Droit d'auteur sur l'internet : faut-il renégocier les traités internationaux ?
Au vu de leur succès contre Megaupload (un site de téléchargement), on pourrait penser que les détenteurs de copyright sont désormais armés jusqu’aux dents pour défendre leurs revenus, mais ils continuent pourtant à vouloir étendre leurs prérogatives. À mesure que leurs demandes s’accumulent, les réactions politiques se font de plus en plus vives. Kader Arif, l’eurodéputé chargé de la négociation du traité dit Anti-Counterfeiting Trade Agreement (Acta) de lutte contre la contrefaçon, a préféré démissionner plutôt que de signer ce qu’il dénonce comme « une mascarade ». La représentante de la Slovénie regrette d’y avoir apposé sa signature et considère avoir fait preuve d’un manque de professionnalisme. L’ex-Premier ministre roumain avait affirmé ne pas comprendre les raisons de sa ratification par son pays. Les parlementaires polonais, tchèques et slovènes ont protesté contre le traité en s’affichant en séance avec des masques de Guy Fawkes, à la manière des Anonymous. Une pétition en ligne a déjà recueilli plus de 1, 8 million de signatures pour s’y opposer. Des manifestations ont eu lieu partout en Europe le 11 février 2012.
Acta n’est pas le seul cyber-acronyme victime de ces soubresauts démocratiques. Sopa/Pipa, son avatar américain, a été rejeté par le Congrès il y a quelques semaines à l’issue d’une procédure inédite dans la démocratie américaine. Traditionnellement, le gouvernement de Washington a en effet la possibilité d’émettre des déclarations de politique gouvernementale (Statement of Administration Policy – Sap) quand une proposition de loi en cours nécessite un éclairage de l’exécutif. Jusqu’à présent, ces demandes émanaient toujours du Parlement. Mais, à l’initiative de son Chief Technical Officer Aneesh Chopra, la Maison-Blanche s’est cette fois-ci servie de We The People, un système de e-pétition disponible sur leur site (une forme de néoréférendum qui ne dit pas son nom) qui a réussi à attirer près de 100 000 signatures.
D’autres outils traditionnels de la démocratie commencent également à trouver leur traduction en ligne. Wikipédia et de très nombreux sites internet américains ont ainsi choisi de fermer et de se rendre indisponibles pour une journée afin de protester contre la même proposition de loi Sopa/Pipa – redécouvrant ainsi le droit de grève au même moment où celui-ci est remis en cause, aux États-Unis comme en France.
Les critiques portées à ces projets législatifs insistent sur leur impact négatif sur la liberté d’expression et la liberté d’entreprise, sur le retour de la censure, la mise en place de sanctions judiciaires démesurées, le filtrage ou la fermeture de l’internet, etc.
Ces critiques ne sont pas exagérées. Le vocabulaire utilisé par Acta est volontairement vague et permet aux signataires d’écrire eux-mêmes les détails des règles qui y sont présentées. Il pourrait devenir encore plus draconien sous la dictée inspirée des lobbyistes de l’industrie culturelle lors de sa transposition dans les droits locaux. Les contrefacteurs individuels pourraient être responsables de la totalité de la perte de ventes supposée des ayants droit, et les hébergeurs mis en cause. Or il faudrait plutôt préserver la capacité d’innovation des hébergeurs et des services sur l’internet en ne les rendant pas directement responsables de ce que les gens font de leurs outils. Sinon, on risque de freiner définitivement la sphère d’innovation aujourd’hui ouverte par l’internet.
Droit d’auteur et respect de la liberté
D’abord, comme le montre la fermeture de Megaupload, il n’est pas nécessaire d’imaginer des législations d’exception quand le droit commun fonctionne finalement très bien. Depuis les années 1970, une hégémonie de la production immatérielle est en train d’apparaître par rapport aux autres formes de production, et se substitue à la vieille hégémonie de la production industrielle. Dans la foulée de cette évolution économique, le niveau de protection garanti au droit d’auteur est devenu tellement important que toute augmentation ne pourrait se faire qu’au prix d’un arbitrage entre le droit d’auteur et le respect des libertés fondamentales. Le droit d’auteur et les droits voisins couvrent de plus en plus d’objets, de plus en plus longtemps et les sanctions qui punissent la contrefaçon ne cessent de s’alourdir année après année.
En France comme aux États-Unis, les gouvernements ont également choisi de mettre des moyens pour accompagner les ayants droit dans la défense de leurs droits – mettant ainsi la puissance publique au service d’intérêts privés jugés suffisamment importants pour bénéficier d’une attention particulière. Par exemple, les États-Unis ont créé la Copyright Enforcement Infrastructure dirigée par un haut fonctionnaire qualifié de « tsar du copyright » ; ils ont poussé les fournisseurs d’accès internet à passer des conventions avec les ayants droit pour les protéger contre leurs propres consommateurs ; et surtout, les douanes américaines ont acquis de nouveaux moyens leur permettant de saisir et fermer des sites internet comme Megaupload – comme si les frontières du web étaient aussi physiques que virtuelles.
Mais, certes renforcé, tout cela relève du droit commun. Acta et ses avatars reprennent et durcissent les principes de Hadopi, sans tirer les leçons de son échec alors qu’il semble plutôt nécessaire de renforcer les moyens de la police, de la justice et de la coopération internationale.
Surtout, la révolution de l’information touche tout le monde et suscite une innovation darwinienne, poussant des centaines d’autres modèles à se développer directement sous les yeux et entre les mains du public. De Wikipédia à Bittorrent, les individus prennent l’habitude du partage et de l’échange – passant peu à peu de la société du care à celle du share. Leur implication directe et leur compréhension des enjeux sont de plus en plus importantes.
La négociation des traités commerciaux internationaux – on songe au Gatt (accord sur les tarifs douaniers de 1947) – a toujours été un accessoire discret de la démocratie que les gouvernements peinaient à rendre public. Mais le droit d’auteur est aussi celui du public, et depuis quelque temps, le message est clair : sauf à créer un important déni de démocratie, et malgré ses spécificités, l’industrie culturelle ne peut pas négocier seule les règles qui la régissent.