
Cornelius Castoriadis. Du chaos naît la création de Nicolas Poirier
Disparu en 1997, Castoriadis demeure aujourd’hui une référence incontournable dans le champ de la philosophie politique, en particulier dans la galaxie des penseurs de gauche. Cependant, ancrée qu’elle est à bien des égards dans les débats qui ont agité le marxisme dans les décennies de l’après-guerre, son œuvre foisonnante demeure quelque peu difficile d’accès. Plutôt qu’une exégèse systématique, Nicolas Poirier propose ici un ouvrage introductif et didactique, organisé en plusieurs thématiques, ordonnées elles-mêmes de manière chronologique, ce qui permet de les relier aux principales périodes de l’élaboration de cette œuvre, et de les repérer au sein du parcours biographique de son auteur. La première est marquée par la lutte contre le nazisme et le stalinisme qui (bien plutôt que l’exil) apparaît comme la véritable matrice des engagements ultérieurs d’un penseur caractérisé avant tout par une grande indépendance d’esprit. La période militante de Socialisme ou barbarie, jusqu’à la fin des années 1960, voit l’élaboration d’une relecture acérée de Marx, articulée à une théorie originale de la figure du « capitalisme bureaucratique », forme commune aux sociétés occidentales et à celles du bloc soviétique. À partir de 1970, suite à la dissolution du groupe et à la naturalisation de Castoriadis, qui ne craint plus d’être expulsé, le projet théorique est affiné et amplifié dans plusieurs livres essentiels que l’ouvrage éclaire en montrant leur dialogue avec d’autres figures philosophiques de la modernité, de Kant à Lacan en passant par Husserl, Heidegger, Sartre et Merleau-Ponty, sans oublier Claude Lefort. Se dessinent alors les principaux ressorts théoriques d’une œuvre dont l’enjeu consiste à redonner à la liberté humaine son ampleur et sa radicalité. Pour cela, elle s’emploie à débarrasser sa conceptualisation des rigidités de la métaphysique traditionnelle, au moyen d’une théorie radicale de l’imagination, et à inscrire l’action libre dans un cadre social plutôt qu’individuel. S’appuyant sur les derniers textes sur l’antiquité grecque, Nicolas Poirier insiste finalement sur l’opposition du chaos et de la création, plus originelle encore que la relation entre l’instituant et l’institué à travers laquelle on comprend généralement l’auteur de L’Institution imaginaire de la société.