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Le Repenti | Copyright Sophie Dulac Distribution
Le Repenti | Copyright Sophie Dulac Distribution
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Après la décennie noire en Algérie. Entretien avec Merzak Allouache

L’esthétique cinématographique de votre film Le Repenti semble révélatrice d’une amnésie nationale profonde. L’Algérie a-t-elle du mal à tourner la page de la «  décennie noire  » ?

Je ne suis pas sociologue et jusqu’à aujourd’hui, il n’y a pas à ma connaissance d’études vraiment sérieuses (historiques ou sociologiques) qui ont abordé la décennie noire et l’amnésie officielle qui s’est ensuivie. En ce qui me concerne, en tant que cinéaste, je ne fais qu’observer la société algérienne, ce qui me permet de raconter des histoires (fictions) qui collent plus ou moins à la réalité du moment. En 2012, au moment des «  révolutions arabes  » (Égypte, Tunisie, Libye), le problème de l’amnésie en Algérie remonte à la surface. On commence à en parler dans la presse.

En 1999, après les négociations entre l’armée et les «  maquisards  » de l’Armée islamique du salut, suivie par l’instauration de la concorde civile, alors que nous découvrons un personnage nouveau au sein de la population algérienne, le «  repenti  », je lis dans un journal algérien une lettre de lecteur relatant l’histoire horrible qui allait donner naissance au scénario du Repenti. Un ancien terroriste voulait monnayer avec une famille la visite de la tombe d’un enfant enlevé et assassiné dans les maquis. Je n’ai pu tourner le film qu’en 2012. Dans la société algérienne et particulièrement parmi les personnes touchées dans leur chair par le terrorisme, l’idée même d’une concorde civile imposée était unanimement rejetée dès son instauration. D’autant plus qu’on découvre que ces fameux «  repentis  », qui ont semé la terreur pendant une décennie, réintègrent la société, ouvrent des commerces et constituent petit à petit une nouvelle bourgeoisie islamiste.

Quels messages avez-vous tenté de communiquer dans Le Repenti ?

En fait, je n’essaie pas de passer des messages dans mes films, ni de placer dans les dialogues de mes personnages des slogans, comme c’est le cas dans de nombreux films algériens ayant pour thème la guerre de libération nationale. Je me contente de raconter des histoires où il est question de personnages qui viennent du réel et qui vivent leurs contradictions.

Aujourd’hui, vingt ans après le vote de la loi sur la concorde civile, comment percevez-vous l’évolution de la société algérienne face à l’extrémisme ?

Je remarque simplement que la société est profondément islamisée, en particulier au sein des nouvelles générations, dont la majorité est issue de «  l’école fondamentale  ». J’ai d’ailleurs pu m’en apercevoir en tournant mon film Enquête au paradis (2017) à travers les questions que je posais et les réponses assez surprenantes que je recevais. Si nous sentons la pensée islamiste dans les discours quotidiens, l’extrémisme n’est jamais évoqué publiquement, donc, encore une fois, seule une étude sociologique peut répondre à cette question.

Votre film n’est pas sorti en salle en Algérie. Avez-vous le sentiment de ne pas pouvoir communiquer aussi directement que vous le voudriez avec le peuple algérien ?

En fait, il n’y a pratiquement plus de salles en Algérie (il en reste quelques-unes dans les grandes villes) et la fonction de distributeur, qui est le «  passeur  » entre le public et nous, a disparu, donc les films algériens ne sont visionnés que lors d’avant-premières officielles ou durant les quelques festivals qui existent çà et là et qui ­n’attirent qu’un maigre public cinéphile. Depuis des décennies, on parle de rénovation des anciennes salles, d’ouverture de multiplex, mais rien n’est fait. Nous ne pouvons donc pas vraiment parler d’une communication du cinéaste avec son public, comme c’était le cas dans les années 1970-1980. Mes films n’existent que s’ils sont sélectionnés dans des festivals internationaux ou distribués dans des pays européens. Sinon, il ne se passe rien. Les Algériens ne connaissent que mes premiers films. J’évoque souvent, dans mes interviews, ma frustration d’avoir perdu mon public.

Vous n’avez reçu aucune aide financière pour Le Repenti. Comment cela se fait-il ?

Effectivement, après le film Harragas (2009), très mal accueilli par les autorités culturelles en Algérie car dévoilant des faits qu’on n’avait pas envie de voir, j’ai tourné un film très personnel, sans aide du ministère de la Culture, puis j’ai déposé une demande d’aide pour Le Repenti. J’ai reçu une réponse négative du ministère qui évoquait le film Harragas et qui trouvait le sujet du «  repenti  » ambigu. J’ai quand même pu le réaliser avec des moyens dérisoires. Lorsque ce film est passé au Festival de Cannes, il y a eu beaucoup de critiques négatives de la presse algérienne.

Le Repenti est-il une critique directe de la loi sur la concorde civile ? Est-ce un film politique ?

Tous mes films sont politiques car j’observe la société algérienne sans faire de concessions. Effectivement, Le Repenti est une critique de cette loi imposée, qui laisse les familles victimes du terrorisme dans le désarroi, d’autant qu’il n’y a eu aucun débat sur cette période tragique.

Dans Le Repenti, vous abordez la réintégration des extrémistes dans la société algérienne, alors que dans Harragas, vous traitiez de l’émigration des jeunes vers les pays occidentaux. Aujourd’hui, le peuple algérien manifeste dans les rues pour mettre en place un État de droit. Peut-on parler d’une évolution de l’Algérie vers une maturité politique ?

Avant le 22 février, début du Hirak, grand mouvement de contestation du peuple algérien, j’étais très pessimiste et je craignais une nouvelle flambée de violence généralisée, tellement la tension était grande en Algérie. J’ai donc été, comme beaucoup de gens, agréablement surpris par ces manifestations pacifiques et cette maturité politique, qui jusqu’à aujourd’hui ne faiblit pas, malgré toutes les tentatives habituelles d’étouffement. La prise de parole des Algériennes et des ­Algériens est quelque chose de formidable et je pense que nous ne pouvons plus revenir en arrière…

Propos recueillis par Nora Boudghène, le 27 novembre 2019 dans le cadre du programme d’enseignement “Middle Eastern Cinema and Politics” (Dr Diana Gonzalez-Duclert) de Sciences Po.

Nora Boudghène

Étudiante à l’École d’affaires internationales de Sciences Po Paris et diplômée de McGill University au Canada en psychologie et sciences du comportement, elle s’intéresse notamment à la politique culturelle du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.

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