Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Notes de lecture

Dans le même numéro

J’étais prêtre et ne suis plus chrétien de Charles Condamines

mars 2020

Charles Condamines, auteur d’articles sur les mouvements associatifs de solidarité et surtout sur les relations entre l’Église et la dictature au lendemain du coup d’État au Chili, vient de publier un livre dont le titre ne laisse pas indifférent : J’étais prêtre et je ne suis plus chrétien. Si ses proches étaient au courant, nombre de ceux qui ont travaillé à ses côtés ont découvert, sans trop d’étonnement à vrai dire, sa première vie.

Cet ouvrage retrace le parcours initial : l’enfance d’un petit paysan sage du Rouergue profond, où l’Église est omniprésente jusque dans les années 1960. «  Je ne suis jamais entré en religion, c’est l’Église qui m’a mis au monde.  » Il se considère en effet comme le fils par procuration de son oncle prêtre : «  Je fus le fruit de mon oncle curé. Il a pu rester chaste et avoir un fils à sa ressemblance puisque né de sa sœur. Un inceste sacré ?  » Les premiers chapitres sont à cet égard une étonnante étude ethno­sociologique dont il est lui-même le sujet, une autobiographie émaillée d’anecdotes mais aussi lestée d’une analyse du contexte historique, théologique, politique de l’époque. Il passe par différents séminaires avant des études de théologie à Toulouse, dans le giron de l’Église dont il dénonce déjà la toute-puissance sur les âmes et les corps. Au cœur de l’institution ecclésiale, il critique les mécanismes de production du dogme et des règles morales élaborées de concile en concile au cours des siècles. Il salue cependant l’intelligence et la clairvoyance d’auteurs comme Karl Rahner ou Henri de Lubac. Sa ­fascination par ailleurs pour des «  hérétiques  » comme ­Giordano Bruno, Lamennais ou Renan ne surprend pas. Porté par l’espérance de Vatican II, il demande à aller vivre l’Évangile au milieu des plus pauvres et se retrouve dans les bidonvilles de Talca, au sud de Santiago. L’Église catholique commence à se fissurer : tandis que le Vatican publie la très contestée encyclique Humanae vitae (1968), les évêques d’Amérique latine se réunissent à Medellín pour proclamer leur «  option préférentielle pour les pauvres  ».

Le coup d’État du 11 septembre 1973 fait tout voler en éclats. C’est l’heure du choix. L’irruption soudaine de la force brutale et de la violence cachée vont marquer à tout jamais ceux qui, comme l’auteur, l’ont vécue et subie. Cette blessure ne se refermera pas. Même revenu en France, Charles Condamines restera chilien, il devient quelque part lui aussi un réfugié chilien (comme on le voit sur son site ­www.charlescondamines.com). Au-delà de la dénonciation de la collusion entre l’Église et Pinochet («  la théologie du massacre  »), une renaissance s’opère : «  J’ai dû me mettre bas moi-même.  » Combattant une dictature politique, l’auteur fait l’apprentissage de sa libération d’une religion qui, elle aussi, par d’autres moyens, a pris le contrôle de son corps et de son âme. L’emprise de celle-ci est résumée dans une formule lapidaire : «  J’ai été djihadiste.  » Il tire là un signal d’alarme fort vis-à-vis des religions monothéistes, en soulignant que «  dans l’incandescence du don de soi, la religion et la politique  » peuvent se confondre. Mais il reconnaît aussi que l’Église lui a transmis les outils qui lui permettent de s’en délier. «  Gloire soit rendue à cette religion qui peut ouvrir à ceux qu’elle emprisonne le chemin de leur libération de toute religion.  »

Paradoxalement, sa demande de «  réduction à l’état laïc  » a entraîné une relecture de sa foi et de son appartenance religieuse. Sans renier ses origines chrétiennes, il commence alors une nouvelle vie, où l’humain est la priorité. Au moment où, en France, on évoque le «  décrochage terminal  » du catholicisme, il est important ­d’entendre ce témoignage vrai, parfois douloureux, voire provocateur. S’il dénonce un système qui a en partie disparu, c’est aussi un appel à ne pas renier notre histoire commune, mais à renouer avec elle pour retrouver des valeurs partagées. Charles Condamines ne se résout pas à la contradiction maintes fois énoncée : «  Pour être chrétien, il faut cesser d’être homme, du fait notamment du péché originel, du sacrifice de Jésus sur la croix, etc.  » Comment réconcilier le chrétien avec son humaine condition ? La photo énigmatique de la couverture prend ici tout son sens. Le crucifix paré de bijoux n’est pas qu’une provocation. Cette image dit avec force que le changement de paradigme est incontournable pour les chrétiens : substituer à l’obsession du péché originel des luttes au service de l’homme. Sans oublier de nous appuyer sur nos corps et sur la beauté du monde.

L’Harmattan, 2019
264 p. 25 €

Christian Mongin

Christian Mongin est médecin.

Bernard Topuz

Bernard Topuz est médecin de santé publique et rédacteur à la revue Prescrire.

Dans le même numéro

L’économie contre l’écologie ?

Le dossier, coordonné par Bernard Perret, regrette que la prise de conscience de la crise écologique ait si peu d’effet encore sur la science et les réalités économiques. C’est tout notre cadre de pensée qu’il faudrait remettre en chantier, si l’on veut que l’économie devienne soutenable. À lire aussi dans ce numéro : survivre à Auschwitz, vivre avec Alzheimer, le Hirak algérien, le jeu dangereux entre l’Iran et les États-Unis et un entretien avec les réalisateurs de Pour Sama.