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À qui appartient l'électorat centriste ?

Que reste-t-il du MoDem ? Il serait sans doute rudimentaire de juger les résultats des municipales à la seule aune du faible nombre de maires ou de la défaite de François Bayrou à Pau. Les principaux enjeux, pour le parti centriste, étaient en réalité plus discrets. Il s’agissait, d’une part, de consolider son implantation locale en faisant élire des conseillers, afin de donner plus de consistance et de perspectives à une base militante encore volatile ; d’autre part, de rééquilibrer le parti en faisant émerger des responsables plus marqués à gauche ; mais aussi de s’émanciper de l’Ump, en jouant l’indépendance et, en fonction des équipes locales et des opportunités, de tenter des alliances à gauche. C’est sur l’ensemble de ces enjeux que doit être évaluée la réussite du MoDem.

Les nouveaux conseils municipaux

Avant ces élections, 60% des mairies des villes de plus de 30000 habitants ayant un maire Udf ou Ump avaient des adjoints de ces deux partis ; la séparation entre le Nouveau Centre et le MoDem n’a pas empêché ce dernier de reconduire ces alliances dès le premier tour dans des villes comme Biarritz, Bordeaux, Épinay-sur-Seine, ce qui lui permet de siéger dans la majorité. Dans ces trois villes, ce sont des équipes sortantes qui ont été réélues. Ces succès pourraient d’ailleurs compliquer la tâche de François Bayrou car ils font apparaître la pertinence des alliances à l’ancienne, celles-là mêmes que soutenaient les caciques de l’Udf qui ont quitté le parti depuis 2006. Leur départ n’a pas résolu la question du positionnement du nouveau parti, qui se retrouve travaillé des mêmes tensions entre le lent déplacement de M. Bayrou sur sa gauche et l’ancrage à droite d’une partie de ses troupes.

Le cas d’Arras, seule ville significative détenue par le MoDem avec Biarritz, est un peu différent. C’est certes grâce à son alliance avec l’Ump que le maire sortant Jean-Marie Vanlerenberghe a été réélu dès le premier tour, mais sur sa liste figuraient quelques transfuges du PS et même un ancien élu communiste. On pense alors à l’image de la grande coalition souvent évoquée par François Bayrou, mais la réalité est plus modeste. Le sigle du MoDem n’apparaît presque jamais dans la campagne électorale du maire sortant, sauf dans la couleur orange de ses tracts. Sa victoire illustre surtout une capacité personnelle à fédérer, sur la base d’un positionnement chrétien-social et en s’en tenant à des enjeux locaux où la différence droite-gauche est peu marquée.

La nouveauté résidait davantage dans les alliances à gauche qui ont été nouées dès le premier tour dans des villes comme Dijon, Grenoble, Montpellier ou Roubaix. Évoquées par François Bayrou depuis la campagne présidentielle de 2007, ces alliances apparaissent désormais comme une possibilité tangible et elles ont donné quelques élus au MoDem. Par rapport à une stratégie d’indépendance, elles ont toutefois deux défauts. Elles ne permettent au MoDem ni de mesurer l’évolution de son poids électoral, ni de fidéliser ses électeurs en leur offrant un espace politique propre. Des alliances avec le PS entre les deux tours sont de ce point de vue plus avantageuses et donnent théoriquement au parti minoritaire un plus grand pouvoir de négociation ; mais les résultats apparaissent mitigés dans les deux grandes villes où l’on a pu observer cette configuration, à Marseille et à Lille.

À Marseille, la liste commune conduite par le socialiste Jean-Noël Guérini a certes frôlé l’élection, mais n’a pu empêcher le maire sortant d’être réélu. L’apport du MoDem ne s’est donc pas révélé déterminant. Par ailleurs, si le positionnement à gauche symbolisé par la tête de liste Jean-Luc Benhamias a permis de faire « monter » de nouveaux militants, le score électoral décevant (5, 54%) réalisé par les listes MoDem au premier tour atteste la difficulté de ce positionnement dans une logique municipale bipartite où le PS a atteint près de 40% au premier tour. Les réserves de voix du PS se situaient pour partie au MoDem, pour partie à l’extrême gauche. Si l’on prend le 1er arrondissement, où ces deux formations ont réalisé au premier tour des scores légèrement supérieurs à la moyenne municipale, la liste PS a bénéficié d’un excellent report de voix au second tour, ce qui lui a permis de l’emporter. En revanche, le même bon report de voix ne permet pas à Jean-Noël Guérini de faire la différence face à Renaud Muselier dans le 3e arrondissement. Au total, le MoDem version Benhamias apparaît comme un partenaire fiable, dont les électeurs suivent les stratégies ; mais un partenaire faible, à l’image des anciens Verts, qui ont disparu du paysage politique municipal ; et en fin de compte un partenaire dont l’apport n’est pas déterminant.

L’alliance nouée à Lille entre le MoDem et la liste de Martine Aubry n’avait pas les mêmes implications : la maire sortante était quasiment assurée de sa réélection au soir du premier tour, et on sait que c’est pour conquérir la communauté d’agglomération qu’elle a noué cette alliance, qui l’aide à l’emporter haut la main.

