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Le Kosovo indépendant : des débuts difficiles

novembre 2008

#Divers

L’indépendance du Kosovo a été parachevée par l’entrée en vigueur, le 15 juin dernier, d’une Constitution approuvée par l’Assemblée parlementaire2. Depuis, le nouvel État fait face à d’importantes difficultés internes et externes.

Impossible de faire vivre des institutions démocratiques et d’édifier un État de droit sans un développement économique qui garantisse à une population, dont 45 % vit avec moins de 2 $ par jour, une amélioration sensible de son sort. Or, les indices socio-économiques ne sont guère encourageants : inflation et chômage en hausse, balance commerciale déficitaire, taux d’intérêt bancaires élevés, insuffisance des investissements étrangers que la crise financière pourrait encore réduire3. L’environnement général ne favorise pas les activités productrices : infrastructures insuffisantes, coupures d’électricité, économie grise et corruption. Le climat est morose.

Pourtant, les pays occidentaux, favorables à l’indépendance du Kosovo, ont tenu leur promesse. En juillet, à la conférence des donateurs réunis par la Commission, ils ont promis 1, 2 milliard d’euros pour financer les bases d’une économie moderne4. Faute d’avoir pu élaborer un plan global et sélectionner des priorités dynamisantes, le gouvernement d’Hashim Tachi a présenté un simple catalogue de projets. Les plus convaincants ont été retenus, dont l’énergie (187 millions d’euros), les routes (140 millions d’euros) et l’informatisation (100 millions d’euros)… Il a été décidé que les dons de l’Union européenne seraient gérés par la Commission. On attend maintenant des autorités kosovares qu’elles profitent de ces financements pour mobiliser leurs moyens d’action et mettre en confiance l’opinion publique. Mais la faiblesse des capacités d’absorption de l’administration freine le démarrage rapide espéré. En outre, l’adhésion des entrepreneurs locaux, existants ou potentiels, fait défaut car les projets en faveur du « secteur privé » ne sont pas assez encourageants.

L’acteur international

Qui, de l’Onu (Minuk) ou de l’Union européenne (Eulex), supervisera la souveraineté du Kosovo ? Le plan Martti Ahtisaari transférait cette mission à l’Europe. Le Conseil de sécurité n’ayant pas accepté cette dévolution à cause de la Russie, la Résolution 1244 demeure en vigueur et la Minuk reste, au Kosovo, la seule institution reconnue par le droit international. Elle est légale, mais son autorité n’est plus reconnue par le gouvernement et la population albanaise depuis la déclaration unilatérale d’indépendance (17 février). Après un délai de réflexion, Ban Ki Moon décida, au début de l’été, que l’Onu, empêchée d’exercer pleinement son mandat, réduirait le personnel de la Minuk (de 70 % environ à la fin du processus) et que les tâches abandonnées seraient confiées à l’Eulex, qui agirait sous la responsabilité de la Minuk. L’application de cette substitution à Mitrovica et dans plusieurs enclaves serbes serait précédée de négociations techniques entre son nouveau représentant sur place, Lamberto Zannier, et le gouvernement de Belgrade. Des solutions concrètes seraient recherchées à des problèmes quotidiens, urgents et sensibles, comme la police, la justice, les douanes, etc. Belgrade, encouragée par Moscou, refusa cette restructuration. Toute modification de l’institution chargée d’appliquer la 1244 devait être approuvée par la Serbie et le Conseil de sécurité. Néanmoins, pour preuve de sa détermination européenne, le gouvernement serbe accepta que des échanges aient lieu sur ces questions techniques. On n’en connaît pas encore les premiers résultats.

Deux écueils sont à éviter : un rattachement de facto à la Serbie de Mitrovica-nord et des trois municipalités adjacentes5 ; une « ethnicisation » des présences internationales : les agents de la Minuk opérant dans les seules zones serbes et l’Eulex partout ailleurs. La restructuration de la Minuk se heurte aussi à la mauvaise volonté de certains de ses agents. Le secrétaire général a dû faire preuve d’autorité. Au mois d’août, il a fait remettre à l’Eulex une partie des moyens de travail de la Minuk : bâtiments, matériels de bureau, véhicules, etc. Les élus locaux des Serbes sont divisés. Ceux de Mitrovica-nord refusent l’Eulex.

Ceux des enclaves, par calcul ou par réalisme, sont plus ouverts. En l’absence de décisions claires, les retards s’accumulent. Pieter Feith, représentant de l’Union européenne et responsable de l’Office civile international (Ioc) ainsi que le général Yves de Kermabon, en charge d’Eulex, assurent que celle-ci sera bientôt déployée dans tout le Kosovo. Un engagement dont l’application est souvent repoussée : automne, début de l’hiver, à présent fin de l’année. Il n’est pas certain que tous les membres de l’Union européenne, ayant reconnu le Kosovo, prodiguent à la Serbie les conseils et les encouragements qui seraient appropriés pour un pays qui veut faire partie de leur Union.

Quelle évolution en Serbie ?

