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Photo : Mihály Köles
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Éradiquer la pauvreté ?

Souhaitant « éradiquer la pauvreté », Emmanuel Macron a présenté le Plan Pauvreté le 12 septembre dernier, promettant 8 milliards d’euros sur 4 ans. Ce plan ne peut être que le bienvenu, même s’il reste encore incomplet quant aux actions et flou sur son budget et ses objectifs.

Le 12 septembre, après plusieurs reports, Emmanuel Macron a enfin présenté son Plan contre la pauvreté. Les mesures sont nombreuses ; leur montant total annoncé est élevé (plus de huit milliards d’euros sur quatre ans) ; l’ambition est grande puisqu’il s’agirait d’« éradiquer la pauvreté ». Ce Plan repose sur deux convictions que le président exprime sans cesse, de façon parfois différente, mais toujours aussi fortement, depuis son élection : la clé de l’insertion est le travail et nul ne doit être, par sa naissance, condamné à un état d’où il ne pourrait sortir ; c’est ce qu’il appelle, en la rejetant, « l’assignation à résidence ».

Après avoir évoqué le « pognon de dingue » dépensé sans guère d’effets sur la pauvreté, le président s’est rattrapé en faisant preuve d’empathie dans ses rencontres avec des personnes en grande difficulté. Mais reste la conviction que les dépenses de solidarité sont très élevées et assez vaines. Peut-être y a-t-il des doublons, sans doute y aurait-il des améliorations à apporter. Il n’empêche : ce système si décrié permet à la France d’être l’un des pays les moins inégalitaires au monde. Le taux de pauvreté français oscille, selon les années, autour de 14 % tandis qu’il se situe entre 17 et 20 % pour des pays comparables, tels que l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Et, bien sûr, le reste de la planète est beaucoup plus inégal. Au moins deux millions de personnes, en France, passeraient sous le seuil de pauvreté (1 015 € par mois) avec les taux de nos voisins et survivent, notamment grâce au « pognon de dingue ».

En ce qui concerne la plus grande pauvreté et les personnes sans domicile, la dernière enquête de l’Insee date de 2012 et décompte 141 500 personnes concernées, dont déjà une faible majorité de migrants (53 %). Après six ans de flux migratoires, certes bien moins importants que ne l’assurent nombre de médias mais tout de même élevés, qu’en est-il ? À ce jour, l’Insee n’a prévu aucune nouvelle enquête sur cette population. Comment peut-on construire des politiques, souvent coûteuses, sans savoir à qui elles s’adressent ? Selon l’évolution de la répartition entre personnes sans domicile nées en France, migrants nés hors d’Europe ou familles européennes, les politiques à mener sont totalement différentes. Il est donc urgent de renforcer, sur ce sujet et plus largement sur les questions sociales, les connaissances des publics visés.

Le Plan pauvreté met l’accent sur ­l’enfance. On constate en effet une surreprésentation des enfants parmi les pauvres. Pourtant, ce ne sont pas eux qui sont pauvres mais leurs parents ; ce n’est pas le fait d’être enfant qui conduit à la pauvreté mais le fait, bien souvent, d’être enfant d’une famille nombreuse et mono­parentale. Or, nulle part dans le Plan, on ne ­s’interroge sur les raisons de ­l’explosion de la monoparentalité. Traiter la question par le prisme des enfants n’est pas absurde mais incomplet. Par ailleurs, il est étonnant que la présentation de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté sur le site du gouvernement ne mentionne que deux mesures : les repas à la cantine à 1 € et les petits-­déjeuners dans les écoles prioritaires ! D’autres mesures ont pourtant été proposées par le président : bonus pour les crèches accueillant plus ­d’enfants défavorisés (1 000 € par enfant et par an) ; plan de formation pour 600 000 professionnels de la petite enfance. Ceci s’ajoute aux dédoublements des classes primaires en zones défavorisées (longtemps la seule mesure sociale que pouvait présenter le gouvernement). Pour les plus grands, on retient deux mesures principales : l’arrêt de la prise en charge des enfants par l’Ase à vingt et un ans au lieu de dix-huit) et l’obligation de formation prolongée de seize à dix-huit ans (l’expérience des Missions locales, souvent réussie, montre pourtant combien il est difficile de prolonger la formation de jeunes pour qui l’école est synonyme d’échec).

