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Notes de lecture

Dans le même numéro

Le Totalitarisme industriel de Bernard Charbonneau

juil./août 2019

#Divers

Ces quarante-huit articles de Bernard Charbonneau (1910-1996) ont été publiés dans La Gueule ouverte – journal créé par Pierre Fournier en 1972, et qui s’arrêtera en 1980, Charbonneau y collabore de 1972 à 1977 avec sa rubrique intitulée «  Chronique du terrain vague  » – et dans Combat nature – qui résulte de la fusion en 1974 de Maisons et Paysages d’Alain de Swarte et de Mieux vivre de Marc-Antoine Rendu et quelques amis. Ils concernent de nombreux sujets regroupés ici en six ensembles («  Un développement explosif  », «  Autorité scientifique  », «  Société technocratique  », «  Un monstre industriel qui dévore l’espace  », «  Le désert agrochimique  », «  Directives pour un mouvement écologiste  » et «  La révolution impossible et nécessaire  »). Chaque article est une alerte destinée au lecteur, accompagnée d’une contre-proposition, Bernard Charbonneau ne se contente pas de dénoncer une aberration, il suggère des actions. Lui-même participe activement à divers comités locaux contre tel aménagement de la côte, telle dérogation accordée à un pollueur ou à un « aménageur ». Dès le lancement de la revue Esprit en 1932, avec son ami et complice Jacques Ellul, ils animent des groupes personnalistes dans le Sud-Ouest, les résultats de ces discussions collectives seront des Directives pour un manifeste personnaliste qu’ils cosignent en 1935, un court essai de Charbonneau, Le Sentiment de la nature, force révolutionnaire, rédigé en 1937, qui est dorénavant considéré comme le premier texte d’écologie politique français. Ces réflexions ne plaisent guère à Emmanuel Mounier et la rupture entre le fondateur du personnalisme et les deux Gascons aux positions radicales s’impose… Bernard ­Charbonneau a fait le choix de s’installer à côté de Pau, où il enseigne l’histoire et la géographie aux futurs institutrices et instituteurs, afin d’être pleinement dans cette « nature », de moins en moins naturelle, qu’il ne cesse de défendre contre tous les saccages dont elle fait l’objet au nom du progrès, du tourisme, de l’agriculture, de l’urbanisation,  etc. Il ne se contente pas de pointer les perversités d’un système économique, il en nomme les responsables, les patrons des multinationales, les responsables politiques mais aussi les technocrates comme Pierre Massé (ex-directeur du Plan), Jérôme Monod (responsable de la Datar et donc de « l’aménagement du territoire ») ou encore Sicco Mansholt (vice-président de la Commission européenne chargée de l’agriculture), tous proches du Club de Rome… Ces quelques phrases relevées dans ces articles réunis et très bien introduits par Pierre Thiesset, donneront, je l’espère, l’envie de les lire dans leur intégralité : « Cependant, jour après jour, plus d’hommes, plus de machines, plus de science, plus de loisir. De plus en plus gros, de plus en plus petit, de plus en plus énorme, de moins ne moins visible. Plus vite et fiable. En tout cas “plus”, jamais moins pour mieux. » (1989) ; « L’espace-­temps se comprimant dans la mesure où les transports s’accélèrent, il semble que le seul moyen de gagner de l’espace et du temps soit d’aller encore plus vite. » (1994) ; « Si vous produisez un arbre en dix ans ou du coquelet en un mois, vous ne produirez pas du bois ou du poulet mais de la merde. » (1977) ; « Vivre, et surtout s’en réjouir, demande du temps, et de l’espace. À plus forte raison rêver, réfléchir et penser. » (1977) ; « Le nucléaire, l’agrochimie, la génétique, comme n’importe quelle autre “tique” cultivée par un “logue”, forment un tout: sans ordinateur, il n’y aurait pas de centrales nucléaires. » (1989) ; « Notre société laïque a besoin d’un débat de fond sur la science comme il en fut sur la religion à l’époque des Lumières: débat qui concerne tous, non les seuls spécialistes. Sinon les pouvoirs que la science pourrait nous accorder pour le bien de l’homme ne seront plus que ceux de son autodestruction: sûrement morale et spirituelle, peut-être même physique. » (1995) ; ou encore « J’avais cru qu’allant dix fois plus vite, ils permettraient d’en faire dix fois moins, alors qu’ils servent à en faire vingt fois plus. » (1973). Alors ?

 

Préface de Pierre Thiesset, L’Échappée, 2019
272 p. 20 €

Thierry Paquot

Philosophe, professeur à l'Institut d'urbanisme de Paris, il est spécialiste des questions urbaines et architecturales, et participe activement au débat sur la ville et ses transformations actuelles. Thierry Paquot a beaucoup contribué à diffuser l'oeuvre d'Ivan Illich en France (voir sa préface à Ivan Illich, La Découverte, 2012), et poursuit ses explorations philosophiques du lien entre nature,…

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L’argent, maître invisible

Le dossier estival de la revue Esprit, coordonné par Camille Riquier, fait l’hypothèse que le monde capitaliste a substitué l’argent à Dieu comme nouveau maître invisible. Parce que la soif de l’or oublie le sang des pauvres, la communauté de l’argent est fondée sur un abus de confiance. Les nouvelles monnaies changent-elles la donne ? Peut-on rendre l’argent visible et ainsi s’en rendre maître ?