Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Dans le même numéro

Positions – Sortir de la monarchie républicaine

octobre 2014

#Divers

De Mitterrand à Hollande, la chronique politique s’emplit à ce point de la vie privée du président en exercice que l’on doit penser qu’il ne s’agit pas d’un malheureux choix de personnes mais d’une contrainte du système électoral lui-même. La conquête et l’exercice de la charge présidentielle rendent nécessaire une volonté de pouvoir qui a des conséquences désastreuses.

Le Général nous a légué un système dont il est bien difficile de se débarrasser car il est la clé de voûte du régime politique français. Des tenants d’une VIe République ont créé une convention à cet effet mais ils n’étaient pas entendus jusqu’à présent : la situation a changé. Certains au Parti socialiste envisageraient de proposer un candidat à la prochaine élection présidentielle qui présenterait un programme de réforme des institutions allant dans le sens d’une baisse de l’influence du président.

Est-il nécessaire de modifier la constitution par une réforme constitutionnelle en bonne et due forme ? On sait qu’une forme institutionnelle peut tout aussi bien se réformer par la pratique et, dans le cas de la constitution actuelle, c’est d’autant plus vrai que la lettre de la Constitution le permet. Son article 5 indique les missions du président de la République : faire respecter la Constitution, assurer le fonctionnement des pouvoirs publics, etc., mais ce même article n’envisage qu’un seul moyen pour lui permettre de les remplir : il s’agit de l’arbitrage. Le président de la République « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État ».

Un arbitre, c’est quelqu’un qui, pour reprendre la métaphore sportive, est « au-dessus de la mêlée » : il doit bien connaître les règles du jeu (ainsi que les mauvais coups qui s’y donnent parfois afin de pouvoir s’y opposer), mais il doit être aussi suffisamment distancié pour ne pas être juge et partie. De telles qualités semblaient jusqu’à ce jour impossibles à envisager puisque, depuis le début de la Ve République, les candidats à la présidence (ainsi que les candidates d’ailleurs) avaient toujours envisagé de n’être pas des arbitres mais bien plutôt des responsables des orientations politiques du pays.

Un arbitre laisserait le Premier ministre faire ce qui est prévu par la Constitution : celui-ci « dirige l’action du gouvernement » (article 21), lequel gouvernement « détermine et conduit la politique de la Nation » (article 20). En période de cohabitation, c’est d’ailleurs ce qui se passe effectivement et la Constitution ne fait là que fonctionner selon sa lettre. En cas de difficulté majeure, l’arbitre présidentiel devient un recours ultime pour dénouer les crises graves.

Si l’on voulait seulement modifier la pratique de la Constitution (et non la Constitution elle-même), un scénario pourrait être d’abord d’annoncer à l’avance le but poursuivi et de choisir un candidat qui ait le sentiment d’avoir réalisé sa carrière et qui trouverait dans ce rôle d’arbitre une consécration, une reconnaissance de tous (reconnaissance qui serait d’ailleurs annihilée s’il sortait de son rôle).

Prenons l’exemple de la tentative de la candidature de Jacques Delors à la présidentielle de 1995 : la pression a été vive sur celui qui, comme représentant de l’Europe, avait atteint un niveau de notoriété et de reconnaissance qu’il ne voulait pas voir remettre en cause. S’il n’a pas voulu être candidat, c’est qu’il lui aurait fallu refaire une nouvelle carrière avec tous les risques et les fatigues que cela comporte : il y a donc renoncé alors qu’il avait de bonnes chances d’être élu. S’il avait pu envisager un simple rôle d’arbitre, laissant à un Premier ministre de gauche celui de dirigeant réel de la politique, il aurait pu voir dans la présidence un couronnement de sa carrière. Il y aurait trouvé une reconnaissance supplémentaire et aurait joué le rôle d’un chef d’État analogue à ce qui se passe dans beaucoup de pays. Chez nous, il aurait pu être la conscience morale d’une gauche parfois oublieuse de ses valeurs et le garant, comme proche du centrisme, des principes de communauté et de respect, dans lesquels la droite aurait pu se reconnaître.

L’avantage de l’adoption de ce pacte d’arbitrage est que le premier camp qui s’y résout a de bonnes chances de gagner. Comme l’a montré la candidature de Jacques Delors, une candidature d’arbitrage aurait l’assentiment des Français, elle les rassurerait et, entre un candidat qui vise à représenter l’ensemble des Français dans une situation d’arbitrage et qui donc va recruter des électeurs dans les deux camps, et des candidats qui paraîtraient partisans, le choix sera simple.

Reste le cas où dès le premier tour, chaque camp proposerait un candidat arbitre : dans cette éventualité, ils viseront le même public et en viendront à se ressembler au point que la décision n’aura plus grande importance.

On objectera que cette situation d’arbitre est incompatible avec le fait que le président de la République soit le chef des armées et dispose d’un « domaine réservé » : mais le président de la IVe République était lui aussi chef des armées, il accréditait le personnel diplomatique et présidait le Conseil des ministres. Quant au domaine réservé, il s’agit d’une pratique, qu’une autre pratique peut donc modifier, puisque c’est le Premier ministre qui « dispose de la force armée » et que c’est le gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la Nation ». On voit là que la lettre de la Constitution est tout à fait compatible avec la notion d’un président arbitre qui laisserait au Premier ministre le soin de régler la politique tant étrangère qu’intérieure de la France.

Enfin, comment être sûr que le président élu respecterait le pacte d’arbitrage ? Évidemment, l’âge du candidat est un bon élément du choix afin d’éviter les risques d’une « remontée d’ambition ».

Ce qui a plu aux Français dans la cohabitation, c’est que le pouvoir n’y est plus absolu : celui qui commande a au-dessus de lui un individu, choisi par tous et donc légitime, qui peut par sa parole rappeler des vérités politiques difficiles à entendre et qui pourrait, si la situation devenait dramatique, jouer un rôle de garant du bon fonctionnement des institutions. Gardons cet aspect en proposant un futur candidat qui assume un pacte d’arbitrage.

Un autre scénario serait possible si aucun parti important ne se décidait à vouloir modifier la pratique constitutionnelle en proposant un président arbitre, ce serait de provoquer une cohabitation dès l’élection présidentielle en ne dotant pas le président nouvellement élu d’une majorité parlementaire. Si gauche et droite présentent un candidat standard, il pourrait être efficace de faire voter pour un candidat émanent du centre (Bayrou peut-être).

Choisir comme président un homme du centre ne serait électoralement possible que s’il était bien entendu que chacun reprendrait sa liberté aux législatives. Par ce geste, on priverait le président de son pouvoir souverain pour ne lui laisser que son rôle de représentation. Le chef de la majorité deviendrait le chef du gouvernement, selon la Constitution. Est-ce de la politique-fiction ? Il semble que l’électeur calculateur soit désormais présent dans les élections et qu’il soit capable (surtout si on l’y incite) de voter d’une manière stratégique.

Le Général s’est taillé une constitution pour son usage personnel, laissant Pompidou gérer l’intendance, tentant de ne reprendre la main qu’en cas d’événement grave, comme en 68. Ses successeurs ne peuvent lui ressembler en tous points. Il faut qu’ils appliquent à la lettre la Constitution qu’il nous a léguée, faute de pouvoir s’identifier à lui, ce qui est non seulement difficile mais certainement pas souhaitable. Ce dont la République a besoin, comme en Italie ou en Allemagne, c’est d’un arbitre respecté et d’un gouvernement qui soit issu des élections sans qu’il ait à passer par l’assentiment d’un monarque, fût-il républicain.