
Mémoires au soleil, d'Azouz Begag
Dans le Gone du Chaâba (1986), Azouz Begag nous a présenté son père, homme intègre, maçon travailleur, fier de bien élever ses enfants. On s’en souvient, la famille quitte le bidonville dans la banlieue lyonnaise pour un appartement « tout confort ». Là, maintenant qu’il est accompagné d’« Ali Zaïmeur », une terrible maladie qui grignote la mémoire, et qu’il fugue, l’auteur se rend compte qu’il ne le connaît pas. Aussi entreprend-il un voyage au bled pour en savoir plus sur son géniteur qui ne possède pas de « papiers officiels ». Quand est-il né ? Quelle est sa parentèle ? En quelles circonstances a-t-il immigré en France ? Et sa femme, qui est-elle ? Eux deux sont analphabètes, mais loin d’être bêtes ! C’est certainement à cause de cette situation qu’Azouz plonge si souvent dans le dictionnaire, lit autant et écrit. Par exemple un poème : « Les vieux d’ici rêvent de là-bas/les jeunes de là-bas rêvent d’ici/leurs rêves se croisent en Méditerranée/puis se noient. » La maîtresse l’accuse de plagiat… Au pays natal, les pistes ne sont guère concluantes et l’homme sans identité le demeure, ce qui ne plaît pas au narrateur qui ne veut être le fils de personne ! Son prénom et son nom même ne sont pas certains, pas plus que son lieu de naissance. Malgré la bureaucratie coloniale, l’état civil laisse à désirer… Néanmoins, une chose est sûre, il est « deuxième collège », c’est-à-dire citoyen de second rang, ce qui affecte Azouz qui se demande comment l’on peut décréter de telles catégories au sein d’une même République ? À la maison, pas de photographie pour identifier un village ou des parents. Rien. Du reste, à l’école, l’auteur ne savait que répondre lorsqu’on l’interrogeait sur ses grands-parents, lui qui n’en avait pas. Il n’a jamais vu non plus ses parents se toucher, s’embrasser, se faire un geste affectueux. Moins il comprend, plus il veut savoir. Le fugueur, comme souvent heureusement, se rend au Café du Soleil que tient un compatriote, Miloud. Là, il joue aux dominos ou plus fréquemment observe, un rien absent, les joueurs, d’autres Algériens en rade, les « extraterrestres ». La perte de la mémoire s’avère terrible aussi pour ceux qui en ont encore : comment communiquer, partager, aimer ? « En douce, je redemande au bon Dieu de le sauver, c’est le seul père que j’ai, j’en ai besoin. Je voudrais bien qu’Il le remplisse à nouveau de sa mémoire avec un eCloud, un eNuage, peu importe, mais que toutes les lampes de son cerveau s’allument d’un coup comme le bouquet final d’un feu d’artifice du 14 juillet. Ou les Illuminations de Lyon le 8 décembre. Hé, bon Dieu, tu n’as pas de manivelle disponible dans ton garage ? » Roman autobiographique à l’émotion à fleur de lignes, aux trouvailles langagières toujours drôles, portraits d’une mère et d’un père dignes à qui l’on a certainement volé une partie de leur existence sans leur ôter leur solitude.