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Les Balkans occidentaux avant les élections européennes

juin 2009

#Divers

La crise économique accaparant les esprits, les Balkans occidentaux occuperont une place limitée dans la campagne pour les élections européennes (7 juin 2009). Il est vrai qu’une évocation rapide et simplifiée de leurs problèmes aurait pour premier effet de conforter une défiance qui est partagée par la majorité des électeurs. Malgré quelques résultats positifs, l’intégration européenne des sept pays concernés – pourtant un des objectifs collectifs de l’Union européenne depuis le sommet de Thessalonique de 2003 – marque le pas1.

Un paysage sombre, obscurci par la crise

Les élections législatives au Monténégro (février) et générales en Macédoine (mars) se sont déroulées dans le calme et la transparence. Sont confirmées des personnalités – Milo Djukanovic premier ministre monténégrin et Gjorgjli Ivanov nouveau président de la Macédoine – ainsi que des majorités tournées vers l’Europe et l’Occident, lesquelles acceptent, en principe, les réformes nécessaires à la modernisation.

L’Albanie, qui avait déposé sa candidature au sommet de Prague, vient de franchir une étape puisque le 22 avril, le Conseil européen a ouvert la procédure d’accès au statut de candidat reconnu. L’intégration atlantique s’est également renforcée avec l’entrée de la Croatie et de l’Albanie dans l’Otan.

Des blocages intentionnels subsistent néanmoins. La Grèce refuse que la Macédoine porte ce nom qui, selon elle, appartiendrait en exclusivité à l’histoire hellène. De la Croatie, la Slovénie exige un accès direct à la haute mer et des rectifications de la frontière terrestre. En Bosnie-Herzégovine, Milorad Dodik, leader de la Republica Srpska (RS), s’oppose aux réformes centralisatrices. Belgrade déploie une inlassable activité diplomatique pour empêcher la reconnaissance du Kosovo2. Dans les Balkans occidentaux, la solidarité régionale est négative. Au sein de l’Union européenne, les Pays-Bas jouent le rôle du Commandeur ; ils demandent à Belgrade de tenir ses engagements et de transférer deux responsables poursuivis, dont le général Mladic, avant toute nouvelle avancée vers Bruxelles3.

L’entrée en 2004 de dix nouveaux membres a provoqué un fort désenchantement parmi les 27 qui ont constaté une faible prise en compte des conseils de la Commission, l’impréparation manifeste de certains pays, les insuffisantes capacités d’absorption des normes européennes, une justice dépendante, une profonde corruption… L’Allemagne de la chancelière Merkel demande une pause dans l’élargissement, laquelle s’impose, en tout état de cause, puisque le traité de Lisbonne n’est pas encore ratifié par tous les 27.

Les inquiétudes sécuritaires viennent noircir ce tableau. La Cia place les Balkans occidentaux parmi les cinq régions à risques du monde. Le crime organisé y est bien installé. Le nationalisme et la haine ethnique y sont toujours vivaces. Les Croates se regroupent sur eux-mêmes devant le chantage slovène et la réaction qu’ils jugent bien tardive de l’Union européenne. Les Macédoniens exaltent leur ancêtre Alexandre le Grand. Dobrica Cosic, écrivain serbe et idéologue, a franchi une ligne rouge en qualifiant les Albanais du Kosovo de « lie sociale, politique et morale… [de] sauvages tribaux… [de] rebut des Balkans4 ». Des leaders politiques et des hommes d’affaires poursuivis pour corruption, malversations ou incitation à la haine bénéficient dans leur pays d’une sorte d’immunité. À l’avance, les autorités du Kosovo rejettent les accusations portant sur les camps de l’Armée de libération (Uck) pendant la guerre. Au fur et à mesure que se préparent les intégrations, l’Union européenne découvre des difficultés nouvelles et ajoute des conditions supplémentaires. Pour les candidats potentiels, l’Europe apparaît comme une cible qui s’éloigne.

Le climat est alourdi par la crise. Aucun pays n’est épargné : baisse rapide des exportations ; arrêts des investissements étrangers ; diminution du tourisme (moins 10 % sur la côte dalmate) ; contraction des transferts venant des diasporas ; fragilité d’un système bancaire détenu à 80 % par des établissements étrangers en difficulté ; endettement en devises fortes. Les licenciements, la montée du chômage et le malaise social retardent les réformes de structure.

Des mesures courageuses ont bien été prises par des gouvernements : constitution de provision budgétaire, réduction des dépenses publiques, gel ou diminution des traitements officiels, etc. Cela risque d’être insuffisant et les opinions publiques, devenues dépendantes de l’extérieur, accuseront l’Occident d’égoïsme. Ce qui serait injuste. Pour les trois années à venir, figurent dans le budget européen plus d’un milliard d’euros d’aides (soutiens budgétaires et crédits de pré-adhésion) et la Conférence des donateurs réunie à Paris en juillet 2008 a recueilli 1, 2 milliard d’euros pour le Kosovo.

