le demandeur d’asile vit un rapport au temps contradictoire : faire tout vite et à l’heure fixée, mais… savoir attendre. La demande d’asile est en effet un parcours marqué par des étapes obéissant à un calendrier, ponctué de rendez-vous à ne surtout pas manquer. Ces délais déjà serrés pourraient l’être encore davantage par la loi, actuellement en discussion, « Asile et immigration ». Bientôt quinze jours (plutôt qu’un mois) pour saisir la Cour nationale du droit d’asile (Cnda) en cas de rejet de la demande d’asile, trouver un avocat et rédiger sa défense ? De cette pression sur le temps, anxiogène et stressante, l’administration, elle, s’exonère trop souvent. A titre d’exemple, les interminables files d’attente aux portes des préfectures pour engager une demande d’asile – celles de la préfecture de l’Essonne ont longtemps fait la une de la presse locale – ont été transférées aux portes des Plates-formes d’accueil pour les demandeurs d’asile (Pada), tenues par des associations qui ont certes « remporté le marché », mais ne mettent pas toujours, faute de les avoir, les effectifs et les compétences nécessaires.

Pour obtenir un premier rendez-vous dans l’après-midi, il faut se lever tôt, parfois passer la nuit, ou revenir plusieurs fois… Et puis patienter dans des files d’attente différentes que la signalétique monolingue ne permet pas d’identifier clairement. L’accueil au « guichet unique » de la préfecture, qui devrait avoir lieu au plus tard dans les trois jours, prend souvent plus de dix jours. Les aides auxquelles le candidat à l’asile qui ne peut pas travailler a droit (allocation pour demandeur d’asile [Ada], carte vitale, carte Navigo…) tardent et sont parfois suspendues sans explication. La préfète de l’Essonne tarde souvent à exécuter les injonctions du Tribunal administratif, qui a annulé un arrêté signé de sa main. Quand l’administration prend son temps, le demandeur d’asile doit prendre patience. Comment s’étonner alors qu’un migrant, exaspéré par tant de négligences, « pète les plombs » et, dans un mouvement de colère, explose une porte ? La patience des accompagnateurs bénévoles est elle aussi soumise à rude épreuve.

Les « dublinés  », ou lhypocrisie sans nom

Avec beaucoup d’autres, nous considérons le règlement de Dublin III comme une hypocrisie sans nom et une véritable ineptie. Le candidat Emmanuel Macron lui-même déclarait, lors de sa campagne électorale, qu’il fallait « rouvrir Dublin ». Il le faut toujours… Ce règlement prévoit que la demande d’asile est examinée par le pays de première entrée dans l’espace Schengen, où les empreintes du demandeur ont été relevées. Si, une fois entré dans l’espace Schengen par l’Espagne, vous demandez l’asile en France et qu’après consultation du système informatique Eurodac, la préfecture française identifie vos empreintes en Espagne, vous y serez renvoyé si l’État espagnol, interrogé, ne répond pas dans les quinze jours – qui ne dit mot consent ! Les préfectures françaises aux ordres, et notamment celle de l’Essonne, « dublinent » à tour de bras et de plus en plus, n’utilisant quasiment jamais la « clause humanitaire », qui permet à un de la traiter une demande d’asile pour des raisons spécifiques à tel ou tel migrant.

En 2017, 38 % des demandes d’asile ont suivi la procédure Dublin. Au sein de notre association, nous avons accompagné deux « dublinés » dont l’aventure illustre l’absurdité du système. Une jeune femme turque kurde a été initialement renvoyée vers la Bulgarie, dont on connaît le traitement qu’elle réserve aux demandeurs d’asile et les liens qu’elle entretient avec la Turquie, où Recep Erdoğan a encore aggravé la répression contre la population kurde ! Fort heureusement, le Tribunal administratif a cassé l’arrêté préfectoral. Moins chanceux, un jeune Ivoirien entré par l’Italie via le Mali, le Niger, l’Algérie, la Libye, la Méditerranée, a été réexpédié par avion en Italie, alors même que l’Italie, abandonnée par ses partenaires européens, croule sous les demandes et que ce jeune parfaitement francophone jouissait d’atouts évidents pour s’intégrer en France s’il y obtenait l’asile !

Les pouvoirs publics : quelle solidarité ?

