
Démocratie, adolescence et djihadisme
Plutôt que d’enfermer et de « déradicaliser » les jeunes djihadistes, il faut entendre la question de confiance qu’ils posent à la démocratie. Dans le vide du pouvoir de la démocratie, l’adolescence est ce temps de crise où l’individu doit se produire lui-même. Il peut être séduit par l’imaginaire totalitaire du djihadisme et sa promesse d’une communauté.
Les démocraties libérales ont pris le parti de se re-garder (se garder à nouveau) dans le miroir du djihadisme. Pour se réfléchir, un miroir peut être utile : face à l’imaginaire de la loi de Dieu, de l’inégalité des statuts et de l’action violente répond celui des droits de l’homme, de l’égalisation des conditions et de l’institutionnalisation de la discussion. Or il n’y a là encore aucune réflexion sur soi, mais l’affirmation dogmatique de principes due à la sidération causée par les attentats terroristes, amplifiée par leur traitement médiatique. Comme l’écrivait Hans Blumenberg : « C’est seulement la crise qui essentialise l’existence de l’État ; l’état d’urgence est l’occasion pour faire parade de sa légitimation [1]. »
Terrorisme, radicalisation, embrigadement, engagement, etc., autant de termes qui ont dessiné les champs d’investigations politiques, sociologiques et psychologiques, et simultanément ont suscité leurs propres critiques épistémologiques. Termes piégés : qu’ils permettent de rejeter les prétentions adverses sans plus d’examen ou qu’ils neutralisent la teneur axiologique de ces prétentions par souci d’objectivation scientifique[2]. Il existe, désormais, nombre d’analyses sur les ressorts de l’action terroriste – toutes se défendant de dresser un profil type. C’est ainsi que, parmi ces facteurs, ont été mis en exergue : la stigmatisation, la marginalisation économique et politique[3], le contenu idéologique et sa diffusion par Internet ; la perception des injustices dans les conflits internationaux, les engagements familiaux et les réseaux de pairs, le regroupement forcé lors d’incarcérations ; les fragilités identitaires et le ressentiment lié, avec une volonté de rupture et un rêve de vertu[4].
Or qui dit facteurs criminologiques dit logique du risque acceptable, avec un traitement par des mesures de sûreté, sous la justification d’un principe de précaution. Il s’ensuit, au plan juridique, un déplacement de l’appréhension des infractions. En effet, la conception classique du droit pénal corrèle un acte délictuel, une déclaration de culpabilité et une peine, avec comme finalité de cette dernière l’amendement du coupable, sa réinsertion, la prévention de la récidive et le souci des victimes. Désormais, suivant les doctrines anciennes de la « défense sociale [5] », mais dans une logique qui régit aussi les auteurs des infractions sexuelles, sont corrélées une personnalité dangereuse et des mesures préventives (donc indépendantes de l’acte criminel)[6]. La responsabilité n’est plus qu’une notion creuse, légitimant des mesures de police sous un vêtement judiciaire. Et pour cause, la plupart des personnes jugées pour des infractions terroristes le sont pour des infractions dites « obstacles », c’est-à-dire qui ont été mises en vigueur pour saisir la personne dans son projet plus que dans ses actes : apologie d’actes de terrorisme, consultation habituelle de sites avec des contenus djihadistes et surtout association de malfaiteurs. Cette appréhension sans limite ne dépend plus que de l’article 40 du Code de procédure pénale (l’opportunité des poursuites) qui, dès lors que la logique sécuritaire règne, empêche de penser autrement qu’une poursuite systématique.