Un appoint réel mais qui n’est jamais décisif

En somme, ces alliances font apparaître un MoDem susceptible d’accompagner des logiques gagnantes, mais non de les créer (notons que la plupart de ces villes ont vu la victoire de la liste sortante) ; un partenaire dont l’apport se révèle insuffisant pour renverser une tendance. L’exemple de Toulouse corrobore cette idée : en difficulté à l’issue d’un premier tour où il arrive en tête, mais sans réserves de voix, le maire sortant Ump Jean-Luc Moudenc (ex-Udf apparenté Ump) a fait alliance avec le MoDem, qui avait obtenu le 9mars un peu moins de 6% des voix ; si la liste commune semble avoir bénéficié de très bons reports de voix la semaine suivante, elle ne l’emporte pas pour autant.

L’examen de deux villes plus modestes est encore plus instructif. Le cas de Vandœuvre-lès-Nancy est particulièrement intéressant, car dans cette ville le parti de François Bayrou avait réalisé un très bon score, 19, 7%, qui le mettait en position de se maintenir. La liste conduite par Marc Saint-Denis a choisi de s’allier à la droite (35, 9% au premier tour) ; mais le report de voix a cette fois-ci mal fonctionné, et une partie des voix MoDem s’est portée sur la liste d’union de la gauche, qui a pris la ville. À Melun, on a une situation symétrique : fort de ses 15, 47% au premier tour, le MoDem s’allie au PS (36, 4% au premier tour) dans l’espoir de ravir la mairie à la droite ; sans succès.

Quand il réalise des scores faibles au premier tour, les reports des voix du MoDem vers les listes fusionnées sont bons ; inversement, quand il semble puissant comme à Vandœuvre ou à Melun, une partie significative de ses électeurs ne suit pas ses consignes de vote et l’arithmétique suggérée par les scores du premier tour ne tient pas ses promesses. En d’autres termes, le MoDem n’est pas propriétaire de ses électeurs, et il l’est d’autant moins que ceux-ci sont nombreux. D’autres analyses devront confirmer cette hypothèse, qui n’est pas sans conséquences sur son pouvoir de négociation et sur les arbitrages de ses partenaires réels ou virtuels.

Reste enfin la possibilité de peser lors de triangulaires. Les électeurs du centre ont joué les arbitres lors de certaines élections, comme à Metz et à Saintes où des triangulaires ont contribué à la perte de la mairie par la droite. Le cas de Paris montre les limites de cette stratégie. Celle-ci a été contrainte par celle de Bertrand Delanoë qui, fort des sondages qui lui promettaient une réélection confortable, avait exclu une alliance au second tour, tout en proposant au MoDem (9, 06% au premier tour, avec des scores contrastés selon les arrondissements) un « partenariat » au sein du futur conseil municipal. Également sollicité par l’Ump avec laquelle il pouvait difficilement s’allier après que Marielle de Sarnez eut proposé publiquement une alliance au PS, le MoDem a choisi de se maintenir dans les trois arrondissements où c’était possible : les 5e, 7e et 14e. Il n’en a retiré aucun gain direct, divisant au contraire par 10 l’effectif de son groupe de conseillers de Paris. Mais les triangulaires ont contribué à la réélection initialement incertaine de trois maires de droite. Dans le 5e arrondissement par exemple, le maintien de la candidature de Philippe Meyer (MoDem) a très probablement empêché l’élection de la socialiste Lyne Cohen-Solal, qui manque la mairie de 215 voix. Le fief électoral hautement symbolique de l’ancien maire de Paris Jean Tibéri pouvait basculer, ce qui constituait une assez forte incitation à « voter utile » pour les électeurs du centre droit comme pour ceux du centre gauche. Cette incitation était certes tempérée par le fait qu’aux yeux de l’opinion comme de la presse, les résultats pour Paris étaient déjà joués ; mais elle se lit pourtant dans la hausse du taux de participation : les abstentionnistes se sont mobilisés au second tour, avec en tout 25375 votants contre 23867 au premier tour. Dans ce contexte, le score de Philippe Meyer est instructif. Entre le premier et le second tour, il perd 655 électeurs, passant de 3385 voix à 2730 : dans un contexte marqué par une forte tension droite-gauche, une part significative de l’électorat MoDem (représentant un peu moins de 11% des votants) refuse de se rallier. Cette résistance est un point à mettre au crédit du parti de François Bayrou, mais elle ne lui offre aucun élu, ni au conseil d’arrondissement, ni au conseil de Paris.

Ainsi le MoDem ne semble-t-il en position de peser que par défaut. Dans les alliances, son renfort ne permet pas de renverser une situation et son utilité pratique se réduit donc à élargir des majorités sortantes. Quand il pèse suffisamment pour imposer une négociation avantageuse, une partie significative de ses électeurs ne le suit pas ; quand il décide de rester indépendant, enfin, une partie tout aussi significative de ses électeurs continue à le suivre, mais il obtient peu ou pas d’élus.

À ces contradictions structurelles s’ajoute un problème politique. Problème de lisibilité d’abord, avec une politique d’alliances au cas par cas qui donne une image d’opportunisme très IVe République quand François Bayrou promettait la VIe. Problème de sociologie militante ensuite, puisque le parti n’a obtenu d’élus, pour l’essentiel, qu’à la faveur d’alliances au premier tour, ce qui signale des proximités fortes, selon les lieux, avec la droite ou avec la gauche, et une sous-représentation des partisans de l’indépendance. Cela repose douloureusement la question de la ligne stratégique du parti de François Bayrou et de sa cohérence politique.

Richard Robert

Historien des idées, il a enseigné à la Sorbonne et à Sciences Po. Il est également co-fondateur et directeur de rédaction de la revue Big Time.

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