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La place du village de Saint-Jean-le-Vieux
La place du village de Saint-Jean-le-Vieux
Dans le même numéro

Saint-Jean-le-Vieux ou la prospérité ordinaire

novembre 2019

Le dynamisme économique d’un village, dont la mort par abandon est pourtant annoncée, dépend bien plus de la vie collective locale que de l’action de l’État. En témoigne les mesures prises en faveur de l’attractivité et pour le maintien d’une offre de soin médical.

Il est de bon ton aujourd’hui d’opposer la France qui gagne, celle des métropoles, des start-up et des talents, largement ouverte au grand vent de l’international et qui accumule toutes les richesses ainsi que les attentions de l’État, à une France qui perd, non pas celle des banlieues, mais celle dite de la périphérie, constituée de nos villages et de nos campagnes qui seraient en train de mourir abandonnés de tous. Abandonnés par l’État et les services publics associés tels que la Poste et les établissements de soins ; mais aussi par les médecins et les commerces aussi bien que par nos industries. Une France qui serait un mouroir pour les vieux et se viderait de ses jeunes, faute d’avenir.

Or, si on veut bien s’intéresser quelque peu à la réalité de la France et de ses territoires, on sait bien que cette vision manichéenne est largement caricaturale et la réalité autrement plus nuancée. Elle oublie délibérément l’existence d’une France, loin d’être minoritaire, où il fait bon vivre et travailler ; une France ordinaire à la prospérité ordinaire où les riches ne sont pas si riches et les pauvres ne sont pas si pauvres et où le lien social au sein de la communauté villageoise demeure une réalité. De cette France modeste et industrieuse, on parle peu dans les médias, car elle est sans histoire.

C’est de cette France qu’on voudrait témoigner ici à travers l’évolution depuis 2014 – soit deux mandatures aux prochaines élections municipales –, d’un petit village de moins de 900 habitants, situé à l’intérieur des terres à près d’une heure de la côte basque, et qui s’inscrit dans un territoire où Balzac trouverait son compte, tant la ruralité et les structures sociales d’antan y restent prégnantes. Un village dont le dynamisme est d’autant plus intéressant à observer qu’il constitue une sorte d’idéal type de ces villages à la mort doctement annoncée, destinés à devenir des sortes de banlieues-dortoirs d’une agglomération plus grande, et cela pour deux raisons principales : la création d’une déviation de la départementale qui empruntait la rue principale du bourg de sorte que plus personne ne s’y arrêterait ; et la présence à quatre kilomètres de son centre-bourg, de l’ordre de 350 habitants, d’une agglomération de 3 000 habitants, qui fonctionne comme un puissant attracteur d’activités commerciales, comme l’atteste par exemple la présence de trois gros supermarchés, prédateurs bien connus des petits commerces.

Et pourtant, face à ce sombre avenir annoncé, l’évolution de Saint-Jean-le-Vieux a été tout autre. Le village présente aujourd’hui un dynamisme de bon aloi, sous l’impulsion combinée d’une équipe municipale entraînée par le maire, chef d’une entreprise installée sur le territoire de la commune, et de la capacité entrepreneuriale d’un certain nombre de ses habitants. L’activité s’y est développée à mesure des opportunités offertes par l’action publique menée conjointement par la municipalité et la communauté de communes de Garazi-Baigorri, créée fin 2002 et elle-même absorbée depuis le 1er janvier 2017 par la vaste communauté d’agglomération du Pays Basque.

Terrains et bâtiments

Concrètement, le maire et l’équipe municipale ont fait le choix de privilégier une politique active d’investissements menée selon trois orientations principales destinées à assurer la vitalité du bourg. Au service de cet objectif, outre l’attention portée à la qualité des infrastructures – voiries et places, assainissement, adduction d’eau, réseaux électrique et téléphonique –, la municipalité a mené une politique active de construction, acquisition et rénovation de bâtiments publics, associée à une politique non moins active d’acquisition et d’aménagement du foncier pour favoriser l’implantation d’activités économiques et de logements. Il s’agissait pour elle d’attirer sur le territoire de la commune emplois et jeunes résidants, tout en assurant, en priorité toujours, la vitalité du centre-bourg.

