
Un monde à part. Cartes et territoires, de Kenneth White
Le fondateur de la géo-poétique réunit plusieurs textes d’une érudition gourmande et d’une écriture chaleureuse qui forment un ensemble cohérent et jubilatoire. Dans « Éloge de la cartographie », il présente ses lectures savantes d’ouvrages géographiques du xvie siècle au xixe siècle qui lui permettent d’identifier le « nomade intellectuel ». L’étudiant à l’université de Glasgow fouille dans les rayonnages de la bibliothèque et en sort Alfred Korzybski, à qui l’on doit la célèbre sentence, « la carte n’est pas le territoire », que Kenneth White comprend comme un appel à « amplifier, approfondir, densifier notre expérience du réel, tout en essayant de parvenir à une représentation plus complète ». Ce qui va l’occuper de longues années lors d’innombrables voyages « sur les chemins du monde », où nous le suivons avec plaisir, tant chaque parcours révèle ses rencontres, ses étonnements, ses remises en cause. Les pages sur la steppe en compagnie de Tchekhov sont splendides : « Écoutons dans le bruit du temps, dans le fracas des religions et des idéologies, dans la confusion générale, cette neige. Sa grande dérive silencieuse. Silentium. C’est dans ce grand silence que se trouve le fond du fond. »Explorant avec sensibilité l’Asie centrale (et le Transsibérien), le Gange, l’Écosse, l’auteur donne forme à la géo-poétique et nous enivre.