Les difficultés héritées

Deux problèmes plombent la région. À Dayton, en 1995, les gouvernements occidentaux se sont trompés. L’arrêt des combats, la territorialisation des ethnies et le temps ne suffisent pas à pacifier les esprits. Un État multiethnique ne s’est pas constitué en Bosnie. Le successeur de Karadzic, Milorad Dodik, jugé malléable et réaliste par Washington, est devenu un homme d’affaires qui a transformé la Republica Srpska en une entreprise politique et économique personnelle. Pour préserver cette rente territoriale, lui et son équipe s’opposent à toute réforme qui renforcerait l’État de Bosnie-Herzégovine aux dépens de ses deux composantes, la Fédération et l’Entité serbe. L’octroi en 2008 d’un Accord de stabilisation et d’association (Asa), étape nécessaire dans le processus d’intégration, n’a pas fait avancer les choses, sinon en paroles (négociations dites de Prud). Un nouveau haut représentant international et européen, Valentin Inzko, vient d’être désigné. Les 27 hésitent sur les instructions à lui donner pour sauver la Bosnie-Herzégovine de l’anarchie, du sous-développement, de la corruption, de la fragmentation et d’une sécession. Ils hésitent aussi sur le schéma institutionnel à donner à la présence internationale et envisagent d’associer les trois fonctions (haut représentant, chef de la délégation de la Commission et représentant spécial de l’Union européenne).

L’indépendance du Kosovo divise les 27 et la communauté internationale5. Cinquante-huit États l’ont reconnue, le dernier étant l’Arabie Saoudite. La Russie la condamne avec des accents de guerre froide. Ce désaccord risque de durer au-delà de l’avis de la Cour de justice internationale qui ne sera donné qu’en 2010. Par souci de cohérence, le Parlement européen a recommandé à ses membres qui ne l’ont pas fait d’accepter le nouvel État (vote en février 2009 : 424 députés pour ; 133 contre et 24 abstentions). Le 9 juin, le Fmi a annoncé que le Kosovo deviendrait son 186e membre ; l’adhésion à la Banque mondiale devrait suivre.

Pourtant, dans les faits, on constate un début d’assouplissement. Le gouvernement serbe proclame, haut et fort, qu’il ne reconnaîtra jamais le Kosovo, même si la Cour de justice déclarait son indépendance légale mais il précise qu’il ne luttera qu’avec des moyens juridiques et diplomatiques. Alors que le Kosovo est toujours sous la responsabilité de l’Onu, le président Tadic accepte que les pouvoirs internationaux soient exercés par l’Union européenne (Eulex) et que la Minuk (Onu), restructurée à la baisse, se borne à observer et à cautionner. Chargée d’établir un État de droit (justice, police et douanes), Eulex est opérationnelle depuis le 6 avril et, en théorie, sur l’ensemble du Kosovo. Les structures parallèles serbes demeurent, mais Belgrade réduit leur financement ; elle cherche aussi à remplacer les éléments radicaux par des modérés et invite les policiers kosovars serbes à rejoindre leurs collègues albanais. Les Autorités serbes semblent disposées à préparer avec l’Union européenne leurs visites au Kosovo.

Pour sa part, le gouvernement de Pristina s’emploie à montrer son autorité à des Kosovars qui supportent de plus en plus mal les interventions extérieures. En l’absence d’une politique économique globale, il réalise, avec un succès certain, des équipements publics de proximité (écoles, routes, cœurs de villes, etc.). Il commence à lutter contre la corruption. Mais quelle loi appliquer dans le Nord et dans les enclaves serbes ? Comment décentraliser l’administration des zones serbes sans perte de souveraineté ? Le partage des compétences entre l’autorité kosovare et les institutions internationales n’est pas évident. Pristina, qui détient un pouvoir souverain de décision, veut appliquer le plan Athisaari et la Constitution mais, en ce domaine, elle ne peut compter que sur elle-même, l’Oic et l’Usaid. Les autres institutions – Minuk, Eulex et Osce – doivent rester neutres. Toutefois, pour rétablir l’ordre public au nord de l’Ibar (Mitrovitca), Pristina doit faire appel à Eulex et à la Kfor – qui dépend de l’Otan6.

Des signes de réalisme viennent aussi du côté de la communauté internationale. Skender Hyseni, ministre des Affaires étrangères du Kosovo, a participé en personne au dernier Conseil de sécurité de l’Onu. La présidence tchèque l’a invité à une réunion informelle avec ses collègues de l’Union européenne.

