
Le travail de Memorial doit se poursuivre !
Alors que des tribunaux russes ont décidé coup sur coup, les 28 et 29 décembre 2021, de la dissolution de l'ONG Memorial international et du Centre des droits humains Memorial, le comité Russie – Europe témoigne son soutien à toutes les citoyennes et citoyens, chercheurs et bénévoles engagés de longue date dans le travail de Memorial international. Il appelle à accueillir tous ceux d'entre eux qui seront forcés à l'exil et à leur donner les moyens humains et matériels de poursuivre leur travail essentiel.
La Cour suprême de la Fédération de Russie a décidé, le 28 décembre 2021, de « liquider » l’organisation Memorial international et toutes ses filiales régionales. Le lendemain, le Centre des Droits humains « Memorial » était également liquidé.
Après des mois d’emballement de la spirale répressive du régime de Vladimir Poutine, après l’arrestation et l’emprisonnement de nombreux journalistes et défenseurs des droits de l’homme, la multiplication des mesures vexatoires et des simulacres de procès, ces deux décisions ne constituent malheureusement pas une surprise. Elles montrent en revanche qu’un nouveau cap a été franchi dans la violence d'État, et appellent une réaction ferme et coordonnée des autorités françaises et européennes, des opinions publiques et de l’ensemble de la communauté scientifique internationale.
Fondée par Andrei Sakharov au printemps 1989 pour écrire l’histoire du Goulag et des répressions soviétiques, Memorial international poursuit depuis plus de trente ans un travail d’histoire citoyen et scientifique d’une très grande rigueur, salué par les historiens du monde entier. Ce travail patient et minutieux, de collecte de témoignages et de constitution d’archives, est essentiel à la compréhension du passé : en Russie bien sûr, mais aussi dans toutes les ex-républiques soviétiques, en Europe et dans le monde. D’abord accusée d’avoir violé les dispositions de la loi sur les « agents étrangers », l’organisation est aujourd’hui condamnée au motif qu’elle « crée une image mensongère de l’URSS comme État terroriste, blanchit et réhabilite les criminels nazis ». À travers cette affirmation où le grotesque le dispute au cynisme, c’est l’ensemble du monde de la recherche et la démarche même de la connaissance historique qui sont attaquées. Comme aux grandes heures de la terreur stalinienne, les mots sont vidés de leur sens, et plus aucune vérité n’est censée tenir face à la propagande et au mensonge d’État. Le régime de Vladimir Poutine entend poursuivre la réécriture de l’histoire russe et soviétique entreprise depuis une vingtaine d’années déjà, au mépris des principes inscrits dans la constitution russe elle-même, et de la liberté académique consacrée par différents textes internationaux. Son objectif est d'anéantir l'histoire et la mémoire en Russie, et de semer la confusion dans nos sociétés.
Cette atteinte aux droits et libertés fondamentales, dont sont d’abord victimes les 140 millions d’habitants de la Fédération de Russie, mais aussi ceux des pays voisins - Biélorusses et Ukrainiens au premier chef - nous concerne tous. La volonté de s’en prendre à la recherche et à l’enseignement, après avoir mis au pas le journalisme et l’information libre, et de faire ainsi taire toute voix critique, touche aux fondements mêmes de la démocratie. Elle fait système avec les campagnes de propagande et de désinformation qui empoisonnent nos espaces publics et alimentent la défiance envers toutes les institutions.
Face à ces attaques coordonnées, qui s’accélèrent, et défient la possibilité même d’établir des faits, de les interpréter et d’en débattre librement, une démarche qui est au fondement de nos sociétés démocratiques, nous devons nous mobiliser pour que le travail de Memorial se poursuive. Il nous faut accueillir tous les historiens et défenseurs des droits humains poussés à l’exil. Les institutions d’enseignement et de recherche françaises et européennes doivent tout faire pour mettre à leur disposition des postes et les moyens nécessaires pour poursuivre leurs recherches, depuis les pays voisins si la Russie fait le choix de se fermer définitivement. La communauté scientifique internationale doit également saisir toutes les occasions de boycott d’événements et de distinctions scientifiques qui comptent pour la Russie. Par ses actes, le régime de Vladimir Poutine a montré qu’il n’a plus le moindre respect pour la démarche de rigueur intellectuelle et scientifique indispensable aux progrès de la connaissance et du savoir : il s’expose donc à des mesures de rétorsion, fussent-ils symboliques.
Le comité Russie – Europe entend témoigner de son soutien à toutes les citoyennes et citoyens, chercheurs et bénévoles engagés de longue date dans le travail de Memorial international et de toutes ses filiales. Il appelle nos institutions de recherche et d’enseignement, ainsi que nos institution représentatives et de gouvernement, à prendre la mesure du péril que représentent aujourd’hui les pouvoirs anti-démocratiques qui s’en prennent aux vérités historiques. Il appelle enfin le Président Macron, à l’heure où la France va prendre la présidence de l’Union européenne, à réaffirmer haut et fort les principes de nos sociétés de droit, libres et ouvertes.
Pour le Comité Russie Europe,
Anne-Lorraine Bujon, Marie Mendras & Véronique Nahoum-Grappe.
Retrouvez ici:
- Le communiqué de Memorial France, "Jusqu'où iront les autorités russes?", 28 décembre 2021.
- Le communiqué de Memorial international, "Liquidation de Memorial international", 28 décembre 2021.
- La déclaration de Jean-Yves Le Drian, Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, 28 décembre 2021.
- La déclaration de la Cour européenne des Droits de l'homme, 29 décembre 2021.