
Artana ! Artana !, de Didier Daeninckx
Banlieusard depuis des lustres, journaliste pour un bulletin municipal à ses débuts, par la suite observateur attentif du « neuf-trois » et de ses à-côtés, Didier Daeninckx connaît parfaitement les « quartiers sensibles » et décrit une situation ordinaire qui ne peut étonner que celles et ceux qui ne se sont jamais rendus dans ces territoires. Le hasard ne fait pas bien les choses car ce roman paraît en même temps que le « Rapport Borloo », aussi ses rédacteurs n’ont-ils pu en prendre connaissance, ce qui leur aurait pourtant bien servi et évité une vision naïvement gentillette ! En effet, Courvilliers concentre tous les symptômes d’une commune à la dérive et ressemble comme une goutte d’eau à bien des municipalités réelles : un maire élu avec une poignée de votants (l’abstention est largement majoritaire : ainsi, aux municipales de 2014, le taux avoisinait ou dépassait les 60 % à Aubervilliers, Saint-Denis, Sarcelles, Bobigny, Stains, Villiers-le-Bel…), donc sans aucune légitimité démocratique, une collusion à peine dissimulée avec les truands, une prospère économie de la drogue, des emplois municipaux fictifs, un clientélisme efficace, une connivence avec les intégristes… Cet avers de la médaille possède son revers tout aussi glorieux : espaces publics déglingués et sales (on y vidange les bagnoles et on y abandonne les « encombrants »), ascenseurs en panne chronique, services municipaux inefficaces, etc. Erik Ketezer, qui a vécu sa jeunesse à Courvilliers, bastion communiste, dorénavant vétérinaire en Normandie, y revient à la demande d’une amie qui voudrait en savoir plus sur la mort inexpliquée de son frère, aux activités pas toujours nettes… Ce prétexte à une enquête quasi policière, spécialité de l’auteur, lui permet aussi de révéler le quotidien d’une ville de la banlieue parisienne avec son lot de désespérances, de bricolages, de trafics en tout genre, de règlements de compte… Le lecteur trouvera les scènes locales bien plus exotiques que celles dont l’action se déroule en Thaïlande et découvrira, non sans dégoût, le fonctionnement de tout un système politico-maffieux au mécanisme bien huilé, déjà à l’époque resplendissante du Parti, qui ne peut être inventé tant il semble, non seulement vraisemblable, mais réel ! Télescopant les périodes, ménageant les surprises de l’enquête, Didier Daeninckx propose un excellent roman sur la banlieue, démontrant une fois de plus que l’aventure est au coin de la rue et que toute ville en cache d’autres.
Thierry Paquot