
Nous sommes captifs. L’arrestation de Taraneh Alidousti en Iran
À l’instar d’Alidousti, les artistes iraniens qui soutiennent la révolution subissent la répression du régime.
Aujourd’hui, en Iran, un tweet ou un post de protestation contre le régime sur Instagram suffit pour être emprisonné, surtout si vous êtes une personnalité publique. Si vous ne restez pas silencieux face à la discrimination et à la répression, vous encourrez les pires conséquences, la prison étant le sort le plus supportable. La torture physique et mentale, les agressions sexuelles et les viols, les aveux forcés à la télévision et les exécutions sont des mesures utilisées pour réprimer les manifestants. Aujourd’hui, cependant, après le décès de Mahsa Jina Amini le 16 septembre 2022, le temps de la tolérance et de la peur des Iraniens du régime islamique des mollahs est terminé. De nombreuses célébrités iraniennes prennent d’importants risques. L’une d’elles est Taraneh Alidousti qui a critiqué le gouvernement même bien avant le mouvement révolutionnaire actuel, mais cette fois-ci au milieu des protestations, son objection contre le hijab obligatoire et l’exécution des manifestants lui coûtent trop cher. Son arrestation à la date du 17 décembre 2022 (devant sa petite fille), et les trois semaines qu’elle a passé en isolement en prison, a été un lourd prix qu’elle a dû payer suite à son engagement. Bien qu’elle ait été libérée sous caution le 4 janvier 2023, elle doit encore attendre son procès et n’a ni le droit d’exercer une activité professionnelle ni de quitter le pays.
Après la révélation du mensonge de la République islamique d’Iran sur la « véritable » raison du crash de l’avion PS 752 d’Ukraine International Airlines (des tirs de missiles par la défense anti-aérienne iranienne contre les forces américaines en Irak) en janvier 2020 et la mort de 176 personnes (dont la plupart étaient iraniennes), Alidousti avait écrit sur sa page d’Instagram, le 12 janvier 2020 : « Je me suis longtemps battue avec cette idée et je n’ai pas voulu l’accepter. Nous ne sommes pas des citoyens. Nous ne l’avons jamais été. Nous sommes captifs, des millions de captifs. » Dans ce message, elle évoquait à la fois le deuil de ces 176 personnes mais aussi celui de toutes celles qui ont été tuées en novembre 2019 durant les manifestations contre l’augmentation du prix du carburant et pour dénoncer les conditions économiques et sociales du pays. Les manifestants ont été confrontés aux répressions les plus sévères du régime d’Iran : au moins 1 500 personnes ont été tuées et beaucoup ont été emprisonnées.
Alidousti, une actrice de 39 ans, est notamment connue pour sa collaboration avec Asghar Farhadi, cinéaste primé aux Oscars et au Festival de Cannes pour Les Enfants de Belle Ville (2004), La Fête du feu (2006), À propos d’Elly (2009) et Le Client (2016). Ses autres films marquants sont Canaan (2008) et Subtraction (2022) de Mani Haghighi. Récemment, Leïla et ses frères (2022), réalisé par Saaed Roustaee, a été présenté en compétition au Festival de Cannes 2022. Elle a reçu le Léopard de la meilleure interprétation féminine au Festival de Locarno et le Simorgh de cristal du festival de Fajr pour sa première interprétation au cinéma dans Je suis Taraneh, quinze ans (2002, réalisé par Rasoul Sadrameli), alors qu’elle n’avait que dix-huit ans.
Plus jeune, Alidousti travaillait comme musicienne : elle jouait de la clarinette et du piano au conservatoire de musique de Téhéran. Par ailleurs, ses nouvelles ont été publiées dans des revues et des journaux comme le journal Shargh (شَرق) et sur son blog personnel (Spotlight). En 2010, suite à son soutien à Asghar Farhadi et des artistes dissidents, son blog a été supprimé sur ordre de la commission de censure gouvernementale de l’Iran. Alidousti a également traduit une nouvelle d’Alice Munro, Le Rêve de ma mère (2012). Mais Alidousti est surtout une militante féministe. Elle a été l’une des initiatrices de la campagne des « 800 femmes » (déclaration des cinéastes iraniennes au début de 2022 sur le harcèlement et les violences sexuelles dans le cinéma iranien). Elle a déclaré à propos de la situation des femmes en Iran : « Quand tout est interdit, cela signifie que vous vous battez depuis que vous vous réveillez le matin… et cela rend votre vie illégale, à contre-courant. »
Alidousti est devenue plus active dans le mouvement révolutionnaire iranien après le meurtre de Mahsa Jina Amini par la police des mœurs d’Iran. Elle écrit, le 6 novembre 2022, sur son compte Instagram : « Je resterai, j’arrêterai de travailler, je soutiendrai les familles des prisonniers et de ceux qui ont été tués, et je défendrai leurs droits. Je me battrai pour “ma maison”, je paierai n’importe quel prix pour défendre mes droits et, surtout, je crois en ce que nous construisons ensemble aujourd’hui. » Trois jours plus tard, Alidousti publie une photo d’elle sans voile, alors même que celui-ci est obligatoire, tenant entre ses mains le slogan de la révolution iranienne : « Femme, vie, liberté ! »
Elle est arrêtée le 17 décembre 2022 en raison de sa participation présumée à une manifestation contre l’exécution de Mohsen Shekari, et son compte Instagram, suivi par environ 8 millions de personnes, a été suspendu. Alidousti a été mise en isolement carcéral dans la prison d’Evin, où de nombreux autres prisonniers politiques ont été emprisonnés : notamment les cinéastes Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof, les documentaristes Firouzeh Khosrovani et Mina Keshavarz, les actrices Katayoun Riahi et Hengameh Ghaziani, des gens de théâtre Hamid Pourazri et Soheila Golestani, et le rappeur Toomaj Salehi.
Après sa détention, différentes personnes et institutions ont demandé sa libération, dont les festivals de Cannes, Locarno, Berlin et Rotterdam, ainsi que l’Académie européenne du cinéma. Des cinéastes et des actrices comme Ken Loach, Pedro Almodóvar, Asghar Farhadi, Robert De Niro, Juliette Binoche et Marion Cotillard ont aussi soutenu Alidousti. L’acteur et le cinéaste américain Mark Ruffalo a publié sur son compte Instagram une lettre ouverte signée par plus de six cents artistes afin de réclamer la libération de Taraneh Alidousti.
Alidousti a finalement été libéré sous caution mercredi 4 janvier 2023 après avoir passé trois semaines en détention. Sur certaines photos publiées sur Twitter, nous la voyons sans voile, même après sa libération devant la prison.
Le prénom Taraneh signifie « chanson » en persan. Elle a chanté à haute voix le chant de la liberté, sachant la conséquence de ses protestations : être bannie du monde du cinéma, interdite de sortie de son pays, voire emprisonnée. Maintenant que cette mélodie s’est diffusée en Iran et tout le monde veut la chanter, aucun pouvoir n’est en mesure de la faire taire.