
L'Iran et ses rivaux sous la dir. de Clément Therme
Plus de quarante ans après la révolution islamique de 1979, la question de l’intégration de l’Iran dans son environnement régional et de sa place au sein de la communauté internationale n’est toujours pas réglée. Pour le président Trump, la République islamique est un « État terroriste » menant une politique anti-israélienne et antisioniste, qui s’accompagne d’une remise en cause de la Shoah.
Bien des voisins de l’Iran lui reprochent la dimension révolutionnaire de sa politique. La plupart des monarchies arabes du Golfe s’insurgent contre l’ambition de l’Iran de parler au nom de l’ensemble des musulmans. La double fonction, religieuse et politique, du Guide suprême est source de tensions. En effet cette volonté de parler directement aux minorités chiites, dispersées dans le monde arabe, dont elles forment 10 à 15 % de la population, d’apparaître comme leur guide spirituel, voire temporel, est perçu comme une atteinte à leur souveraineté.
Pourtant, ce prosélytisme poursuivi par Téhéran, que l’on décrit souvent comme l’axe chiite s’étirant jusqu’à la Méditerranée, se heurte depuis peu à des mouvements d’opposition à l’intérieur du pays, que Clément Therme qualifie de « patriotisme par le bas ». L’expression n’est-elle pas trop forte, s’agissant d’une demande d’amélioration de la vie quotidienne de la population ? Mais ces mouvements protestataires, qui surgissent régulièrement en Iran et sont durement réprimés, ne se cantonnent plus à ce pays, et font irruption depuis l’automne 2019 en Irak et au Liban, ce qui démontre les limites du soft power iranien.
Téhéran, qui s’est efforcé depuis l’ère du chah d’entretenir des relations de bon voisinage avec l’Urss, après avoir opté après 1979 pour une dénonciation du « marxisme athée », s’est rapproché progressivement de Moscou. Cela s’est traduit par une coopération nucléaire civile (inauguration de la centrale de Bouchehr en 2011) et militaire (livraison des systèmes antiaériens S-300). Depuis l’irruption de la guerre civile, l’Iran est également devenu un partenaire de la Russie dans la lutte contre le djihadisme, malgré la concurrence entre les entreprises des deux pays engagés dans la reconstruction de la Syrie.
Ce livre collectif présente, avec nuances, les relations internationales de l’Iran depuis 1941. Priorité est donnée par Téhéran à son opposition à Washington. Aux yeux des auteurs, la politique américaine à l’égard de Téhéran n’est pas clairement définie. Elle oscille entre la politique de pression maximale de Donald Trump, qui pense qu’elle conduira à une rencontre avec le président iranien, et une volonté de regime change émanant des milieux néoconservateurs. On a vu ce à quoi a abouti l’approche Trump, alliant menaces et tentatives de séduction dans le cas de la Corée du Nord. Reste que l’Iran semble désormais dans l’impasse, avec une récession de près de 9, 5 % en 2019, qui a toutes chances de perdurer avec l’actuelle atonie du marché pétrolier et la crise liée au Covid-19.
C’est donc une étude fouillée de bien des déterminants de la politique étrangère iranienne que livre la riche collection d’auteurs de cet ouvrage, précis et réfléchi. Aux côtés des universitaires spécialistes des divers pays traités (Chine, Turquie, Israël, France, Arabie saoudite), on y trouve les anciens ambassadeurs de France en Iran (François Nicoullaud) et en Syrie (Michel Duclos). La conclusion qu’ils en tirent est que l’Iran n’est pas parvenu à réaliser le potentiel lié à sa position stratégique favorable, celle d’un pays carrefour. Son hostilité institutionnelle avec les États-Unis grève son développement économique et limite la construction de relations avec les pays limitrophes ; la dimension révolutionnaire de la République islamique reste un obstacle à la conclusion d’alliances régionales conformes à ses intérêts nationaux. On ne voit guère un changement se profiler à l’horizon tant les durs du régime semblent avoir le vent en poupe.