
Dostoïevski face à la mort ou le sexe hanté du langage de Julia Kristeva
Si le lecteur comprend tout de suite « face à la mort », il a plus de difficulté avec « le sexe hanté du langage ». Il peut entendre que le langage a un sexe et que ce sexe, hanté, met en scène des personnages. Il peut aussi, s’il a du goût pour l’archaïsme, suggérer : le sexe est hanté par le langage.
De toute façon, le langage est essentiel. Il permet en effet l’expression « idée sentie », que Stavroguine prononce dans Les Démons (1872) et dont Kirillov relève l’étrangeté : « Vous avez senti une idée ? » Il la reprend pour faire entendre qu’elle a quelque chose de choquant, qu’une idée ne peut pas être sentie, de même que deux et deux ne peuvent faire cinq. Le langage de Dostoïevski est « polyphonique », comme le disait Bakhtine, qui doit à Kristeva sa notoriété en France. Il accueille une multitude de voix, non seulement parce que les personnages sont pris dans des conflits non résolus, mais parce que chacun d’eux est un chaos. On a longtemps cherché à définir la pensée de Dostoïevski. Kristeva répond tranquillement : « Le romancier a dévoré le penseur. »
Que pourrait être une « idée sentie » ? Le senti reste attaché au singulier. Quelle est la relation entre le singulier et ce qui s’éprouve ? Ce que vous dites éprouver, je n’y ai accès que si je l’éprouve moi-même. Stavroguine sent une idée nouvelle : la mort nous délivre de tous nos souvenirs « honteux ». L’idée inv