
L'Or, l'Empire et le Sang. La guerre anglo-boer (1899-1902), de Martin Bossenbroek
Dans notre imaginaire, la guerre des Boers peut se réduire à un conflit entre un pouvoir impérialiste, le Royaume-Uni, et quelques insurgés Afrikaners, les premiers « camps de concentration » institués par Lord Kitchener et l’engagement du jeune Winston Churchill. Un des mérites de l’ouvrage de Martin Bossenbroek est de battre en brèche ces idées reçues : le Transvaal et l’État libre d’Orange formaient de véritables entités politiques autonomes ; les camps mis en place par l’armée britannique relevaient davantage de l’internement que d’une logique génocidaire, même si près de 28 000 Boers et 20 000 Noirs et Métis y perdirent la vie ; et si Churchill y combattit, son engagement est négligeable devant celui des milliers d’Afrikaners ou de volontaires indiens ou européens dans chacun des deux camps.
Étrange guerre, déclenchée autant par l’esprit de conquête des Britanniques que par l’intransigeance des Boers, et terminée par l’accord de paix, le 31 mai 1902, adopté à 54 voix contre 6 par les représentants des deux républiques Boers. Les Afrikaners sont décrits comme des idéalistes empreints de théologie chrétienne, élisant leurs officiers et dont le président Paul Kruger se réfère sans cesse à la Bible. Mais leurs velléités d’indépendance, leurs victoires passées contre les troupes impériales britanniques et leur fierté de coloniser une nouvelle « terre promise » les empêchèrent d’inclure dans leurs sociétés les nombreux anglophones, ou uitlanders, venus travailler dans les mines et les villes nouvelles du Transvaal.
Bossenbroek consacre le premier tiers de son livre à décrire la montée des tensions dans l’ensemble géographique sud-africain. L’attachement féroce des Boers à leurs deux Républiques venait autant d’un « droit du premier arrivant », les Néerlandais ayant été les premiers à s’installer dans ces territoires à partir du milieu du xviie siècle, que des succès diplomatiques et militaires précédents. Par la suite, les négociations sans fin autour des terres qui allaient devenir le Lesotho et le Swaziland, et les plans d’investissement complexes pour que Britanniques et Boers bénéficient de voies ferrées et d’accès à la mer créèrent les conditions de rivalités économiques et impériales, menant à la guerre à partir de 1899.
Bien sûr, comme le montre le chapitre final sur les origines de la guerre, le prétexte d’aider les uitlanders formait une occasion rêvée d’extension d’influence pour l’empire britannique, comme le reconnut le Premier ministre Salisbury : « L’essentiel, en Afrique du Sud, c’est de faire en sorte que ce soit nous qui commandions, et pas les Hollandais. » Et il ne faudrait pas voir les Boers comme des soldats innocents ou idéalistes : Martin Bossenbroek rappelle leur exclusion volontaire des Noirs et Métis de leurs sociétés et armées, ce qui avantagera à terme les Britanniques dans le conflit, et leur tendance à ne traiter avec civilité que les soldats blancs qu’ils capturaient.
Le parcours de quelques combattants et observateurs permet de mettre en avant des figures inattendues : Gandhi, engagé volontaire comme brancardier, Arthur Conan Doyle, médecin militaire dans l’armée britannique, et surtout Emily Hobhouse, militante pour la reconnaissance et l’amélioration des conditions de vie indignes dans les camps d’internement pour Boers. L’engagement du Parti libéral britannique et d’un de ses jeunes parlementaires, David Lloyd George, plus tard Premier ministre, permit une des premières mobilisations transfrontalières pour la dignité humaine du xxe siècle.
Le portrait de William Leyds, juriste et diplomate boer représentant le Transvaal et l’État libre d’Orange en Europe, permet de comprendre cette période de remise en question de la civilité, de l’arbitrage international et de la diplomatie conciliante menée par les grandes puissances. En rapportant les réalités sanglantes de cette guerre, renforcées par l’usage massif de fusils d’assaut et de canons d’artillerie, Martin Bossenbroek examine la transformation des conflits en anéantissement de populations.
La mémoire des dirigeants boers, en particulier celle du président Paul Kruger (statues et rues à leur nom), continue de poser problème. Certains partisans de l’Anc préfèrent par exemple appeler Pretoria, nommée après Andres Pretorius, dirigeant boer du milieu du xixe siècle, Tshwane, du nom d’un souverain noir du xviiie siècle, dont la présence réelle dans la région n’est pas certaine…