Pourtant, la silhouette du dangereux criminel n’est souvent que celle d’un adolescent ou d’un jeune adulte perdu[7]. Sous cette guise, la démocratie libérale et ses menaces se réfléchissent différemment. L’adolescence comme âge d’individualisation est propre aux régimes démocratiques modernes de façon logique et pragmatique. D’une part, la démocratie est fondée sur « l’individu », et l’adolescence est l’advenue de l’individualité. D’autre part, si l’un des principes de la démocratie est l’auto-fondation, l’adolescence est soumise à la même injonction paradoxale. Elles héritent en cela du concept moderne de « réalité » comme contingence à inventer, aux validations provisoires et inachevées, qui contraste avec le concept antique de « réalité » comme évidence, permanence, critère de validation de ses répétitions exigées, accomplies ou manquées[8]. Dans cette nouvelle réalité – ou plutôt ce procès de réalisation –, l’autonomie remplace l’hétéronomie. La démocratie libérale suppose que le peuple se décide lui-même, de même que l’individu, qui la compose, est censé décider de son existence. Au plan collectif comme au plan individuel, il est requis de se produire, de faire son histoire. Cependant, cette exigence – le passage de la minorité à la majorité, en se déprenant des tutelles pour « marcher tout seul [9] » – a un coût psychologique, social et économique, qui n’est peut-être pas susceptible d’être acquitté par tous. La tentation est grande, au plan politique, du régime totalitaire et, au plan éthique, de la radicalisation : retour de l’hétéronomie, retour d’une « réalité » intangible à répéter, retour de la certitude, mais sous l’injonction moderne du « se produire » (verum factum) : les anti-modernités sont empêtrées dans la modernité à laquelle elles s’opposent.
Les adolescents séduits par l’idéologie djihadiste disent beaucoup des démocraties libérales, ils sont même une « métaphore des problématiques de notre société [10] ». Si l’embrigadement dans une telle idéologie est un « blocage de la situation anthropologique fondamentale de l’adolescence [11] », situation qui est une métamorphose de l’identité, alors c’est la base anthropologique des démocraties qui est également bloquée. Plutôt que de soumettre ces jeunes à des mesures superstitieuses, d’enfermement et de prophylaxie (recodage psychologique et éducatif), peut-être faudrait-il entendre la question de confiance qu’ils posent à la démocratie.
La démocratie libérale hantée par le vide
La démocratie libérale, si elle peut s’entendre comme l’État de droit, avec des institutions spécifiques (élection libre et suffrage universel, séparation des pouvoirs, contrôle de constitutionnalité des lois, etc.), ne saurait se réduire à ces institutions elles-mêmes. Elle repose surtout sur un mode d’être paradoxal : elle met en jeu un vide de fondement, qui se modélise dans la société civile par des individus porteurs de droits (droits de l’homme).
Même le vide a une histoire :
démocratie et auto-fondation
Il s’agira ici de simples rappels. L’avènement de la démocratie moderne marque une rupture avec la manière de considérer la légitimité politique. Sous l’Ancien Régime, le pouvoir du souverain, incarné dans la personne du roi, était assujetti à un droit indisponible, d’origine divine, assurant sa légitimité[12]. Or, avec la modernité politique, l’équilibre s’est modifié : en l’absence d’un droit sacré, le droit fut réduit à sa dimension instrumentale, disponible pour le pouvoir qui, en raison même de cette disponibilité, se trouvait insusceptible d’en assurer la légitimité.
Au droit sacré, il a donc fallu trouver des substituts en concurrence : l’histoire, l’économie ou encore les droits de l’homme. La démocratie reposerait sur une colonne absente. Comme l’écrit Claude Lefort : « La légitimité du pouvoir se fonde sur le peuple ; mais à l’image de la souveraineté populaire se joint celle d’un lieu vide, impossible à occuper, tel que ceux qui exercent l’autorité publique ne sauraient prétendre se l’approprier. La démocratie allie ces deux principes apparemment contradictoires : l’un, que le pouvoir émane du peuple ; l’autre, qu’il n’est le pouvoir de personne. Or elle vit de cette contradiction [13]. » Autrement dit, le vide de fondement, qui requiert une auto-fondation permanente, anime la démocratie, bien qu’il en soit le rocher de Sisyphe.
