
Mon frère, Jack Kerouac, d'Adrien Le Bihan
L’érudition est subtilement distillée au point de disparaître derrière une écriture personnelle non dénuée de facéties, ainsi le sérieux de l’étude est-il dissimulé sous la réjouissance des propos. L’auteur, adepte du gai savoir, comme il l’a prouvé dans Rue André Gide (Cherche Bruit, 2003) ou James Joyce travesti par trois clercs parisiens (Cherche Bruit, 2011), mène une enquête qui entremêle l’autobiographie à la biographie de Jack Kerouac (1922-1969). En effet, ce dernier se prétend breton et vient même en France pour traquer ses ancêtres, les Le Brice de Kerouac. Ses parents sont des Québécois ayant migré aux États-Unis, son père est imprimeur, et le jeune Jack parle d’abord joual, puis anglais, langue dans laquelle il va écrire son œuvre, excepté un manuscrit de jeunesse rédigé en français. Bien que marseillais – son père travaille sur les paquebots –, Adrien Le Bihan est d’origine bretonne, peut-être est-il apparenté aux Kerouac ? Aussi cherche-t-il les vraisemblables interférences entre sa lignée et celle de l’auteur de Sur la route. Cela nous vaut un double récit se lisant comme une quête d’identité où la fiction joue son rôle de déclencheur de situations souvent rocambolesques et toujours littéraires. Adrien Le Bihan connaît son Kerouac sur le bout des doigts, traduit des extraits inédits en français, présente les amitiés (avec Edie Parker, Neal Cassady, Carolyn Cassady, Allen Ginsberg, William Burroughs…) du créateur de la beat generation ou « génération fatiguée, avachie, foutue » (formule que l’on trouve en 1948 et qui fait écho à la précédente lost generation), décode les noms des personnages (réels) de ses romans (grandement autobiographiques), visite ses lieux de prédilections (San Francisco, Tanger, Paris, Marseille et aussi Baltimore), lit certaines de ses références tenaces (Voyage au bout de la nuit ou Les Mystères de Paris) et tente de cerner la personnalité, ô combien chahutée, de ce clochard céleste. La route et la mer sont parcourues dans tous les sens par cet insatiable errant : « la mer ne fait pas de phrases », note-t-il fiévreusement, ou encore « Nous devons rouler comme roulent les vagues », « “On est toutes cachez, mange/le silence”, dit les poissons/de la mer »… « Quelques mois avant sa mort, rapporte Adrien Le Bihan, pour son neveu par alliance Nick Sampas, il signe : “Jacky Jean-Louis Lebris de Kerouac’h of Meslan, Cornouiles (sic) Finistère, Bretagne Comte Héréditaire, ou Roi, de Cornouaile Prince Noir Phhhtt” et couronne sa guirlande du mantra “Namo Amithaba Bouddha”. » Ce caractère breton lui est chevillé au corps, il est aussi une clé pour entrer dans son œuvre.