
Quand la forêt brûle de Joëlle Zask
Alors que les flammes dévorent la forêt amazonienne, l’Afrique centrale, l’Indonésie ou encore la Sibérie, Joëlle Zask tente de cerner la place que les feux ont dans nos sociétés, et plus particulièrement l’indéniable menace qu’est le « mégafeu ». Ce dernier met en péril non seulement la biodiversité, mais également la capacité de résilience de la forêt, portant atteinte à des surfaces supérieures à vingt mille hectares, contre lequel ni l’écosystème ni nos sociétés ne peuvent lutter. Avant l’ère industrielle, le feu ne servait pas seulement à nous nourrir ; il était déjà utilisé de manière préventive et défensive, en créant des espaces de protection et en renforçant la capacité de résistance de la forêt. La philosophe va jusqu’à renommer notre ère géologique : l’anthropocène serait, sous certains aspects, un véritable « pyrocène », puisque d’importants espaces doivent leur forme courante aux feux des hommes. La distinction entre les mégafeux et ces derniers s’avère d’autant plus utile que la nature a besoin d’être incendiée, de manière dirigée. L’être humain ne devrait plus se poser en maître de la planète, mais en « assistant », voué à partager un destin commun avec celle-ci. Joëlle Zask souligne ainsi la nécessité de dépasser des dichotomies arbitraires et stériles, comme le climato-scepticisme et le catastrophisme, l’humain et la nature, les sciences dures et les molles, ou encore le jardin domestiqué et la forêt sauvage. De la perception fantasmatique de notre rapport à l’environnement ne peuvent naître que des mesures qui font fausse route. La prétendue « guerre contre le feu » fait des investissements considérables pour assurer la maîtrise et l’extinction des feux ainsi que la protection des personnes, tout en retirant le budget nécessaire aux services des forêts, lesquels prennent part à la prévention des embrasements. L’augmentation de la fréquence et de l’ampleur de ces brasiers, causées par le développement de l’agriculture industrielle, s’intègre dans le cercle vicieux du réchauffement climatique : les incendies sont à l’origine d’un important relâchement de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et donc au réchauffement climatique, lequel à son tour favorise l’émergence de feux de moins en moins maîtrisables. Plus grave encore, ils sont désormais utilisés au sein d’opérations de (pyro-)terrorisme, qui pourraient voir leur nombre augmenter. Joëlle Zask entrevoit néanmoins dans ce révélateur de crise écologique la possibilité de changer radicalement notre rapport aux feux et à notre environnement. Si l’on veut affronter au mieux les mégafeux, il est urgent de faire confiance à l’intelligence collective : selon l’auteure, « l’écologie ne peut être que démocratique ».