À l’instar de Paul Ricœur, des réserves peuvent être émises l’égard de l’idée d’une auto-fondation de la démocratie, si cela implique un régime fondé sur rien, rien d’autre que lui-même. En revanche, est exposé de façon principielle « le passage à vide » qui va potentialiser les traditions, à partir desquelles peuvent œuvrer les démocraties libérables. Elles s’instaurent de façon critique à partir des traditions existantes : « Notre tradition est la tradition qui met sans cesse en question sa propre validité […] C’est la tradition qui ne se satisfait pas de la tradition [14]. »
Par ailleurs, Ricœur décrit la démocratie en tant que régime paradoxal, croisant, d’une part, un axe vertical, celui du commandement institué, et, d’une autre part, un axe horizontal, celui de l’action, comme rassemblement concerté. Agir démocratiquement consisterait dès lors à maintenir ouvert ce paradoxe, sans que la dimension hiérarchique du commandement ou l’agir en commun n’oblitère l’autre[15].
La dynamique démocratique : la société civile garantie
S’il n’est plus de validité gagée sur une loi naturelle (cosmique, ontologique ou divine), la source de validité réside dans l’homme[16]. Quelle figure de l’humanité ? Une humanité sans qualité, susceptible de perfectibilité, de substituer à la nature la culture, c’est-à-dire de ne pas rester fixée dans une détermination. Or, si l’homme est possibilité de se déterminer, si tel est le sens de sa liberté, alors les déterminations héritées ne sauraient être que provisoires et non péremptoires. De plus, comme l’avait perçu Tocqueville, le fait générateur de la démocratie moderne est la marche de « l’égalité des conditions », avec pour conséquence l’individualisme et le règne illimité de la concurrence entre semblables[17].
La démocratie moderne, pour libérer l’individu dans cette concurrence, suppose la distinction société civile/État. Cela implique que le référent des droits soit l’individu, et non une quelconque communauté de vie (religieuse ou ethnique), de sorte que l’État ne saurait prendre parti parmi les projets d’existence. La société démocratique s’oppose à l’idée de fusion communautaire[18]. Cela implique encore l’autonomie de la sphère économique, bien que l’État doive veiller à la régulation du marché. La société démocratique est structurellement divisée, conflictuelle, en crise perpétuelle. Comme le soutient Ricœur : « À cet égard, il est vain – quand il n’est pas dangereux – d’escompter un consensus qui mettrait fin aux conflits. La démocratie n’est pas un régime politique sans conflits, mais un régime dans lequel les conflits sont ouverts et négociables selon des règles d’arbitrage connues[19]. » L’unité ne peut être que latente et toujours à différer – le totalitarisme étant la tendance à dédifférencier la société civile et l’État, et à imposer trop tôt une unité rêvée.
Si la société démocratique repose sur l’individu, un individu délié mais libre de se relier, faut-il encore que cet individu soit ! Or l’adolescence est précisément ce processus d’individualisation propre aux démocraties modernes. Si le phénomène pubertaire est universel, l’adolescence ne l’est pas. Certes, la puberté est prise en charge symboliquement dans toutes les sociétés, souvent avec des rites de passages, des transmissions de savoir et des rôles assignés. En revanche, seules les démocraties modernes requièrent, à partir du phénomène pubertaire, une adolescence comme processus d’individualisation. Le risque de totalisation hâtive au plan politique qui menace les démocraties se traduit au plan personnel comme tentation biographique face à tout blocage dans le processus d’individualisation.
Radicalement adolescent
Tant au plan du développement[20] que de l’histoire du sujet[21], l’adolescence marque la sortie de l’enfance et le passage à l’âge adulte, selon un processus de séparation-individuation. Or l’adolescence n’est pas seulement typique des démocraties libérales, elle leur est consubstantielle, en tant que production sociale de « l’individu » à partir du pubertaire.
Pour libérer l’individu, il a fallu constituer un espace intermédiaire entre la famille et l’État auquel correspond un temps intermédiaire d’individuation. Au plan éthique, cet intermède consiste à devoir répondre à l’injonction paradoxale de se produire soi-même. Il n’est ainsi pas surprenant que l’adolescence soit un temps de crise, d’indétermination de la volonté et donc aussi occasion du mal.