La coalition au pouvoir en Serbie, qui ne peut ou ne veut pas accepter l’indépendance de l’ancienne province de Kosovo-Methoja, a fait rebondir le débat. Elle a obtenu, le 8 octobre, que l’Assemblée générale des Nations unies appuie sa demande que la Cour internationale de justice se prononce sur la légalité de la déclaration d’indépendance du Kosovo. Incontestable victoire de Belgrade et du président Tadic qui ont bénéficié de la solidarité de « pays non alignés » et de capitales du tiers monde6. L’Union européenne a étalé ses divisions : cinq votes – ceux des pays qui n’ont pas reconnu – en faveur de la Serbie et vingt-deux abstentions. Cependant, victoire aux conséquences encore incertaines ; la décision de la Cour, laquelle ne sera pas contraignante, n’est pas assurée. Si, comme le demandera la partie kosovare, tout le passé est évoqué, au droit d’un peuple à disposer de lui-même s’ajoutera le droit pour ce peuple de se protéger contre les violences de ses propres autorités. Les débats ne pourront pas être maintenus dans un cadre étroitement juridique. Les relations entre la Serbie et l’Europe n’en seront pas améliorées. Tout le monde sait à l’avance que les pays qui ont soutenu Prishtina ne reviendront pas sur leur décision. Enfin, les retards que va subir le processus d’adhésion entretiendront des tensions au Kosovo. Cette crispation des Serbes, encouragée par une partie seulement de l’Église orthodoxe serbe, démontre combien il leur est difficile de tourner la page et de penser l’avenir.

Ironie de l’actualité, au moment où Belgrade crie victoire, le Monténégro et la Macédoine, deux pays voisins et proches de la Serbie par l’histoire, reconnaissent en même temps le Kosovo en expliquant que leur décision apaisera les tensions qui existent dans la région. Tandis que Martti Ahtisaari reçoit le prix Nobel de la paix pour l’ensemble de ses missions de négociations, dont la dernière au Kosovo.

*

Le revers du gouvernement kosovar aux Nations unies, son manque d’allant en matière économique ainsi que les augmentations des indemnités des députés et de certains traitements au sommet de l’État (ces dernières finalement retirées) alimentent des commentaires négatifs. Des leaders de l’opposition, des personnalités de la société civile et des journalistes respectés jugent sévèrement la gestion générale de l’équipe de H. Tachi ; ils lui reprochent notamment les choix politiques de certains dirigeants d’entreprises publiques et la poursuite d’une corruption (routes, santé et justice) qui avait éclaboussé l’équipe précédente. La réserve et le consensus, qui étaient de mise avant l’indépendance, font place à une attitude critique d’autant plus vive que les promesses électorales avaient été mirifiques. Un groupe d’études réputé demande un contrôle parlementaire permanent sur la gestion des fonds publics7. Le Fmi, auquel le Kosovo est candidat, insiste sur une réduction des dépenses de l’État et la Commission européenne sur leur rationalisation. Ces critiques et ces exigences devraient avoir des conséquences positives. H. Tachi s’est engagé à faire de la lutte contre la corruption une priorité (juillet 2008).

Quant à la Serbie, elle devra rectifier sa stratégie. Elle ne peut pas demander une chose et son contraire ; faire partie de l’Union européenne et, au Kosovo, s’opposer à une politique européenne qui est urgente et bénéfique pour toute la population. Dopé par son succès aux Nations unies, le président Tadic doit accepter que l’Eulex, sous le masque de la Minuk ou à visage découvert, mette fin à l’anarchie qui sévit à Mitrovica et fasse avancer l’État de droit dans tout le Kosovo. Belgrade peut trouver une juste mesure entre son refus de reconnaître l’indépendance du Kosovo et le sabotage par des structures parallèles d’une action européenne indispensable. Ne pas le dire à Belgrade serait entretenir des illusions et décevoir non seulement la grande majorité des habitants du Kosovo mais aussi les Serbes qui sentent que les choses sont en train de changer.

  • 1.

    Le titre du dernier rapport de l’International Crisis Group sur le Kosovo est la Fragile transition du Kosovo, septembre 2008.

  • 2.

    Voir Odile Perrot, « Les perspectives incertaines de la constitution du Kosovo », Esprit, juillet 2008.

  • 3.

    La crise financière n’épargne pas le Kosovo. Le fonds de pensions, qui a placé des avoirs à l’étranger (292 millions d’euros), a perdu 29 millions début septembre (– 9 %).

  • 4.

    Les principaux donateurs sont : l’Union européenne, 508 millions d’euros ; les États-Unis, 256 millions d’euros ; l’Allemagne, 100 millions d’euros ; le Royaume-Uni, 28 millions d’euros. Et la France : 2, 52 millions d’euros !

  • 5.

    On prête au gouvernement serbe l’intention de reloger à Mitrovica-nord et aux alentours le plus grand nombre possible de Serbes et de Roms du Kosovo, réfugiés en Serbie.

  • 6.

    Sur les 192 pays membres, 157 ont participé au vote : 77 ont voté pour et 74 se sont abstenus.

  • 7.

    Institute for Advanced Studies, Calls for Parliamentary Committee on Auditing, www.gapinqtitute.org