
Le parlement des invisibles
Montrer ceux que l’on ne voit pas. Donner la parole à ceux que l’on n’entend pas. Tel est l’ambitieux projet de « Raconter la vie », série dirigée par Pierre Rosanvallon, dont le Parlement des invisibles constitue le manifeste. Cette série est composée de petits livres (Marc-Olivier Padis a rendu compte de celui d’Ève Charrin dans notre numéro de janvier) consacrés à des personnes, des lieux, des moments de vie, et d’un site internet sur lequel on peut proposer « son » histoire. L’objectif est de constituer une « démocratie narrative », de « construire une représentation-narration pour que l’idéal démocratique reprenne vie et forme ». P. Rosanvallon pointe le fait qu’une société qui ne se voit pas prend peur, ou reste passive ; la représentation politique étant aujourd’hui en crise, c’est la représentation narrative qui peut permettre de « refaire société ». Un tel projet n’est pas le premier du genre, et l’auteur le souligne en faisant une brève histoire des récits de vie, de la série les Français peints par eux-mêmes au xixe siècle au Quai de Ouistreham de Florence Aubenas, en passant par les reportages des journalistes et écrivains américains pendant la Grande dépression. Si le croisement entre fiction et documentaire, entre sciences sociales et récit, est toujours fécond, reste que l’on peut malgré tout se poser la question du statut de ces récits de vie : est-ce la même chose de lire la vie d’une contrôleuse des impôts racontée par un philosophe (Guillaume le Blanc) et celle d’un ouvrier racontée par lui-même (Anthony) ?
A. B.