
Peaux et ocres d'Abderrahim Kamal
Abderrahim Kamal peint des figures du passé pour changer l’avenir de son pays.
Une trilogie romanesque pour exorciser le passé douloureux de toute une génération marocaine : après Tkoulia, l’attente (Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc, 2020), voici Peaux et ocres, en attendant un troisième volume intitulé Naufrage dans le désert. L’auteur montre, en couleurs froides, les plaies encore béantes de son pays, laissées par les « années de plomb » (règne de Hassan II).
Kamal aborde le bagne de Tazmammart, si longtemps ignoré, à travers le corps d’un rescapé, présenté comme « une chose dévastée, putride ». C’est de cette peau et de bien d’autres que le narrateur fait son « parchemin de l’Histoire ». Ils traversent tous « un siècle de cris, de réclusion à ciel ouvert » dans ce témoignage collectif, inspiré de véritables scènes racontées par des amis et collègues.
Dans Tkoulia, l’attente, déjà, les masques tombent. L’opportunisme et l’arrivisme de l’élite pseudo-intellectuelle sont critiqués. Le personnage de Rachad, odieux, médiocre, mais pathétiquement attachant, permet une dénonciation du faux militantisme. Celui de Karroum est « un faux-cul qui prétend participer à la formation d’une vraie gauche révolutionnaire. Depuis ses années d’études, il s’est constitué un capital imaginaire de militantisme en gueulant de grands slogans dans le ciel de la faculté et de bars avant de se débiner, se payer quelques jours ou semaines de repos en France ». Pour Abdelali, le vrai militant, ceux « de la bouteille » « ne se souviennent des causes et des principes à défendre que la nuit, devant une bouteille de vin, de bière ou d’alcool fort bon marché ». Le coupable principal est le makhzen, le système politique marocain, qui se plaît à « fabriquer une élite particulière » afin de perdurer.
Abderrahim Kamal peint des figures du passé pour changer l’avenir de son pays. L’artiste Gharbany utilise l’ocre naturel de sa région pour donner vie à des sculptures installées dans « un musée à l’air libre ». Il a horreur des murs, des limites, des frontières, car il étouffe dans cette atmosphère hypocrite : son art est une échappatoire. C’est à travers la contemplation d’un tableau que commence Peaux et ocres : Zakia est « hypnotisée par le tableau », parce qu’elle reconnaît sa douleur dans ces « corps tordus » aux « visages effacés ». Elle partage avec l’artiste Zahra le même traumatisme de la perte du père et « la douleur d’exister dans l’attente ». Mais que faire, sinon attendre ?