
Toni tout court de Shane Haddad
Il existe dans ce livre la naissance d’un nouveau Grand Meaulnes version féminine et xxie siècle : « Ni une adolescente ni une adulte. » Comme son aîné, Toni est dans l’entre-deux et son histoire devient un roman d’initiation. Un peu plus tard, la narratrice se noiera dans la foule pour en ressortir femme : « Mes hanches seront adultes », et elle s’espère « sans haine, sans violence, sans incompréhension et pleine de résilience ». Certes, Toni se fait peu d’illusions : « À dix ans Toni pensait que les choses ne changeaient pas. À vingt ans elle se rend compte que rien ne reste comme on le voudrait. » Et ses émotions et ses aventures se heurtent à un mur encore plus haut que ce qu’il était dans l’enfance. Ce qu’elle a dans le cœur demeure, mais se heurte à bien des contradictions. Elles forcent à tâtonner encore et encore. D’où une impossibilité des sentiments. Les autres sont déjà tous amoureux de quelqu’un « et moi je suis aux marges à regarder ». Recouvrer une liberté revient à perdre des assurances face à bien des contradictions. Écrit à la première personne (la narratrice), à la deuxième (quand une voix, souvent maternelle, lui parle), à la troisième (quand elle s’observe), ce roman qui est aussi celui de la langue met en état d’urgence permanent, là où l’incertitude règne, entre angoisse, dégoût et espièglerie.