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Notes de lecture

Dans le même numéro

Les Enfants d'immigrés à l'école. Inégalités scolaires du primaire à l'enseignement supérieur, de Mathieu Ichou

Dans son livre, Mathieu Ichou renouvelle la compréhension des difficultés scolaires que rencontrent les enfants issus de l’immigration. Utilisant à la fois des «  panels  » de l’Éducation nationale concernant les écoliers entrés au cours préparatoire en 1997 et en classe de sixième en 1995 et des données de l’enquête Trajectoires et origines, il a reconstitué non seulement les trajectoires scolaires des enfants issus de l’immigration mais aussi le bagage scolaire des parents avant la migration. L’usage de données de l’Ined lui permet une décomposition fine des origines des migrants, distinguant notamment, parmi les migrants africains, les Sahéliens de ceux qui viennent des pays bordant le golfe de Guinée et, parmi les migrants asiatiques, ceux venus du Vietnam, du Laos et du Cambodge des Chinois.

La première originalité de son travail tient à l’utilisation d’une méthode d’appariement exact dont l’objectif est d’associer chaque enfant d’immigré d’une région du monde aux enfants de natifs (ceux dont les parents ne sont pas migrants) qui partagent avec lui les mêmes caractéristiques sociales.

La seconde originalité est de décentrer le regard vers le pays d’origine des parents. Il prend en compte le niveau d’éducation des migrants – les parents de ces enfants –, qui sont en effet variables d’un pays à l’autre, même si, dans la majorité des cas, les migrants sont plus éduqués que la moyenne des ressortissants de leurs propres pays. Ainsi, près de 60 % des migrants venus du Sénégal appartiennent au quartile le plus éduqué de la population sénégalaise, c’est aussi le cas des migrants venus du Vietnam. La prise en compte des niveaux relatifs d’éducation des parents permet de rendre compte d’une part sensible des différences de réussite scolaire entre un groupe migratoire et un autre. Mathieu Ichou est ainsi amené à mettre en évidence des trajectoires scolaires allant de l’échec précoce à la distinction, remarquant que les garçons sont plus souvent en échec que les filles, et à discuter la réussite scolaire relative, notamment celle des enfants d’immigrés africains et asiatiques.

Mathieu Ichou a en outre mené un grand nombre d’entretiens avec les familles d’immigrés au Royaume-Uni et en France, dans lesquels on aperçoit les ambitions et les contraintes des migrants : il n’y a pas toujours de projet migratoire longuement anticipé, notamment en Asie où des départs précipités ont fait suite à ­l’arrivée au pouvoir du Front national de libération au Vietnam en 1969 ou celui des Khmers rouges au Cambodge en 1975. À travers ces récits pointe le fait que si l’ambition scolaire est partagée par tous les parents, l’injonction de réussir n’est pas reçue avec autant d’enthousiasme par les enfants turcs et chinois.

Le livre de Mathieu Ichou, dans la veine de la sociologie des dispositions de Pierre Bourdieu, donne à réfléchir et tord le cou à une série de stéréotypes sur les raisons de l’échec scolaire des enfants venus d’Afrique, du Maghreb et de Turquie en invitant à une historicisation des trajectoires migratoires de leurs parents, en invitant également à prendre en compte les effets de la ségrégation résidentielle des familles immigrées en France.

Les différences culturelles ne sont pourtant pas réductibles aux paramètres sociaux qu’on peut mettre à jour par l’analyse. Ainsi, des déterminations renvoient notamment à certaines constructions socio­politiques qui varient en Asie comme en Afrique[1]. D’ailleurs, ayant contrôlé ce bagage des parents, il reste des différences de réussite entre les enfants qui interrogent précisément les dimensions culturelles des dispositions à apprendre. Ainsi, si le niveau d’éducation relatif des parents est corrélé avec la réussite à seize ans des enfants d’immigrés, pour un même niveau d’éducation des parents, les jeunes asiatiques sont nettement au-dessus des autochtones, alors que les enfants de migrants du Sahel sont sensiblement au-dessous. De la même manière, si on accorde volontiers à l’auteur que le niveau relatif d’éducation des parents a été ignoré, la prise en compte de leur position professionnelle, de la structure familiale, du niveau absolu de diplômes des parents et surtout de la taille des fratries réduit significativement l’influence qu’on peut attribuer au fait que les parents appartenaient plutôt à l’élite scolaire de leur pays qu’aux catégories défavorisées. Ce qui, à mon sens, illustre bien le fait que les caractéristiques du contexte de socialisation des individus se substituent en partie l’une à l’autre et que c’est seulement leur configuration socio-historique, leur culture, qui forme un contexte pertinent.

Hugues Lagrange

 

 

[1] - Voir Victor Lieberman, Strange Parallels: Southeast Asia in Global Context c. 800-1830, vol. 1 et 2, Cambridge, Cambridge University Press, 2003 et 2009.

 

Presses Universitaires de France, 2018
2 p. 24 €

Hugues Lagrange

Sociologue, il vient de publier Les Maladies du bonheur (PUF, 2020). Ses travaux ont porté notamment sur la socialisation des jeunes, à travers des enquêtes  sur la violence, l'entrée dans la sexualité, l'usage des drogues, la prostitution, le décrochage scolaire et les récits familiaux de migration. Parmi ses publications précédentes : Les Adolescents, le sexe, l'amour. Itinéraires contrastés (Sy…

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