Où est le centre ?
Les élections internes de l’Udi se sont achevées le 12 novembre 2014 dans l’indifférence générale. Si la succession de Jean-Louis Borloo a fait l’objet d’une campagne féroce, avec des coups en dessous de la ceinture, elle est surtout apparue comme une rivalité personnelle entre Hervé Morin et Jean-Christophe Lagarde, sans grands enjeux politiques. Pour autant, les résultats ne seront pas sans conséquences. Pas tant pour l’Udi que pour le reste du paysage politique.
Le rêve d’une grande coalition
Le problème du centre est resté inchangé depuis la défaite de Valéry Giscard d’Estaing en 1981. Il peut se résumer en un mot : exister. Hervé Morin reprenait récemment encore ce vœu pieu : « Nous voulons les uns et les autres une Udi indépendante, forte, capable de construire un projet politique alternatif à l’Ump et au PS. » Jean-Christophe Lagarde était sur la même longueur d’onde : « Le centre n’est pas le milieu, la moyenne, la synthèse, mais un autre chemin, une alternative pour notre pays. » Certes. Mais si François Bayrou a pu espérer s’approcher de ce rêve lors des présidentielles de 2007, un minimum de réalisme s’impose. La question réelle demeure celle des alliances, et de la position de partenaire secondaire à laquelle les centristes semblent condamnés.
Ces alliances s’inscrivent depuis bientôt trente ans sous une figure rêvée, celle d’un vaste rassemblement du centre droit au centre gauche, « de Rocard à Barre », disait-on à la fin des années 1980. Ce château en Espagne est habité aujourd’hui par François Bayrou, le président du Modem, qui travaille inlassablement à faire de sa formation politique et, au-delà, de sa propre personne le point d’équilibre d’un tel rassemblement. Il note avec justesse qu’à court ou moyen terme, aucun parti ne pourra gouverner seul, car « ils sont tous minoritaires ».
Aux contorsions et aux pièges des alliances électorales, Bayrou souhaite substituer une logique plus constructive, évoquant parfois une « grande coalition » à l’allemande, parfois ce qu’on pourrait appeler un « gouvernement de projet » : « Il s’agit de mettre en place les conditions nécessaires pour que, quand les Français auront exprimé leur avis par un vote, alors les forces politiques qui se sont traditionnellement affrontées puissent, autour d’un projet clair, travailler ensemble. »
Ah ! si tous les gars du monde voulaient s’donner la main ! Mais dans le cadre institutionnel de la Ve République, pour travailler ensemble, il faut disposer d’un groupe significatif au Parlement, et en l’absence de proportionnelle, cela oblige à signer des accords électoraux. L’Udi de Borloo et le Modem de Bayrou l’avaient fait en novembre 2013, ce qui leur a permis d’obtenir quelques résultats aux dernières municipales. Mais le retrait de Jean-Louis Borloo a changé la donne et l’Udi se tourne à nouveau vers la droite. La défaite d’Hervé Morin, dont Bayrou s’est rapproché, semble entériner ce glissement. Jean-Christophe Lagarde, le nouveau président de l’Udi, ne veut pas entendre parler d’une alliance avec le Modem.
Retour à droite
L’un des motifs de ce refus est la possibilité d’une alliance à gauche, cultivée par Bayrou depuis 2007 : c’est sur ce point que Lagarde, entre les deux tours de la présidentielle, avait lâché le candidat dont il était le porte-parole. L’Udi de Lagarde, à la différence de celle de Borloo et de façon encore plus marquée que si Morin l’avait emporté, se détourne du Modem et s’inscrit résolument dans le sillage de l’Ump.
Mais de quelle Ump ? Car le principal parti d’opposition est lui-même tiraillé entre des leaders différents, qui incarnent des lignes politiques fort divergentes. Ces lignes ont en commun des marqueurs sociétaux, davantage que sociaux et économiques. La sécurité, l’immigration, l’islam, les questions relatives au « mariage pour tous » sont les principales lignes de différenciation avec le PS et entre les différents candidats. Si Alain Juppé incarne une ligne plus modérée, les autres candidats à la présidence du parti ou aux primaires de 2016, déclarés ou non, sont engagés dans une course à l’échalote vers des positions de plus en plus dures et de plus en plus à droite.
Or si ces sujets sont clivants dans la société française, ils le sont aussi pour les centristes. Lagarde, lui-même, est favorable à la dépénalisation du cannabis ; il a voté en 2004 contre la loi sur les signes religieux dans les écoles publiques, dénonçant une manipulation électoraliste ; en 2013 enfin, il fut l’un des rares députés Udi à voter le projet de loi sur le mariage homosexuel. On est loin de la « droite décomplexée » façon Patrick Buisson, qui semble être la ligne de François Fillon comme de Nicolas Sarkozy.
Bref, si la question des alliances à droite semble réglée sur le papier, elle s’annonce compliquée à gérer dans la pratique. La différence de positionnement peut avoir pour avantage de permettre à chaque partenaire de cultiver sa sociologie électorale et à une future alliance de brasser plus large. Mais sur les points les plus marquants, le grand écart sera flagrant.
Recomposition à gauche ?
Et le Modem ? Une conséquence logique de la victoire de Lagarde est de le rejeter vers la gauche. La question se posera vite à ses militants et à sa direction, mais elle se pose aussi au Parti socialiste. La réouverture de cette possibilité, après une première fenêtre en 2007, peut contribuer à la clarification en cours au PS. Il n’est pas interdit de poser la question : la frange modérée du Parti socialiste a sans doute plus en commun aujourd’hui avec le centrisme façon Bayrou qu’avec certains des frondeurs.
La réapparition de lignes de faille entre – pour le dire grossièrement – première et deuxième gauche amènera nécessairement à se poser la question d’une reconfiguration des alliances, difficile à éluder quand les coups les plus violents, pour l’actuel gouvernement, viennent de la gauche, et parfois de l’intérieur du PS. La maison d’Épinay a-t-elle encore un avenir ? C’est une question sérieuse. Pendant longtemps, l’intérêt électoral des différentes familles socialistes a prévalu sur une expression complète des différences. Les courants et des désaccords n’empêchaient pas que tous aient besoin du PS pour être élus. Certains politologues notaient ainsi, du fait des institutions de la Ve République, une évolution de long terme vers le bipartisme. Nous n’en sommes plus là, et les mêmes s’interrogent aujourd’hui sur un éclatement possible du Parti socialiste.
Les élections à l’Udi ne seront assurément pas l’élément déclencheur de cet éclatement. Mais en libérant le Modem, elles contribuent à préciser les termes de la question posée au PS.