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Le choix est-il vraiment entre la peste et le choléra?

avril 2017

#Divers

Beaucoup a déjà été dit sur le résultat du premier tour des présidentielles de 2017. De nombreuses et doctes analyses ont été produites, ainsi que de belles cartes, montrant l’éclatement en deux, trois, voire quatre France tout à fait opposées. On voudrait ici mettre l’accent sur quelques points qui ont été moins évoqués jusqu’ici.

D’abord un aspect peu souligné par les commentateurs et qui doit pourtant susciter une grande colère à droite : si François Fillon n’avait pas fait n’importe quoi, il aurait été qualifié pour le second tour, comme le montre son score additionné aux 2 ou 3 % d’électeurs qui l’ont quitté pour compléter le petit « socle » de votants pour Nicolas Dupont-Aignan. Dans ce cas, on aurait eu, au second tour, Fillon contre Macron et Marine Le Pen aurait été éliminée. Sans que cela change grand-chose dans les « idées » défendues, notamment sur la place de l’étranger, tant François Fillon s’est rapproché de ces thèmes dans sa fin de campagne comme Sarkozy l’avait déjà fait en 2012. Mais le danger perçu aurait été bien plus faible et le risque de victoire de Fillon et donc des thèmes xénophobes de Le Pen aurait été d’autant plus grand. Si Marine Le Pen n’était donc, finalement, pas même assurée d’être en finale, en revanche une part importante de ses « idées » risquait fort de triompher. Quelle que soit l’issue du scrutin, il ne faudra pas l’oublier et il faudra tout faire pour regagner la bataille idéologique.

Deuxième aspect : le vote de nombreux jeunes, tant de gauche que de droite. Les parents macronistes ou hamonistes découvrent avec stupeur et perplexité que leurs enfants ont surtout voté pour Mélenchon, tandis que les électeurs de la droite républicaine voient leurs enfants s’apprêter largement à voter blanc, s’abstenir, voire voter Le Pen au second tour. Les arguments rationnels ne portent ni d’un côté, ni de l’autre. Parmi nombre de « bizarreries » de son programme, Mélenchon assurait pouvoir à la fois annuler la dette de la France et réemprunter aussi sec 100 milliards d’euros sans que s’en étonnent aucun de ses électeurs (sans parler de la curieuse et stimulante alliance bolivarienne qu’il envisageait !). Et la majorité d’entre eux rejoignent leur candidat dans le refus de choisir entre Le Pen et Macron comme s’ils étaient équivalents… De l’autre côté, les jeunes orphelins de Fillon s’apprêtent à voter sans trop d’états d’âme pour Marine Le Pen au nom de la défense de la famille et de l’identité chrétienne de la France. Outre que leur vision de ce que c’est que d’être chrétien étonne un peu (l’évangile évoque peu les questions de morale et de sexualité et beaucoup, presque partout, la place qu’on réserve aux plus pauvres, aux plus fragiles), c’est vraiment étrange de l’associer à Mme Le Pen, dont le parti s’avère faire l’objet de réelles poursuites judiciaires et dont la vie personnelle et familiale ne reflète pas exactement les canons de la vie conjugale. Bien sûr, c’est sa vie et cela n’a aucun intérêt public. Sauf si cela devient une bannière. De même que les défaillances de Fillon (soupçons d’emplois fictifs, costumes, Revue des Deux Mondes…) n’étaient pas dramatiques en elles-mêmes, sauf que, précisément, le candidat avait fait de sa probité son fonds de commerce.

Troisième aspect : deux décisions de présidents récents pèsent lourdement sur les enjeux actuels. En 2002, Chirac gagne contre Le Pen père avec 80 % des voix, dont une bonne moitié de gauche… et fait comme si seule « sa » droite avait voté pour lui. Aujourd’hui, ils sont très nombreux ceux qui refusent de se « faire avoir » à nouveau et qui vont s’abstenir ou voter blanc. En 2013, F. Hollande promulgue la loi sur le mariage pour tous après de très nombreux débats (contrairement à ce qui a été dit) mais avec une forme de mépris de ses opposants, qu’il n’a pas même reçus malgré leur nombre ; il n’était pas nécessaire qu’il tienne compte de leur avis puisqu’il tenait à cette loi, avait la légitimité de son élection pour la proposer et que la France y était sans doute globalement favorable (les sondages d’alors étaient très significatifs) ; en revanche, il est tout à fait désolant d’avoir, par calcul politique, exaspéré cette réaction, poussant ses adversaires dans une opposition telle qu’ils en perdent tout discernement quant à leurs votes ultérieurs. Est-ce un effet corrézien ? En tout cas, ces deux choix politiques de Chirac et Hollande ont tous deux été fortement destructeurs du lien minimal de confiance envers les dirigeants et contribuent largement aux hésitations et rejets de nombre de jeunes de droite comme de gauche à faire barrage à Le Pen et à accepter, pour cela, de voter Macron.

