
C’est pour la bonne cause !. Les désillusions du travail associatif de Simon Cottin-Marx
L’ouvrage de Simon Cottin-Marx commence par un désenchantement, celui que vivent les travailleurs associatifs à cause du décalage entre les mots et les actes, entre le projet social de l’association et la réalité interne de son fonctionnement. Le ton est donné et conduit à la question de fond que pose l’auteur : « Pourquoi y a-t-il un tel décalage entre l’éthique et les pratiques ? » Certes, toutes les associations ne sont pas concernées. Il s’agit là pour l’essentiel d’associations employeurs, juxtaposant deux types de fonctionnement : celui de l’entreprise et celui de l’association. Un premier élément de réponse est donné par l’auteur. Les associations, aussi militantes et actives soient-elles, ne sont pas en dehors de la société et ne sont donc pas exemptées des rapports de pouvoir et de domination qui l’animent et la nourrissent. Venant relativiser le discours parfois convenu, voire « panégyrique », faisant « l’apologie du monde associatif sans véritable recul critique », l’auteur s’attelle à montrer une facette moins reluisante du salariat associatif. Pourquoi l’association manque-t-elle à ce point à sa promesse ?
L’auteur ouvre le premier chapitre en se faisant l’écho d’une étude qu’il a menée en 2019 et 2020. Celle-ci confirme le niveau élevé de précarité, l’usage de salaires plus bas que dans le privé lucratif et les conditions de travail dégradées1. À cela s’ajoutent une répartition floue des responsabilités entre les bénévoles et les salariés, et un rôle ambigu et mal assumé des bénévoles qui sont aussi employeurs malgré eux. Pourtant, les salariés continuent de s’engager dans cette voie. Pourquoi ? Parce que, répond l’auteur, elle leur procure une satisfaction morale, une motivation intrinsèque, un sentiment d’utilité. Mais ce n’est pas que cela. Le syndrome de Stockholm, évoqué par l’auteur, prend ici tout son sens : le salarié ne peut faire valoir ses droits, car ce serait aller à l’encontre du projet social de l’association. C’est ne pas faire passer « la cause avant tout ». Ceci suffit-il à expliquer cela ? Non, bien entendu, et la théorie du don, rappelle l’auteur, a ses limites. Les raisons sont aussi pragmatiques, utilitaristes – il faut bien payer son loyer – ou stratégiques, dans la mesure où le travail en association constitue, en certaines circonstances, un « refuge professionnel » pour les salariés les plus âgés ou les moins diplômés.
Le deuxième chapitre entend préciser l’évolution des formes de l’influence de la puissance publique. Si on en est arrivé là, affirme Simon Cottin-Marx, c’est aussi parce que l’État le veut bien, parce qu’il a trouvé là un moyen facile de déléguer ses missions de service public à moindres frais. Cette « bénévolisation de l’activité publique » permet ainsi de confier des tâches à des salariés et à des bénévoles moins coûteux et plus malléables. Certes, on ne peut parler de désengagement de la puissance publique. Mais ce qui est en cours de banalisation et observé depuis plusieurs années par les sociologues, c’est le passage d’une logique de subvention à une logique de commande publique. La contractualisation remplace le versement unilatéral des subventions. Cette marchandisation ou « chalandisation2 » a pour conséquence de privilégier les associations de grande taille, seules capables de répondre aux appels d’offres. Il en résulte une logique de regroupement des petites associations mettant en commun leurs moyens, une logique de transformation des associations innovantes et créatrices en des structures prestataires de service public, ainsi qu’une perte d’indépendance des associations, dont les subsides dépendent de plus en plus des contrats publics remportés. La marchandisation conduit de ce fait à la bureaucratisation, à un durcissement du management et à la recherche de performance qui éloigne les associations de leur projet originel.
Alors que faire ? L’auteur consacre son dernier chapitre à quelques éléments de réponse, tels que le regroupement syndical ou la signature de conventions et autres « chartes d’engagements réciproques ». Un travail de coopération et d’unification entre les entreprises associatives, dotées de commissions paritaires, d’instances de médiation et d’espaces de délibération libérant la parole, s’avère indispensable pour contrebalancer le mouvement en cours. Le principal mérite de l’ouvrage de Simon Cottin-Marx est de montrer que la soumission d’une partie du monde associatif au système managérial n’est pas une fatalité. Les entreprises associatives doivent, comme n’importe quelles autres entreprises, organiser, voire repenser, les moyens de préserver leur indépendance et les formes de coopération et de collaboration entre membres, salariés, bénévoles et employeurs. Pour faire face à la logique marchande et préserver le projet social et le salariat associatif, l’union fait la force.