Le Plan manifeste la conviction fondamentale que le travail est la clé de ­l’insertion sociale. Elle se traduit par trois mesures importantes : ­l’extension de la Garantie jeunes (aide financière et accompagnement) de 100 000 à 500 000 bénéficiaires d’ici 2022, le passage de 100 000 à 240 000 contrats d’insertion par l’activité économique durant le quinquennat (avec l’élargissement de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée) et la création d’un revenu universel d’activité qui fusionnera le plus de prestations possible pour simplifier le maquis administratif et réduire le taux de non-recours.

Le Plan manifeste
la conviction fondamentale que
le travail est la clé
de ­l’insertion sociale.

Le travail est sans doute très important et constitue en effet une demande forte des personnes précaires : bien rares sont celles qui se satisfont d’une situation sans emploi et celles qui semblent le faire actent plutôt avec découragement leur échec qu’elles ne choisissent vraiment cette situation. La plupart voudraient être employées et ne se réjouissent pas de bénéficier de minima sociaux. La honte de « profiter », bien intériorisée grâce à l’abject discours sur l’assistanat, est d’ailleurs une forte cause de non-recours. Mais il faut aussi être conscient du fait qu’avec 3, 7 millions de chômeurs en intégrant l’outre-mer, dont une bonne part est bien formée, l’emploi reste une perspective lointaine pour ceux qui sont peu formés et/ou éloignés de l’emploi depuis très longtemps. Prendre la question à la racine en ­s’attaquant à la qualification de ceux qui sont le moins qualifiés est nécessaire et pertinent, mais l’effet risque d’être assez lent à se produire. Surtout, on peut raisonnablement être perplexe de voir ressurgir de nombreux emplois aidés quand tant d’autres ont été supprimés…

La question du non-recours est décisive : soit une prestation est justifiée et tous ceux qui y ont droit devraient y accéder ; soit elle ne l’est pas et elle devrait être supprimée. Mais il n’est pas certain que la solution réside dans la fusion de diverses prestations. Elle tient bien plus, d’une part, à un changement réel et durable de discours à tous les niveaux, y compris à la tête de l’État et, d’autre part, à un mode administratif fondé sur la confiance (on considérerait comme justes les déclarations des éventuels bénéficiaires, sans leur imposer des dossiers trop complexes et trop fréquents ; en revanche, on renforcerait les contrôles aléatoires a posteriori) et non plus sur l’absolue défiance qui prévaut actuellement.

Le Plan proposé semble pertinent. Mais on voit mal quels budgets correspondent à quelle action et si ces fonds sont réellement nouveaux et disponibles. Surtout, les impasses sont trop nombreuses. S’il est bon de préparer l’avenir en s’attachant aux enfants, que faire de ceux qui sont pauvres aujourd’hui et qui sont si loin de l’emploi ? Il existe pourtant des expériences associatives à soutenir et à multiplier pour redonner confiance en elles aux personnes. Mais il faut également évoquer le revenu des personnes sans travail (le Rsa reste totalement insuffisant pour dépasser la seule survie) et des salariés pauvres (comment imaginer qu’une personne seule puisse vivre avec le Smic ?). Il reste d’autres sujets qui ne sont pas abordés dans ce Plan : on n’y aborde ni les banlieues pauvres et leurs habitants (le Plan Borloo a tout à fait disparu), ni les migrants et leur intégration, ni les personnes sans domicile. Pour ces dernières, on se contente de réaliser le manque d’hébergements et de proposer une rallonge de 125 millions d’euros… après avoir nettement réduit les budgets. Et puis, par deux fois dans le Plan, la mendicité avec enfants est évoquée comme si elle était un choix des parents1

Certes, on ne peut que se louer, après tant de mois, de voir la question de la pauvreté apparaître dans le discours présidentiel pour donner enfin corps à la théorie du « en même temps ». Le souci d’empêcher que se créent aujourd’hui les pauvres de demain est juste et le souhait de donner sa pleine place au travail ne peut qu’être approuvé. Mais sans oublier la situation de l’emploi en France, ici et maintenant, qui oblige à la recherche d’autres voies pour les plus éloignés. Sans oublier que, même avec un emploi, trop nombreux sont ceux qui sont pauvres et donc sans croire qu’un Plan pauvreté ne doit pas considérer aussi la question des revenus. Sans oublier les personnes sans domicile ni les migrants ou les Roms, pourtant absents du Plan…

 

Nicolas Clément

Président de l'association Un Ballon pour l'insertion, responsable d’équipes d’accompagnement de familles à la rue et en bidonville au Secours Catholique, il est l'auteur de Dans la rue avec les sans-abri (Jubilé-Le Sarment, 2003) et de Une soirée et une nuit (presque) ordinaires avec les sans-abri (Cerf, 2015).

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