Quatrième aspect : Marine Le Pen a vraiment réussi sa dédiabolisation. Elle et sa famille sont tellement dans le paysage qu’ils ne font plus peur. De même que toute une génération n’a vécu que dans la crise économique et s’en soucie donc bien moins que les plus âgés, de même l’épouvantail Le Pen a tellement servi qu’il n’inquiète plus guère. Ni à droite (avec des reports acceptés, voire revendiqués !) ni à gauche (où le « diable libéral » Macron est perçu comme équivalent à Le Pen).

Alors, non, l’arithmétique électorale n’est pas une science exacte où deux et deux font quatre ! Non, le total des soutiens politiques à Macron n’assure nullement son succès. Peut-être même ont-ils l’effet inverse : après tout, comment croire aux consignes de vote de Fillon ou Hamon qui ont tant traité Macron comme leur ennemi principal et soudain conseillent de voter pour lui ? Leurs troupes sont bien plus « cohérentes » qui en restent aux mots d’ordre d’hier. Par le jeu conjugué des abstentions, des votes blancs ou, carrément, des votes en sa faveur, Le Pen a, dans cette nouvelle arithmétique, une vraie chance de gagner.

Il est urgent de rappeler que Le Pen, même si elle dit les mêmes choses depuis longtemps au point que cela paraisse une paisible et inoffensive rengaine, a en fait un discours ignoble, scandaleux et, en plus, inapplicable. La France compte beaucoup moins de réels étrangers qu’on ne le croit (l’immigration a été largement freinée depuis… 1974 !), mais beaucoup plus de Français descendants d’immigrés, qu’on n’a pas su intégrer, au moins pour une large minorité (car l’intégration fonctionne tout de même sur deux ou trois générations, ce qu'on ne relève pas assez). Donc, outre l’aspect révoltant de la xénophobie de Le Pen, son programme de « France gauloise » est inapplicable ! Oui, la France n’est plus ce qu’elle était jusque dans les années 1950. On a le droit, si on veut, de le déplorer, mais il faut parler de ce qui existe et non de représentations plus ou moins fantasmées (comment et sur quels critères expulser des Français et vers où ?).

Bizarrement, on entend les mêmes discours que pour l’Angleterre ou les Etats-Unis : « même si on vote pour Le Pen, elle n’aura pas de majorité et ne fera pas ce qu’elle veut, donc ce n’est pas grave… » Mais si vraiment ça ne sert à rien, pourquoi prendre ce risque ? Et pourquoi présumer qu’elle ne fera pas ce qu’elle annonce ? Le Brexit que tous croyaient impossible a vraiment été choisi ; Trump ne fait certes pas tout ce qu’il a promis mais beaucoup tout de même, notamment en matière d’immigration.

Ne jouons pas avec le feu ; c’est trop dangereux, même si les ficelles ont l’air usées et même si l’épouvantail semble avoir trop servi : il reste, au fond, épouvantable. Mais il faudra aussi éviter très clairement les fautes de Chirac et Hollande. Même si, en théorie, Macron n’en est pas comptable, il en est pourtant héritier. Il doit donc démontrer très explicitement qu’il gouvernera pour tous les Français et pas juste pour son camp du premier tour. Son réel avantage est de n’avoir pas de parti vraiment structuré ; il peut donc plus facilement élargir les frontières de son champ d’action. On dit qu’il pourrait choisir un premier ministre de droite. Il ne faudrait pas que ce soit juste pour faire exploser les partis de droite mais que cela vise bien à l’intégration la plus large (il y faudra aussi des gens de gauche !) des sensibilités politiques. Mais rien ne se fera sans qu’on vote clairement et massivement avec un vrai bulletin (ni blanc ni abstention) pour Macron.

Nicolas Clément