Venezuela: l'impossible impartialité
L’accord donné, le 18 avril au soir, par le Conseil national électoral vénézuelien au recomptage des 46% d’urnes n’ayant pas été contrôlées au moment de l’élection présidentielle vient clore une semaine d’incertitudes et de violence. Il ne remet cependant pas en cause l’investiture de Nicolas Maduro, dauphin d’Hugo Chavez, le 19 avril, et laisse bien des questions en suspens sur l’avenir politique du pays après la mort du Comandante.
Une atmosphère tendue
Sans doute certains faits sont désormais bien établis. Officiellement, Henrique Capriles Radonski a perdu le scrutin par une courte marge (1.8 %). Le leader de l’opposition, refusant de reconnaître les résultats, a exigé au CNE un recomptage manuel des votes. Maduro a d’abord accepté, puis refusé cette requête (finalement accordée par le CNE le 18 avril), et a rendu Capriles responsable des violentes manifestations du lundi 15 avril, qui ont fait sept morts. Ce dernier est apparu à la télévision nationale, brandissant des liasses de papier qui registrent plusieurs anomalies. Prudent, toutefois, il a annulé la manifestation qui était prévue pour mercredi, suite aux déclarations de Maduro interdisant tout remue-ménage aux alentours du CNE.
On assiste alors à une escalade d’accusations et de démentis. D’abord, quant à l’affiliation politique des victimes, que chacun des camps revendique. D’après le New York Times, Ender José Bastardo, décédé lors des incidents, serait un partisan de Capriles et non un « maduriste », comme l’affirmait le président tout juste élu. De même, quelques-uns des centres hospitaliers que l’opposition aurait ravagés dans sa fureur contestataire se sont révélés presque intacts. Plus récemment, un ancien ministre, Andrés Izarra, a dénoncé les pillages auxquels les perdants se seraient adonnés, notamment, celui de la résidence de la présidente du CNE, Tibisay Lucena. Beaucoup d’accusations, peu de vérifications.
Du côté de l’opposition, la liste d’irrégularités ne cesse de croître. Les journaux anti-chavistes se font écho de dénonciations multiples : votation assistée, intimidation des témoins électoraux par des membres de l’armée, destruction des bulletins de vote, panne des machines et ainsi de suite. Un autre cacique de l’opposition, Leopoldo López, a posté sur son compte twitter la photo d’un ordre d’arrestation le concernant (mais comment se l’est-il procuré ?). L’idée en tout cas a bien plu à Diosdado Cabello, président de l’assemblée nationale, qui a d’ores et déjà menace Capriles de prison.
Au-delà des spéculations concernant le bien fondé des accusations, il est certain que crier à la fraude est devenu un reflexe de l’opposition à la fin de chaque cycle électoral. Seulement, cette fois-ci, ils poussent l’indignation plus loin que d’habitude. D’où le soupçon que les enjeux sont réels, les preuves accablantes, bref, que l’on n’est pas devant la simple moue d’un mauvais perdant.
Reste que jusqu’ici, rien ne distingue ces accusations de celles qu’on a entendues auparavant, à l’occasion d’autres scrutins. Et à force de crier au loup, on finit par se lasser. Par ailleurs, signale El País, les observateurs internationaux n’ont pour l’instant rien à redire au déroulement du scrutin. Et, comme le rappelle le bloggeur et chroniqueur Francisco Toro, si fraude il y a, elle ne peut être difficile à prouver. Le système de votation prévoit trois registres parallèles qui sont comparés lors d’un audit public et obligatoire, effectué sur 54 % des machines qui sont choisies au hasard.
L’impartialité impossible
Que doit-on conclure de tout ceci ? Peut-être faut-il renoncer aux certitudes. Dans un pays où les medias sont à ce point polarisés, il est difficile de reconnaître la vérité quand on la voit, car il n’y a pas d’institutions indépendantes qui puissent la valider. Même des membres respectables de la presse internationale donnent voix à des rumeurs et à des informations pour le moins douteuses. Ainsi, The Guardian cite un courriel qui, d’après le gouvernement vénézuélien, prouverait la connivence entre Washington et l’équipe de campagne de Capriles.
Cette « course au scoop » aujourd’hui généralisée par les nouvelles technologies a des conséquences particulières au Venezuela, où, outre l’extrême polarisation des medias, il n’est pas d’institution publique qui puisse entendre une dénonciation légitime et qui protège le citoyen des abus du pouvoir.
La mainmise de la révolution bolivarienne sur les pouvoirs publics n’est bien sûr pas l’œuvre de Maduro. Mais la mort de Chavez et l’arrivée au pouvoir de son dauphin changent la donne. C’est encore Francisco Toro qui nous livre l’analyse la plus pénétrante de ce retournement. Selon lui, ce qui a fait la singularité du régime de Chavez au plan politique est ce qu’il appelle « la guerre civile froide », qui consiste à associer une rhétorique violente et extrémiste avec une action politique, en comparaison, modérée et tolérante. C’est justement cet équilibre délicat entre la cohabitation et la menace qui a permis aux deux camps d’énoncer des contre-vérités et de fanfaronner à tout bout de champ. C’est lui qui a permis, par exemple, l’anti-américanisme paranoïaque du Comandante et les interprétations un peu libres de la constitution de la part du Tribunal Suprême de Justice (TSJ). Comme si pouvoir et vérité n’avaient rien à avoir l’un avec l’autre. Effectivement, quand l’écrasement de l’adversaire n’est pas trop brutal, on peut sacrifier vérité et sens commun sur l’autel de la rhétorique sans trop heurter.
Une partie du génie de Chavez était sa capacité à maintenir cette guerre froide sans avoir à résoudre les contradictions entre l’acte et la parole, affirme Toro. Maduro, en revanche, n’ayant peut-être pas les outils pour faire de même et confronté à un chavisme divisé, devra trancher entre radicalisme et modération. On a bien vu cette semaine qu’il oscillait entre les deux.
Si Maduro se radicalise, que reste-t-il à faire ? Dans un entretien au journal Le Monde, Olivier Compagnon recommande à l’opposition de « ne pas jouer la guerre civile larvée », c’est-à-dire, ne pas emprunter des voies de contestation illégitimes (même si les voies légitimes ont peu de chances d’aboutir). Car comment faire autrement, puisque l’opposition a accepté de vivre (et ce dès 2007) avec les violations aux normes électorales qu’elle dénonce, et s’est durablement discréditée lors de la tentative de putsch de 2002? Comment faire autrement, d’ailleurs, quand on se présente comme le défenseur acharné des valeurs démocratiques et du pacifisme?
Que faire ? Ce que l’on fait depuis 2002 : attendre que l’essoufflement du chavisme ouvre enfin la voie de l’alternance et gagner du terrain dans les élections qui viennent. Dans l’intervalle, autant faire du jamais vu et penser sérieusement à un projet alternatif pour le pays, en dehors de toute querelle partisane.
Victoria Zurita
Voir l’article Fragilités des démocraties centraméricaines pour une mise en perspective à partir du cas hondurien : http://www.esprit.presse.fr/archive/review/article.php?code=15468&folder=3