Rien ne peut se faire sans solidarité, mais tout se passerait mieux avec l’appui des pouvoirs publics. Aujourd’hui, l’association compte quelque soixante-dix adhérents. La solidarité financière n’a jamais fait défaut jusqu’à ce jour, tout spécialement quand il a fallu de l’argent pour louer plusieurs mois un appartement afin d’héberger une famille syrienne. Huit familles ont accueilli des demandeurs d’asile chez elles pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois. Cette cohabitation, parfois difficile, est un moment privilégié de découverte réciproque, une plongée dans la « vie à la française » utile pour une intégration future, une occasion naturelle d’apprendre le français, que complètent les interventions de bénévoles qui donnent des cours de français langue étrangères (Fle). L’implication complémentaire de professionnels divers suscite l’admiration : enseignants, travailleurs sociaux, avocats, traducteurs… donnent de leur temps et apportent leur expertise. Un tel soutien permet de supporter les attaques racistes, rares mais réelles.

Ce type d’initiatives associatives et, tout spécialement, l’accueil dans les familles devraient être officiellement encouragés et soutenus par les pouvoirs publics, à l’instar de ce qui se pratique dans de nombreuses villes de France. Comme y appelaient, fin 2016, des maires de la métropole du Grand Paris : « Mobilisons-nous pour accueillir les migrants ! » Pourtant, à Juvisy, il n’existe pas de soutien effectif de la municipalité. Malgré l’adoption par le Conseil municipal d’une motion de timide soutien, l’adresse en mairie de notre siège social et le prêt gratuit de salles de réunions dont bénéficie n’importe quelle association, la municipalité n’a jamais manifesté le moindre intérêt pour notre action : aucune aide financière, aucun appui dans la recherche de locaux d’hébergement, aucune information dans la presse municipale…

Dans la ville voisine d’Athis-Mons, malgré des mois de mobilisation (manifestations, pétitions, courriers aux autorités scolaires et préfectorales, interventions du sous-préfet et des services du défenseur des droits…), des dizaines d’enfants de migrants, pour la plupart syriens, ne sont toujours pas scolarisés comme l’exige la loi. La peur de l’opinion des électeurs est sans doute la cause majeure de ce silence assourdissant et de cette abstention officielle, dans notre ville comme dans d’autres villes de France, voire au gouvernement. Mais que ne fait-on pas dire à l’opinion quand on ne prend pas les moyens de l’éclairer ?

Cette expérience de plus de deux ans nous rend naturellement attentifs aux débats qui entourent l’avant-projet de loi à l’intitulé si convenable, « Pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif ». Porté par le ministre de l’Intérieur, ancien du Parti socialiste (Ps), ce texte est considéré comme inutile par le Conseil d’État, qui note que des articles des récentes lois de 2015 et 2016 ne sont toujours pas appliqués. De son côté, le Défenseur des droits, ancien de l’Union pour un mouvement populaire (Ump), exprime sans ménagement son hostilité et considère qu’il « maltraite en fait le demandeur d’asile ». Des personnels de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et de la Cnda se mettent en grève. Des avocats spécialistes du droit des étrangers manifestent. Des membres de la majorité présidentielle se font entendre.

La préoccupation sécuritaire semble malheureusement l’emporter et l’emportera tant que le ministère de l’Intérieur gardera le monopole des questions d’immigration, ce qui a été instauré sous le mandat de Nicolas Sarkozy et qui n’a été étonnamment pas remis en cause par ses successeurs.

Marie-Renée Courty

Association juvisienne pour l’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés (Ajar).

Agnès Faivre

Association juvisienne pour l’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés (Ajar).

Paul Grolleau

Association juvisienne pour l’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés (Ajar).

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Le passage de témoin

Comment se fait aujourd’hui le lien entre différentes classes d’âge ? Ce dossier coordonné par Marcel Hénaff montre que si, dans les sociétés traditionnelles, celles-ci se constituent dans une reconnaissance réciproque, dans les sociétés modernes, elles sont principalement marquées par le marché, qui engage une dette sans fin. Pourtant, la solidarité sociale entre générations reste possible au plan de la justice, à condition d’assumer la responsabilité d’une politique du futur. À lire aussi dans ce numéro : le conflit syrien vu du Liban, la rencontre entre Camus et Malraux et les sports du néolibéralisme.