Dès son élection, la municipalité a engagé un Meccano immobilier à partir de la construction d’une nouvelle mairie située dans la rue principale : face à la place et son fronton, à côté de l’église, entre l’ancienne mairie et le presbytère qui ont conjointement fait l’objet d’une rénovation. L’ensemble a permis d’implanter au rez-de-chaussée de la mairie une supérette, qui est venue compenser la disparition de tout ce qui était épicerie, tandis qu’à côté a été ouverte une boulangerie avec son fournil, celle-ci venant se substituer à un simple magasin de vente installé non loin de là dans la rue principale. Il a permis également d’implanter au rez-de-chaussée de l’ancienne mairie un point Poste, qui a suppléé à la fermeture de la Poste elle-même, également située non loin de là dans la rue principale, et qui sert également de relais bibliothèque. Au premier étage de l’ancienne mairie a été aménagé le musée romain, qui était antérieurement mal installé dans la Maison de fouilles du Camp romain – Imus Pyreneus – sur lequel le bourg est partiellement implanté. L’ancien presbytère quant à lui est devenu la maison paroissiale, la commune n’ayant plus de curé, tandis que l’ancienne poste, elle aussi rénovée, a permis la création au premier étage d’un logement social à la place du logement du postier et l’installation au rez-de-chaussée d’un informaticien qui jusque-là travaillait chez lui.

Avec un certain décalage, sous l’égide de l’architecte des bâtiments de France, l’église paroissiale a fait l’objet d’une rénovation complète de sa toiture et de son crépi, étant un élément patrimonial et touristique important car le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle passe au milieu du village.

En complément, en matière de foncier à finalité économique, la communauté de communes, seule habilitée à faire une telle opération, a acheté un vaste terrain en bordure du bourg pour y créer une zone d’activité artisanale. En moins de deux ans, tous les lots ont été achetés. Cette zone a permis entre autres au boucher-charcutier, lui aussi implanté dans la rue principale du bourg, d’y transférer ses ateliers de transformation, de poursuivre sa croissance avec de meilleures conditions de travail et un arrêt des nuisances tant olfactives que sonores dont se plaignait le voisinage. Elle a également permis à l’ancienne entreprise du maire d’implanter un important atelier de conditionnement d’œufs ainsi qu’à trois entreprises du bâtiment de s’installer, au même titre qu’un comptoir de vente et réparation de machines agricoles, un magasin de vente pour l’équipement de la maison ainsi qu’un magasin de vente de vins et spiritueux. Activités qui ont crée autant d’emplois…

De-même, en matière de foncier pour le logement, grâce au montage opéré en 2014 lors du transfert de la maison de retraite sur une parcelle dans le village, la communauté de communes a créé à bas coût deux lotissements privés de petite taille – six lots chacun –, permettant à de jeunes locaux de devenir propriétaires. Dans le même esprit, en complément de la zone artisanale, la mairie a fait l’acquisition du foncier pour construire un lotissement d’une taille voisine tout en faisant une nouvelle acquisition pour préparer l’avenir. Cette dynamique de l’immobilier à des fins de logement a été prolongée par des initiatives privées, de sorte que l’école, elle aussi nouvellement construite, est en passe de devenir trop petite, tandis que d’importants travaux de rénovation sur la place, à initiative privée, contribuant à son embellissement, ont conduit le salon de coiffure qui y était installé à émigrer lui aussi dans la rue principale.

Cette dynamique impulsée par l’action publique a créé un cadre de vie attractif pour les autres activités de commerce : un café, un café-tabac-journaux-accès internet-dépôt de paquets ; un hôtel-café-restaurant ; un restaurant ; un souffleur de verre ; un kinésithérapeute ; sans oublier les artisans traditionnels du bâtiment tels que charpentiers et plombiers.

Pour mener à bien cette politique d’investissements publics, le maire estime que le principal problème est moins l’argent – car quand on veut s’en donner la peine, on peut en trouver à la communauté de communes et maintenant d’agglomération, au conseil départemental et au conseil régional, dans les différents ministères ou auprès de l’Union européenne – que d’avoir des idées et d’être capable de les concrétiser en projets avant d’aller taper aux bonnes portes.

En revanche, il reproche à l’État une multiplication des textes réglementaires et leur évolution continuelle. Il voit celle-ci comme une double calamité, car d’une part, elle a pour effet de rendre incertain le cadre juridique et réglementaire des opérations envisagées et d’autre part, elle ne fait qu’accroître les contraintes et les coûts associés, singulièrement en matière d’urbanisme. Il déplore également l’éloignement décisionnel de la communauté d’agglomération, par rapport à la communauté de communes, qui complique la gestion des dossiers.