Perspectives en temps de crise

Les tensions et l’incertitude encouragent des regroupements dans les Balkans occidentaux. La Serbie tient à montrer qu’elle n’est pas isolée. Tout en proclamant qu’elle veut rejoindre l’Union européenne, elle courtise les non-alignés et affiche sa coopération énergétique (gazoduc South Stream) et commerciale (accord de libre-échange) avec la Russie.

Les autorités kosovares se tournent vers l’Albanie (absence de visa, accord de libre-échange, autoroute de désenclavement et attribution du port de Shën Gjin) et la Macédoine. Entre les trois capitales, les relations politiques et diplomatiques se développent7. Un ensemble albanais (5 millions de personnes, sans compter les diasporas) se cherche, qui pourrait devenir une force politique régionale. L’attitude passéiste et négative de Belgrade vis-à-vis des Albanais du Kosovo encourage cette « menace verte » contre laquelle se mobilisaient les nationalistes serbes après la mort de Tito.

L’échec en Bosnie-Herzégovine et l’insuffisance des progrès ailleurs inquiètent. La Grèce, la Slovaquie et l’Italie, qui soutiennent la Serbie, demandent une accélération des procédures d’adhésion. Le Parlement européen dénonce le comportement de toute la classe politique bosniaque ainsi que la passivité des 27 (résolution du 24 avril). Fin 2008, deux spécialistes, l’Américain Richard Holbrook et le Britannique Paddy Ashdown, ont lancé un cri d’alarme : « Les Balkans sont rongés par une dynamique destructrice ! » À Prague, lors du sommet de l’Otan (avril 2009) et pendant sa visite à Ankara, le président Obama s’est dit convaincu de « la nécessité de poursuivre l’intégration européenne et de parfaire l’intégration atlantique ». La Commission tente de répondre aux impatiences locales en travaillant à une libération, modulée par pays, du régime des visas de Schengen. Les critères seront les dispositions juridiques et matérielles effectivement prises par chacun d’entre eux. Il y aura des laissés-pour-compte, des frustrations et de nouvelles barrières. Belgrade espère bien être choisie à la fin de l’année.

*

Les élections européennes du 7 juin seront suivies avec intérêt dans les Balkans occidentaux mais sans plus. Les pays de la région connaissent les divisions des 27 et leur pusillanimité, aussi tournent-ils leurs regards vers les États-Unis. L’administration américaine a empêché que la Slovénie ne bloque l’entrée de la Croatie dans l’Otan ; elle a critiqué la réduction de la Kfor et ne semble pas écarter une révision des Accords de Dayton. La Chambre des représentants demande la désignation d’un envoyé spécial dans les Balkans. On veut voir dans la visite du vice-président Joë Biden une volonté de la Maison-Blanche de redonner aux États-Unis un rôle de leader dans la région comme au temps de Bill Clinton.

Le mieux qu’on puisse espérer de cette consultation européenne transétatique, c’est qu’elle permette aux électeurs de découvrir la gravité de la situation dans cette région de leur continent. La question est de savoir combien des candidats aborderont ce sujet dans leur campagne ? Et comment ? Le dossier des Balkans occidentaux est pourtant très plaidable. La population à accueillir représente 20 millions d’habitants, moins que la Roumanie (22 millions). Les habitants aspirent à rejoindre l’Europe. L’intégration favoriserait la lutte contre la corruption, une meilleure utilisation des fonds européens et un développement plus aisé des transports interétatiques locaux. On sait le rôle que jouent les échanges dans le retour à la paix civile et dans sa stabilité.

  • 1.

    Croatie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Kosovo, Macédoine, Albanie.

  • 2.

    Les enquêtes sur des camps de l’Armée de libération du Kosovo et sur de supposés trafics d’organes sont utilisées pour dénigrer les Albanais.

  • 3.

    Avec l’approbation muette de l’Allemagne, de la Belgique, de la Pologne, du Luxembourg, des États-Unis… et de plusieurs institutions humanitaires.

  • 4.

    Extraits de son dernier ouvrage Vreme Zmija (le Temps des serpents. Notes d’écrivain. 1999-2000).

  • 5.

    Cinq États membres ne l’ont pas reconnue : Espagne, Roumanie, Slovaquie, Grèce, Chypre.

  • 6.

    Il n’y aura pas de véritable lutte contre le crime organisé et la corruption sans l’aide des juges et des policiers d’Eulex.

  • 7.

    La Grèce gagnerait beaucoup à faire de Thessalonique une porte sur la Méditerranée pour le Kosovo et la Macédoine.