
L’immatérialité de l’information
Le mythe de l’immatérialité de l’information occulte la réalité de l’infrastructure physique et des effets environnementaux de nos vies numériques. En nous persuadant que les algorithmes décident de l’avenir de nos sociétés, il verrouille notre imaginaire politique.
Lors de la préparation de l’exposition Les Immatériaux, qui s’est ouverte en mars 1985 au Centre Georges-Pompidou à Paris, le philosophe Jean-Francois Lyotard et l’artiste Thierry Chaput ont invité un certain nombre d’écrivains, de scientifiques, d’artistes, de philosophes et de linguistes à prendre part à une expérience d’écriture. L’objectif était de voir comment les nouvelles machines de l’information allaient influencer leur pensée. Chacun des vingt-six participants disposait chez lui d’un Olivetti M20 équipé d’un double lecteur de disquettes et d’un modem téléphonique le connectant à l’Olivetti M24 du Centre Pompidou où leurs textes étaient stockés sur une mémoire centrale. Ces auteurs étaient censés commenter un lexique de cinquante mots considérés par les commissaires-expérimentateurs comme relevant de l’immatériel. Cette liste de mots, rangés par ordre alphabétique, comprenait des termes tels que « artificiel », « auteur », « capture », « code », « dématérialisation », « droit », « espace », « prothèse », « réseau », « signe », « simulation », « temps ». Chaque auteur pouvait également commenter ce que les autres avaient écrit. Ce chat, comme nous l’appellerions aujourd’hui, s’est déroulé sur quelques semaines, de septembre à décembre 19841. Cette expérience, qui consistait à produire un ensemble de textes courts entre des auteurs communiquant les uns avec les autres sans véritabl