
L’administration « d'après » : confiance et ouverture ?
La crise du coronavirus a montré l'importance des services publics. Il faut maintenant s'appliquer à les rendre plus accessibles, en éliminant les tracasseries administratives et les procès d'intention.
Souvent, face à l’administration, on pense à des grands soirs. À forte base idéologique. À droite, pour fustiger leur poids et souhaiter des réductions drastiques (on se souvient des « projets » de François Fillon). À gauche, pour estimer que le manque est total et que, sans forte hausse des effectifs et des moyens, rien ne sera possible. Rappelons avant tout que, si l’on peut discuter l’organisation des services publics, la crise du Covid aura permis de rappeler leur caractère essentiel pour la cohésion sociale. Et aussi de montrer qu’ils sont d’autant plus utiles qu’on est en situation de fragilité… Face à un virus inconnu, chacun peut se découvrir fragile et menacé.
Accessibilité
Les services publics doivent être accessibles. Cela suppose d’abord d’être gratuits. Il n’est pas normal que l’accès téléphonique à la CPAM (Caisse primaire d'assurace maladie), par exemple, soit facturé 6 centimes d’euro par minute. Surtout quand le service est difficilement accessible et que le compteur tourne. Mais même sans cela, car nombre de personnes parmi les plus précaires ne disposent pas de forfait permettant de payer ces surcoûts.
L’accessibilité pose aussi la question du « tout électronique » (ordinateur ou smartphone), alors que, à nouveau, les plus précaires ne sont pas équipés de la sorte. Et, quand bien même ils ont un smartphone, il leur sert surtout de console ou de répondeur faute, encore une fois, de forfait adapté. Or nombre de prestations ne sont plus accessibles qu’avec de tels outils comme, par exemple, les mises à jour de Pôle Emploi ou celles de la CAF (Caisse d'allocations familiales). Pour ces dernières, en plus, il n’existe aucun moyen d’envoyer un document : on ne peut que répondre à une question du service mais pas l’interpeller. Et les questions du service, très standardisées, ne sont pas toujours adaptées à la réalité des situations, d’où la multiplication des allers-retours et des temps très allongés avant de pouvoir, enfin, conclure un dossier.
La crise du coronavirus aura aussi confirmé la difficulté de situation des enfants des familles précaires : là encore, pas d’équipement informatique, pas de capacité des parents à accompagner les enfants, faute d’avoir le niveau suffisant : des enseignants se sont efforcés malgré le confinement de conserver un vrai lien très proche avec les enfants. Pour les autres, l’écart entre ces enfants et les autres n’a fait que croître…
Pertinence des dispositifs
L’expérience de dizaines de dossiers réalisés pour l’AME (Aide médicale d’État) ou pour la MDPH (Maison départementale de la personne handicapée) laisse songeur : ces derniers sont très souvent retournés aux personnes sous prétexte de pièces manquantes qui, pourtant, ont bien été envoyées. Et elles peuvent cependant être redemandées plusieurs fois. Soit l’incompétence est grande, soit il y a là une volonté de ne pas vraiment rendre le service, de faire en sorte qu’il soit si difficile à obtenir qu’on se lasse et abandonne. On sait qu’avant l’instauration de la prime d’activités, le non recours au RSA était de … 50% ! Sans paranoïa, on ne peut vraiment penser que c’est juste un effet du hasard.
Pourtant, soit un dispositif se justifie et il doit s’appliquer complètement, soit il n’est pas pertinent et il faut le supprimer complètement, pas le laisser subsister à demi. Ainsi, par exemple, l’AME ne sert pas seulement à soigner les plus pauvres ; elle sert aussi à protéger le reste de la population, en protégeant les plus pauvres. Dans les circonstances présentes où l’on prête tant d’attention au mode de transmission des microbes et des virus, on devrait pouvoir comprendre cela aisément ; sans qu’il soit besoin d’en appeler à l’altruisme, chacun a intérêt à ce que tous les demandeurs aient facilement cette protection.
Faire confiance
Tous ceux qui bénéficient d’un avantage, d’un soin ou d’une allocation ne sont pas systématiquement des voleurs ni des tricheurs ; les migrants qui viennent chez nous cherchent un travail et une vie normale et non pas à gruger et pomper la Sécurité sociale… Donc, lorsqu’un dispositif est justifié, qu’il a bien été voté par le Parlement et correspond ainsi à la volonté populaire, il doit pouvoir s’appliquer simplement.
Il est étrange de voir que l’IFI (impôt sur la fortune immobilière), le remplaçant de l’ISF, ne s’applique que sur la déclaration des assujettis : c’est à eux d’estimer s’ils en sont redevables. Bien sûr, en trichant, ils prennent un risque de redressement. Il n’empêche : la base de leur imposition est la confiance que leur fait l’administration. Est-on certain qu’ils soient radicalement différents des plus pauvres ? Pourtant les sommes, individuellement, sont bien plus élevées dans le premier cas et la perte que pourrait occasionner la triche est bien plus importante. Et néanmoins, l’État prend le risque de cette confiance qui lui coûte bien moins cher et ne bloque pas les assujettis. À l’inverse, nul ne s’intéresse au temps perdu par les plus pauvres pour faire, refaire et refaire encore des dossiers pourtant complets, mais aussi le temps administratif perdu ainsi que la défiance généralisée que cela génère. Confiance ne signifie pas blanc-seing et des contrôles aléatoires a posteriori seraient bien moins coûteux à tous points de vue et plus pertinents. Les réactions des Français aux mesures anti-Covid ont frappé la plupart des politiques : certes, il y avait des sanctions potentielles, mais la très grande majorité de la population a fait preuve d’un sérieux et d’un civisme inattendu chez des Gaulois…. Ne l’oublions pas !
La CPAM a donné un exemple désolant de maltraitance des usagers durant la crise, à l’inverse de Pôle Emploi, notamment pour tout ce qui concerne la gestion des appels. On a pu réduire en très peu de temps le nombre de prisonniers en France ce qui semblait impossible depuis trente ans en faisant le pari (réussi) que cela ne causerait pas plus de délits. L’hôpital a su doubler en quelques semaines ses capacités en lits de réanimation par une coordination inédite d’équipes habituellement cloisonnées et en faisant confiance aux personnels et à leurs choix de terrain qui, la plupart du temps, se sont avérés plus efficaces et moins coûteux qu’ils ne l’auraient été avec les procédures « normales ». Bercy est dans son rôle en tentant de réduire les dépenses. Les dirigeants politiques, en revanche, ne font pas leur travail en ne contenant pas Bercy et en laissant reprendre (par les complexités et les procédures inutiles) ce qui a été décidé. Il convient, non seulement de voter des dispositions, mais aussi d’établir des dispositifs contrôlant l’effectivité de leur mise en place. Le monde de l’administration de demain peut, si on le veut vraiment, devenir enfin un ferment d’égalité et de confiance… sans surcoût et peut-être même en réalisant des économies.