Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Dans le même numéro

Position – Les Roms et le silence du président

novembre 2013

#Divers

Le drame du naufrage du 3 octobre 2013 au large de Lampedusa, qui a provoqué la mort de 360 migrants, met en relief la différence de comportement du pouvoir politique en France et en Italie. Le président de la République italienne a immédiatement réagi en déclarant :

Le pape François a parlé de « honte », je peux ajouter « honte et erreur ». […] Je crois qu’il faut rapidement vérifier si les lois en cours ne font pas obstacle à une politique d’accueil digne de notre pays1.

En France, le ministre de l’Intérieur déclare, lui, que la majorité des Roms doit être reconduite à la frontière et que nous ne sommes pas là pour accueillir ces populations car les Roms ne sont qu’une minorité à vouloir s’intégrer en France. Il veut ainsi se faire l’écho de l’exaspération des populations et de leurs édiles.

La Roumanie fait cependant partie de l’Europe, a rappelé la commissaire européenne Viviane Reding, et tous les citoyens de l’Union européenne ont le droit de circuler librement. Elle a accusé Paris de comportement électoraliste, en quoi elle n’avait pas tort. En effet, l’opinion française est « exaspérée » : tous les sondages le disent. Les maires socialistes sont embarrassés et partagent les opinions de Manuel Valls. François Hollande le sait bien, ce qui le conduit au silence.

C’est Cécile Duflot, lors des Journées parlementaires de son camp, qui s’est opposée à Manuel Valls en rappelant que le gouvernement actuel ne pouvait pas reprendre les méthodes de Sarkozy. Qu’en a dit François Hollande ? Rien : il a appelé le gouvernement à la « responsabilité », à la « solidarité » et à la « collégialité2 » ; il ne prend pas position. Contrairement à ce qui se passe en Italie où c’est le président de la République qui a exprimé le sursaut moral indispensable, celui-ci est venu en France d’une ministre et le président français de la République s’est tu, pris dans les contradictions des luttes ministérielles.

Revenons au problème des Roms : en banlieue, dans le Val-de-Marne, on voit beaucoup de campements de Roms le long de la Seine ou sous les arches des voies rapides. On les rencontre dans les rues en train de fouiller les poubelles pour en extraire des objets en métal qu’ils ramènent à leur camp dans des processions de caddies. Est-ce vraiment « exaspérant » de voir ouvrir sa propre poubelle (qu’ils ont d’ailleurs soin de ne pas vider sur le trottoir) ? Est-ce « exaspérant » de voir renaître les professions de chiffonnier et de ferrailleur ? Peut-être, si l’on croit que ce n’est pas digne d’un pays développé où le recyclage doit passer par des ramassages spécifiques et des déchetteries spécialisées et non par des chiffonniers qui s’inventent un métier en triant eux-mêmes les ordures, ce que ne font pas les particuliers. Mais n’est-ce pas s’intégrer que de s’inventer un métier dans le pays où l’on s’implante ?

Le problème de l’« exaspération » est tout autre, il est dans l’attitude de la population qui est gênée non pas par ce que font les Roms, mais par leur existence même, par leur différence, par leurs roulottes auprès desquelles le linge est pendu sans honte, par leur proximité physique avec les déchets dont ils absorbent en quelque sorte la déchéance. Il s’agit à ce niveau non d’un problème politique mais d’un problème moral : face à l’étranger, l’indifférence n’est pas possible, on ne trouve que l’hostilité ou l’hospitalité, belle réminiscence de leur proximité étymologique qui caractérise l’ambiguïté des comportements face à l’étranger, hôte ou ennemi. On passe en un instant de l’une à l’autre attitude : il suffit d’apprendre qu’un enfant déjà scolarisé ne le sera plus quand le camp de ses parents sera détruit pour prendre le parti des Roms ou inversement de tomber dans le rejet en apprenant qu’un vol a été commis à proximité par des « ressortissants de l’Est ».

C’est ici que le discours d’un président de la République s’impose : il pourrait dire, comme le président Giorgio Napolitano en Italie, que l’attitude de rejet des Roms est une « honte » et de plus une « erreur ». Une « honte » car s’il est un universel moral qui transcende toutes les croyances, c’est bien celui de cet accueil nécessaire aux étrangers que l’on trouve déjà chez Homère dans l’Odyssée : « étrangers, mendiants, tous nous viennent de Zeus » (chant XIV) ; on le trouve bien entendu dans l’Évangile et dans le Coran mais c’est également un thème de la philosophie des Lumières. Une « erreur » car l’apport étranger n’a jamais entraîné d’appauvrissement.

Cette honte et cette erreur sont bien indignes de la « politique d’accueil […] de notre pays ». En effet, la politique doit suivre la morale et non le contraire comme aujourd’hui en France où s’impose une politique qui se veut gestionnaire des exaspérations.

C’est ici que la différence d’organisation politique entre Italie et France laisse voir ses conséquences néfastes. C’est en effet à la plus haute autorité de l’État qu’il appartient de tenir le langage de la morale, de la dignité du pays, de son intérêt à long terme : le président doit être affranchi des difficultés de mise en œuvre de ses paroles, qui doivent être adaptées à la situation par le gouvernement. Ce dernier est confronté au terrain, à la réticence des municipalités ou au contraire à leur souci de faire tout leur possible pour intégrer localement les Roms, en particulier pour accueillir leurs enfants à l’école.

En France, celui que la constitution désigne comme arbitre joue en fait le jeu d’un chef de parti et d’un chef de gouvernement ; en Italie, il a un rôle moral mais aussi un rôle d’arbitre entre les partis, comme on le voit à propos de l’élimination politique de Berlusconi. Il suffirait, à la prochaine élection présidentielle, qu’un parti en France désigne une personnalité retirée de la politique active mais disposant d’une autorité morale pour qu’elle soit élue, car cette candidature casserait l’opposition des partis. Cet arbitre désignerait ensuite comme Premier ministre le chef du parti majoritaire, comme dans beaucoup de pays européens. On pourrait ainsi entendre un président de la République nous rappeler notre devoir et un Premier ministre responsable de la politique à suivre ferait alors son possible pour mettre en œuvre ce qui est moralement souhaitable.

14 octobre 2013

  • 1.

    La Repubblica, 4 octobre 2013.

  • 2.

    Le Monde, 4 octobre 2013.