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 Crédits : Flickr - U.S. Department of State
Crédits : Flickr - U.S. Department of State
Flux d'actualités

Salvini encore gagnant ?

En cherchant à provoquer des élections anticipées, Matteo Salvini a fait un pari politique, et perdu. À plus long terme néanmoins, les fragilités du parlementarisme italien, conjuguées à la défiance à l’égard de l’Union européenne, pourraient continuer de jouer en sa faveur : car le chef de la Lega joue habilement de son image pour rester au centre du jeu politique.

En rompant le contrat de gouvernement avec le Mouvement 5 étoiles, le chef de la Lega et désormais ancien ministre de l’Intérieur entendait engranger les bénéfices de sa ligne dure en termes de politique migratoire et transformer l’essai du succès de son parti aux européennes. Fort de ses 38 % des suffrages, Salvini a joué un coup de poker. Pourtant, la rupture avec le M5S n’a pas précipité les élections. Contraint à quitter le gouvernement, Salvini a perdu sa vitrine institutionnelle au ministère de l’Intérieur, ainsi que les moyens immédiats de son action politique. Qui plus est, dans une époque déjà anxiogène et précaire, les Italiens n’ont guère goûté cette déstabilisation politique du pays. Les corps intermédiaires (entrepreneurs du Nord notamment) n’apprécient pas les revirements politiciens. Les sondages montrent bien, à cet égard, que les Italiens désapprouvent de l’ouverture de cette crise. Mais le parti de son instigateur peut encore compter sur un soutien élevé.

Le nouveau gouvernement à peine constitué, l’ancien ministre se montre déjà habile à bénéficier de la situation. Éléphant dans un magasin de porcelaine institutionnelle, il s’engouffre dans la brèche antiparlementaire pour exacerber un climat politique délétère, d’une virulence inégalée ces dernières décennies. Lors du vote de confiance pour son nouveau gouvernement au parlement, Giuseppe Conte a été interrompu plus d’une cinquantaine de fois, sans compter les insultes et vociférations continues dans la salle. Même si Conte est parvenu à une coalition de circonstances avec le Parti démocrate (PD) et donc à préserver une certaine stabilité, cela ne s’est pas fait sans dommage collatéraux. Les 5 étoiles et le PD, ennemis jurés d’hier, sont devenus la cible commune de la Lega. Salvini a maintenant beau jeu de les conspuer sans distinction et de les désigner comme de mesquins arrangeurs et des traîtres sans convictions. L’honneur sauf et la liberté plutôt que les ministères : telle est la posture adoptée par celui qui n’a jamais cessé les appels du pied à ses anciens partenaires jusqu’il y a peu. Sa maladresse et son manque de clairvoyance vis-à-vis des garde-fous institutionnels et de ses adversaires se doublent malgré tout d’un art de l’esquive. Face à la double difficulté des soupçons de financements russes et de l’élaboration du budget au mois d’octobre, Salvini s’est offert un certain répit. Confronté à ses responsabilités, il se serait retrouvé sur la défensive ; à présent délié de ses obligations au gouvernement, il peut remonter au créneau. Son image de matamore se teinte ainsi de couleurs machiavéliennes, qui inquiètent ses adversaires et galvanisent ses soutiens. La gageure pour le chef de la Lega est d’attiser les oppositions, et d’empêcher l’alliance nouvelle entre un parti traditionnel (PD) et un mouvement populiste (M5s) d’apaiser les craintes de la société italienne.

S’il n’est pas parvenu à s’ouvrir une voie vers les pleins pouvoirs, Salvini n’a pas pour autant déserté le paysage médiatique. Bien au contraire : dans une Italie exsangue, il joue du sentiment d’abandon par l’Union européenne, comme de la fragmentation politique, pour poursuivre sur la lancée démagogique qui lui a si bien réussi jusqu'ici. La personnalisation de la Lega sous l’égide de Salvini est aujourd'hui achevée et sa capacité à braquer les projecteurs sur lui,  redoutable. Sur son fil Twitter et sa page Facebook, le chef de la Lega joue sur tous les tableaux : tour à tour victime d’attaques injustes, homme d’action déterminé ou quidam aux plaisirs simples… Ses campagnes aux allures de tournée de rock star sont évidemment relayées en vidéo : succession de plans de salles enflammées et de places noires de foule. Son fil Twitter oscille entre tribune politique et vlog d’influenceur du web. Les saillies politiques y cohabitent avec des photos de son menu du jour ou de la rentrée de sa fille, le tout orné d’émoticônes. Les militants sont des « amis »aux « visages lumineux et souriants » qui contrastent, on suppose, avec les mines grises et ombragées des comploteurs de palais. Sans cesse, Salvini met en scène ce combat de la lumière, de la simplicité et de la franchise contre un monde de fourberie, de corruption et de pourrissement. D’un côté on trouve donc la famille, le peuple solidaire et de l’autre, l’ennemi à débusquer. Salvini est passé maître dans son art : parfois torse nu (clin d’œil à Poutine voire Mussolini) parmi ses concitoyens sur les plages, il prend soin de ne jamais se montrer dans des lieux luxueux ou mondains. La mise en scène des moments de solitude, elle, est réservée à la confidence sur Facebook live. S’offre alors la figure d’un « homme du peuple » propulsé dans l’or des « palais » hostiles et hypocrites, qui vient puiser énergie et réconfort auprès de « ses amis ». C’est aussi l’occasion d’exploiter des faits divers parcimonieusement sélectionnés ou de se lancer dans ses discours anti-migrants. Tout ceci concourt à un culte de la personne et à une verticalité qui contraste avec l’horizontalité du M5S. Les références ambiguës à l’ère mussolinienne confortent cette représentation : le discours sur le balcon de Forli, là même où le Duce se tenait dans les années 1920, ou encore un Tweet avec une référence à peine voilée à la devise « Molto nemici, molto onore » quand il s’agit de répondre à une attaque de la presse. Rien n’est dû au hasard.

Se fabriquant une image d’homme libéré, Salvini renoue avec ses thèmes de campagne et profite du moment (qu’il a initié) pour dénoncer ce qui serait l’antidémocratisme et le manque de représentativité du gouvernement Conte bis. Il sait par ailleurs que ce gouvernement marqué à gauche sur le front de la crise migratoire et économique se heurtera aux attentes d’une grande part de l’électorat à qui il donne déjà rendez-vous pour les prochaines élections. À défaut d’avoir gagné cette bataille politique ou réussi à renforcer la confiance de ses soutiens du Nord, Salvini a installé ses positions idéologiques et préparé le terrain rhétorique en poussant encore le curseur de l’invective. Le défi pour le gouvernement Conte II est de taille : il lui faut élaborer une politique constructive, extraire le débat public des litanies d’insultes et lutter contre les ardeurs mégalomanes de tous bords.