La communauté villageoise

Ainsi en va-t-il de la vie de ce village dont l’évolution dépend bien plus des dynamismes locaux que de l’action de l’État. Mais comment l’expliquer ? D’une certaine façon, les fondements de cette action publique locale sont à rechercher dans des ingrédients un peu équivalents à ceux qu’on peut observer dans une région comme la Vendée. Il s’agit en effet d’un de ces territoires de France marqués par leur histoire longue ; une histoire qui a forgé leur forte identité collective, elle-même fédératrice des relations sociales entre les groupes constitutifs de la communauté villageoise, cette notion gardant ici tout son sens.

À Saint-Jean-le-Vieux, la vie reste dominée par une intrication de liens, qu’il s’agisse de liens de parenté ou de services réciproques. Il en va ainsi pour les «  anciens  », qui ne sont pas partis, de ceux qui sont revenus au pays pour leur retraite car ils y ont gardé leurs racines. Il en va également ainsi des agriculteurs, qui sont fermiers mais également propriétaires, et parfois artisans ou commerçants, car ayant gardé leur patrimoine issu d’une généalogie paysanne. D’une certaine façon, il en va également ainsi des vieux liens qui relient les héritiers de ce groupe social aujourd’hui disparu, celui des «  propriétaires  » encore détenteurs d’un patrimoine immobilier conséquent, aux artisans locaux. Le tout est inséré dans une vie collective assez dominée par les femmes, dans laquelle la vie associative et la vie paroissiale jouent un grand rôle. Et c’est dans ce creuset caractérisé par une grande stabilité sociale que s’est forgée cette politique de l’équipe municipale, destinée à faire perdurer le village et son identité en les renouvelant. Politiquement, elle est le fruit d’une alliance entre la tradition d’une démocratie chrétienne encore bien prégnante dans le pays et une modernité représentée par le courant autonomiste fortement attaché à la préservation du lien au territoire des enfants du pays.

L’évolution de ce village dépend bien plus des dynamismes locaux que de l’action de l’État.

On voit bien cependant que si cette politique micro-locale est capable d’assurer une certaine vitalité villageoise, elle est incapable de résoudre des grands problèmes territoriaux, comme par exemple l’accès aux soins. Là encore, dans ce domaine comme dans d’autres, on a pu voir jouer sur un territoire élargi incluant la commune un entrepreneuriat local, associant public et privé, capable d’une solide créativité au service du bien-être des populations locales. Le problème à résoudre dans ce cas était moins celui des soins médicaux ordinaires, résolus par une présence «  en ville  » d’un nombre conséquent de médecins et d’infirmières, qui ont su collectivement s’organiser en «  maisons de soin  » sans l’incitation de personne, que celui de la fonction hospitalière. Confrontés à la fermeture du plateau médical de la fondation locale de proximité, ayant évolué vers un Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) médicalisé, et, plus grave, à l’annonce à travers l’agence régionale de santé (Ars) d’une possible fermeture de la seule clinique du territoire comportant une maternité et une capacité chirurgicale, l’ensemble des acteurs concernés – corps médical et élus locaux – se sont retroussé les manches pour proposer une solution. Celle-ci a reposé sur une mise en réseau technico-institutionnelle territoriale hiérarchisée. Concrètement, la clinique privée a évolué pour devenir un établissement décentralisé de l’hôpital de Bayonne avec les corps médicaux associés, ce qui a réglé le problème de la taille critique. À la fondation de proximité, on a maintenu une présence médicale de ville de type «  dispensaire  », complétée par un opérateur de radiologie dont les prises de vue sont interprétées à distance à partir de la clinique. Ainsi a été mise en place sans bruit une solution présentée aujourd’hui, dans le cadre de la réforme du système de santé, comme une grande innovation pour demain.

Au terme de ce bref témoignage, nous espérons avoir convaincu nos lecteurs qu’il n’y a pas de fatalité territoriale. Aucun territoire de la vieille France n’est condamné à mourir. En revanche, il existe un immense besoin de créativité et d’entreprenariat, partout, de tous et pour tous.

Alain d’Iribarne

Alain d’Iribarne est sociologue du travail, économiste, directeur de recherche au CNRS et président de l’Observatoire de la qualité de vie au bureau. Spécialiste des relations entre la performance et l’aménagement des espaces de vie professionnelle, il est auteur de l’ouvrage Performance au travail : et si tout commençait par vos bureaux ?, Italiques, Triel-sur-Seine, 2012.…

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