
À la droite du père, de Marie Bardet
Construit en trois parties inégales (« Oubli », « Enfances » et « Mémoires »), qui correspondent à quatre moments historiques différents (1940, 1975, 1982 et 2013), ce premier roman emprunte à l’autobiographie et au documentaire historique, genres que l’auteure mêle hardiment avec une très belle écriture. Le roman vous saisit, que vous le lisiez d’un coup ou par étapes, telle la passion du Christ. Vous comprenez que seul Jésus bénéficie d’une place enviable, à la droite du Père. Il l’obtient après sa mort, sa mise au tombeau, sa résurrection et son ascension. Est-ce un même parcours qu’effectue la petite Claire, née à Vichy, d’un père âgé et vichyste et d’une mère trente ans plus jeune, peu aimante, au point qu’elle imagine que ce n’est pas sa mère ? Le père la préfère à sa sœur aînée ; elle s’en veut et rêve de rencontrer Carlos le terroriste. Plus tard, vigneronne, elle va à Beyrouth pour un salon, rencontre Maksim, dont le frère se prénomme Carlos, l’aime, le retrouve à Rivesaltes ; chacun raconte à l’autre son enfance tourmentée. Avec Pétain, la France collaborationniste fait du zèle en matière de dénonciation des juifs. Dans la maison de Claire, une photographie montre son père, architecte célèbre, en compagnie du Maréchal. Progressivement, les pièces d’un puzzle incomplet se mettent en place et le lecteur suit ces emboîtements : celui de l’enfance de Claire, élevée dans une famille catholique, dont le père porte à un moment la kippa, apprend l’hébreu, cesse son métier d’architecte et se consacre à l’étude la Bible. Pour le vieux monsieur, le « meilleur ennemi du Juif est le Juif »… Ce roman relie précisément la politique antisémite du régime de Vichy, le conflit qui oppose Israël aux Palestiniens, les camps nazis et les camps palestiniens de Beyrouth, les terroristes qui défendent la cause palestinienne… Roman choral dont le fil conducteur est la naissance, sans cesse contrariée, de Claire, accouchant d’elle-même en quelque sorte. Gaston Robert n’est autre que Gaston Bardet (1907-1989), architecte de l’Exposition internationale de 1937, auteur d’une thèse sur la Rome de Mussolini et de nombreux ouvrages pour un urbanisme humaniste (anti-corbuséen) qui méritent encore le détour. Il a épousé la fille de Marcel Poëte avant de se marier avec une jeune femme avec laquelle il aura deux enfants, dont Marie Bardet…
Thierry Paquot