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Notes de lecture

Dans le même numéro

Partages de la perspective d'Emmanuel Alloa

septembre 2021

Autrefois attachée à un certain progressisme et mise au service de la lutte contre une vision dogmatique des choses, l’idée de perspective semble aujourd’hui avoir changé de camp et se prêter à toutes les récupérations idéologiques. Les tendances identitaires, intégristes, sectaires, négationnistes de tous bords invoquent la pluralité des opinions pour faire valoir leur droit à la parole et clore abruptement les débats, crisper les oppositions et envenimer les discordes. En proclamant l’impossibilité de subsumer les opinions sous une norme objective commune, un perspectivisme radical entérinerait du même coup le caractère irrémissible des fractures sociales et politiques. Rien ne permettrait à l’individu de sortir de cette totalité close formée par ses jugements et ses perceptions ; rien ne ferait signe hors de ce retrait solipsiste et qui lui donnerait une prise sur autrui. Poussée jusque dans ses conséquences les plus radicales, la notion de perspective atomise donc le socius et fait de chaque individu une monade isolée, repliée sur son pré carré, à l’abri « parmi les siens ». C’est avec beaucoup de finesse et d’érudition que l’ouvrage d’Emmanuel Alloa analyse cette confusion dans laquelle la notion de perspective se trouve prise depuis quelques années. Il met au clair cette mésinterprétation sans pour autant sombrer dans l’écueil inverse, celui d’un retour à un réalisme grossier ou à une forme de néo-factualisme qui ferait valoir, face à la proclamation de l’irréductibilité des perspectives, la fiction de faits évidents et indiscutables. Au contraire, l’auteur s’efforce de défricher une voie médiane. Contre l’idée d’un perspectivisme « claustral », qui laisserait chaque individu isolé par ses propres convictions, il promeut l’idée d’un perspectivisme « diagonal » (entendre di-agonal, fondé sur la confrontation), qui assumerait le caractère partial de chaque interprétation du monde et ferait de leur mise en débat, de la confrontation démocratique des perspectives, la clé de la concorde politique. La perspective, telle est la thèse centrale de l’ouvrage, n’est pas uniquement ce qui isole ; elle peut être aussi ce qui rassemble, ce qui se partage et, à terme, ce que l’on construit de concert – à condition bien sûr que chacun ait le courage de l’exposer à la critique.

Fayard, 2020
285 p. 25 €

Quentin Regnier

Titulaire d'un master de philosophie contemporaine préparé à l'École Normale Supérieure, Quentin Regnier est assistant de rédaction pour la revue Esprit.

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Où habitons-nous ?

La question du logement nous concerne tous, mais elle peine à s’inscrire dans le débat public. Pourtant, avant même la crise sanitaire, le mouvement des Gilets jaunes avait montré qu’elle cristallisait de nombreuses préoccupations. Les transformations à l’œuvre dans le secteur du logement, comme nos représentations de l’habitat, font ainsi écho à nombre de défis contemporains : l’accueil des migrants, la transition écologique, les jeux du marché, la place de l’État, la solidarité et la ségrégation… Ce dossier, coordonné par Julien Leplaideur, éclaire les dynamiques du secteur pour mieux comprendre les tensions sociales actuelles, mais aussi nos envies de vivre autrement.

À lire aussi dans ce numéro : le piège de l’identité, la naissance du témoin moderne, Castoriadis fonctionnaire, le libéralisme introuvable, un nouveau Mounier et Jaccottet sur les pas d’Orphée.