
En roue libre de David Le Breton
Une anthropologie sentimentale du vélo
David Le Breton, après trois ouvrages sur la marche, nous offre aujourd’hui un livre sur les petites joies simples de l’existence à vélo. D’une certaine manière, il y poursuit sa réflexion sur le monde tel qu’il va, sur le rythme et les pulsations de l’existence, sorte d’éloge un peu paradoxal de la lenteur. Car si certains vont assez vite, et même très vite, en vélo, cette anthropologie sentimentale nous invite plutôt à flâner à bicyclette avec Montand, Tati et quelques autres. Le vélo, c’est l’art du déplacement joyeux, un remède à la sédentarité qui nous menace un peu plus chaque jour, l’art de redevenir un peu nomade. Les balades proposées par l’auteur sont celles qui, paisibles, permettent les rencontres aimables, loin des incivilités générées par l’automobile, ce « caisson d’isolation sensorielle » qui rend si agressif car – rajoute l’auteur – « les chauffards ce sont toujours les autres » ! Le vélo nous accompagne dans notre quête d’autonomie et de liberté. L’enfant l’intègre dans son schéma corporel, l’adolescent y exerce ses prouesses et ses limites, le jeune adulte l’utilise pour toutes ses rencontres, et quelques adultes découvrent, parfois même tardivement, ce petit bonheur. Dans de très belles pages qui émaillent toute l’histoire du vélo, de sa création sans pédales ni freins aux modernes VTC et VTT, David Le Breton insiste, comme Zola en son temps, sur les pratiques singulières du vélo chez les jeunes, les ouvriers et les femmes, comme vecteur d’émancipation. Comme à son habitude, l’auteur justifie l’importance du vélo en puisant dans un nombre incroyable de biographies singulières d’écrivains, d’artistes, de voyageurs, de sportifs… Selon l’hypothèse la plus importante défendue dans cet ouvrage, l’usage paisible du vélo nous permet de passer d’un monde à l’urbanisation sauvage, propice aux incivilités, à un monde plus écologique de coexistences paisibles, notamment dans les espaces de nos villes parfois asphyxiées. En guise de perspectives, proche du Manifeste vélorutionnaire (Pauvert, 1977) proposé, dans le sillage de Mai 68, par Les Amis de la Terre, David Le Breton nous invite donc à user du vélo comme une manière de repenser les villes et le monde.