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Les réfugiés syriens au Liban

avril 2018

Les mesures sécuritaires prises par l’Etat libanais ne prennent pas en compte les dimensions humaines et sociales de la situation des réfugiés syriens au Liban.

À partir des premières arrivées en 2011, la situation des réfugiés syriens au Liban s’est progressivement détériorée. L’un d’entre eux a raconté à l’organisation Human Rights Watch que, quand il est arrivé au Liban, les Libanais le traitaient avec égards, comme une personne qui fuit la guerre dans son pays. Il est important de noter qu’une grande partie des réfugiés syriens, surtout à Ersal, dans la plaine de la Bekaa et au nord du pays, sont arrivés au Liban à la suite de combats menés par le Hezbollah aux côtés du régime syrien. Au début donc, on assiste à un afflux de réfugiés syriens dans des régions pauvres du Liban, où ils sont bien accueillis, souvent sur la base de liens familiaux ou confessionnels existants. Malheureusement, l’inaction de l’État et le nombre croissant d’arrivées ont rendu la situation de plus en plus difficile. Depuis le début, l’État libanais est dans le déni de leur présence, refusant de regarder le problème en face ou jugeant qu’il ne va pas durer. L’État conduit une « politique de la non-politique », refuse de construire des camps. Il laisse ainsi faire les organisations non gouvernementales et les municipalités : ces dernières se retrouvent à devoir administrer les réfugiés, mais elles ont peu de ressources et sont souvent partiales, avec de nombreux problèmes de corruption.

En 2012, les premières violations se produisent : 72 travailleurs syriens, égyptiens et soudanais sont battus par les Forces de la sécurité intérieure (Fsi) à Achrafieh, sous prétexte qu’ils harcelaient les femmes du quartier. En 2013, la municipalité arménienne de Bourj Hammoud prend un arrêt discriminatoire demandant aux résidents de ne pas louer de logements aux Syriens : ces derniers sont expulsés en l’absence de tout contre-pouvoir juridique, ce qui autorise le prise de mesures discriminatoires dans d’autres municipalités. En 2014, quarante-cinq municipalités imposent un couvre-feu illégal et impossible à faire respecter aux Syriens. La vague de protestation est restée sans effet. A Baalbek, dans la plaine de la Bekaa, la municipalité a également assigné les Syriens à domicile entre 20h et 5h. La même année, le camp d’Ersal est assiégé par l’armée prétextant de la présence de militants de Daech et du Front al-Nosra pour mettre un terme à l’afflux de réfugiés. Les résidents de la ville dénoncent deux poids deux mesures : on peut contrôler les frontières, mais il est injuste de laisser le Hezbollah opérer des deux côtés de la frontière avec leurs armes et de refuser l’asile aux Syriens qui le souhaitent. Ce discours de défense de l’Etat de droit reste inaudible tant le discours politique populiste est parvenu à attiser la peur des étrangers. Par conséquent, l’Etat s’en tient à des mesures sécuritaires qui ne prennent pas en compte les dimensions humaines et sociales de la situation des réfugiés.

En janvier 2015, un consensus entre tous les partis du gouvernement est obtenu pour autoriser un visa pour les Syriens, mais les conditions (notamment leur coût, une preuve de réservation d’hôtel, etc.) sont surréalistes. La mise en place d’un tel visa revient à signifier aux Syriens qu’ils ne sont plus les bienvenus. De plus, l’État leur impose le système de la kafala (« garant », système en vigueur pour les travailleuses domestiques), proche de l’esclavage. Les conséquences sociales sont terribles : un tel système encourage le trafic et l’exploitation des personnes et comme les hommes ne peuvent pas travailler, on assiste à une montée des violences domestiques contre les femmes et du travail clandestin des enfants.

Ces violations ont eu lieu dans un contexte de prolifération des discours médiatiques et politiques xénophobes. Le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Gebran Bassil (président du parti aouniste, le Free Patriotic Movement) tient un discours xénophobe et raciste. Une manchette du journal al-Nahar évoque même « un grand remplacement ». Ces discours accentuent les schismes préexistants entre les Libanais et les Syriens. Pourtant, la révolution syrienne en ses débuts a constitué une bonne occasion pour les Libanais et les Syriens de se découvrir. À noter que Beyrouth a été, un temps, une ville-refuge pour les artistes syriens, ce qui a permis d’enrichir la vie culturelle beyrouthine.

 

Rayan Majed

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