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Dans le même numéro

À la pointe avancée de la République. Introduction

février 2007

#Divers

L’histoire a porté les sociétés de la Caraïbe aux avant-postes du combat pour légalité républicaine. Cest du ventre immonde de lesclavage des nègres quont surgi en acte, pour la première fois et de la manière la plus radicale, les valeurs universalistes des droits de lHomme et du Citoyen. La levée en masse des esclaves de la partie occidentale de lîle de Saint-Domingue, puis de ceux de la Guadeloupe, a, au cœur de la Révolution française, actualisé et dynamisé les potentialités émancipatrices de lidéal républicain. Tous ceux que Laurent Dubois a appelé les Vengeurs du Nouveau Monde ont été, avec les philosophes « des Lumières » et les leaders de cette révolution, les véritables cofondateurs de la République. Des femmes et des hommes des Lumières tropicales.

Cest cette vérité que décline, à sa façon, chacune des contributions qui constituent ce dossier. Cette répétition quasi fortuite apparaît des plus nécessaires, tant cette vérité continue à être peu ou mal assumée dans lensemble de la société française daujourdhui. Une négligence qui tient dabord à lignorance, ensuite à la forte empreinte qua laissée sur cette société le vieux mépris colonial et puis enfin aux aveuglements nationalistes et aux crispations identitaires que la légitime révolte contre ce mépris a suscités chez nombre des anciens colonisés des Antilles.

Tant que métropolitains et Antillais vivaient dans des univers mentaux, sociaux et géographiques séparés, cette vérité pouvait être occultée. En avril 1962, alors que la guerre dAlgérie touchait à sa fin, la revue Esprit, qui nous a offert aujourdhui la possibilité de construire et de publier ce dossier, publiait le premier ensemble de textes qui ait jamais été consacrés aux Antilles. Le titre de cet ensemble, Les Antilles avant qu’il soit trop tard, portait la marque des préoccupations décolonisatrices de lépoque et ses articles comme sa présentation dénonçaient un « malaise antillais » né dune malheureuse volonté dassimiler. Les inquiétudes, les irritations, voire la pointe de désespérance, qui se dégagent parfois du présent dossier pourraient laisser penser quil y a entre 1962 et 2007 comme une permanence antillaise. Il nen est rien ! Hier, il était encore temps de sinterroger sur le dénouement de la « question nationale » aux Antilles, aujourdhui cette question est tranchée… par son évacuation. Aujourdhui les Antillais, dans leur grande majorité, se veulent des citoyens français, bien décidés à le rester.

Le cours du temps présent fait de la singularité de la situation antillaise – celle de colonisés qui ne pouvaient pas trouver la voie de leur émancipation dans une accroche (aussi difficile que soit toujours celle-ci) à un ordre antécolonial – le paradigme de lexigence générale du vivre ensemble de tous les Français dans une diversité qui sest développée et enrichie au cours du dernier demi-siècle.

Les Antilles et les Antillais ne symbolisent donc pas seulement lorigine des valeurs fondamentales de notre République, mais ils préfigurent aussi largement son avenir. Porteurs par leur histoire de luniversalisme de ces valeurs, ils sont souvent confrontés dans leur vie quotidienne à un décalage entre les principes affichés et les pratiques subies. Contradiction qui ne peut se résoudre que dans lobligation dassurer concrètement légalité de tous et le respect de la particularité de chacun. Un nœud gordien qua su si bien incarner la pensée du poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire, une des grandes figures morales de notre époque. Lenjeu des années qui viennent. Cest dire limportance de la matière du présent dossier.

Esprit a publié récemment sur le sujet :

« Pour comprendre la pensée postcoloniale », décembre 2006 Février 2006

Olivier Mongin, « Une précipitation à retardement. Quelques perplexités sur le consensus historien »

Sévane Garibian, « Pour une lecture juridique des quatre lois “mémorielles” »

Jean-Pierre Chrétien, « Certitudes et quiproquos du débat colonial »

Frédéric Worms, « Au-delà de la concurrence des victimes »

Richard Senghor, « Le surgissement d’une “question noire” en France », janvier 2006.

Esprit, « Les Antilles avant qu’il soit trop tard » (avril 1962)

Paul Niger, « L’assimilation, forme suprême du colonialisme »

Yvon Leborgne, « Le climat social »

Marcel Manville, « Chronique de la répression »

E. Marie-Joseph, « Réalités économiques »

Édouard Glissant, « Culture et colonisation : l’équilibre antillais »

Henri Corbin, Gabriel Jos, Sony Rupaire, « Poèmes »