L’adolescence : libération d’un individu
esclave de sa liberté
Pour Hegel, l’individu s’entend à la fois comme moment abstrait de la personne juridique – dimension objective de l’extériorisation des volontés – et comme moment de la subjectivité morale, capable d’universaliser les maximes de son action[22]. L’individu est libre, dans la mesure où il se détermine, où il peut reprendre ses déterminations antérieures et se déterminer autrement, poser une nouvelle détermination à laquelle il s’enchaîne. Dès lors, il ne peut advenir qu’en se séparant, se poser qu’en s’opposant à la substance familiale. Quittant l’en-soi de la famille, il est jeté dans le pour-soi de la société civile[23]. Les parents, déjà objectivés dans leurs rôles, sont essentialisés et disparaissent, pendant que l’adolescent, recueillant cette essence, la reprend sur lui, autrement[24]. Mais si l’individu est libéré de la famille, c’est pour s’insérer dans le deuxième pilier de la société civile, les communautés ou groupements économiques et sociaux (les corporations) dans lesquelles il trouve une liberté concrète[25]. Cependant, si l’individu est seulement libéré de l’en-soi familial, il reste isolé et fragilisé : « Devenus fils de la société, ces individus en ont acquis et en gardent les besoins et les exigences : égalité économique, juridique et politique. Or à ces revendications, qui sont à la fois des droits pour l’individu et des devoirs pour la société, ne correspondent que des frustrations, une aliénation totale en matière de formation, de justice, d’hygiène et même de consolation religieuse [26]. »
Il nous semble que l’adolescence est précisément ce passage de la famille aux communautés sociales (surtout de travail, mais aussi les diverses associations et communautés d’intérêts) qui permettent une effectuation de la liberté. Par suite, il convient de souligner que si l’adolescence est la détermination de soi par soi, c’est-à-dire l’effectuation de la liberté, d’une part, ce travail du négatif n’opère pas à partir de rien, mais en s’opposant à la substance familiale et, d’autre part, ce travail du négatif implique une négation seconde, un « se déterminer » positif, à travers l’insertion dans les communautés de la société civile. Autrement dit, l’individu n’est pas libéré de rien pour rien et, si passage à vide il y a, il est le mouvement même de la liberté dans son auto-déploiement, ce qui implique des déterminations.
Cependant, ce schéma, s’il est rationnel et recueille le sens de l’effectif, est spéculatif. Que faut-il penser, à partir de la contingence historique, si la famille est elle-même sans substance et si l’individu libéré ne peut se déterminer à nouveau positivement, en s’insérant dans des communautés de travail ou sociales ? N’est-il pas sommé d’être un individu abstrait et indéterminé, esclave d’une liberté au coût exorbitant ?
Les paradoxes constitutifs de l’adolescence
Dans le moment objectif de la personne juridique, reconnu à tout être humain, il convient de ressaisir l’adolescence comme moment éthique de l’injonction de s’inventer soi-même : quelle personne serai-je parmi toutes ces personnes si proches ou anonymes ? Cette injonction trouve ses conditions au plan psychologique et social. Et cette injonction est à chaque fois un paradoxe à assumer, presque impossible.
Au plan du développement psychologique, l’adolescence est perçue comme un mouvement de séparation-individuation de l’enfant à l’égard des parents, prenant en charge la problématique pubertaire[27]. L’adolescent est la fin de la néoténie : il lui est désormais possible de satisfaire biologiquement les fantasmes interdits (meurtre du père, inceste de la mère)[28]. Ce jeu du possible/impossible est un moment de la détermination individuelle. En raison de cette possibilité transgressive, il doit déplacer ses investissements libidinaux de ses parents vers d’autres que ceux-ci[29]. Il doit se séparer mais ne le peut encore : l’adolescence est donc un moment de crise.
Au plan social, les sociétés démocratiques sont travaillées par le vide de légitimité des traditions et des rites qui assignent des rôles dans le groupe et la communauté : celles-ci sont renvoyées à leur absurdité face à la critique rationnelle. Entre l’État et l’individu, il est difficile de reconnaître une validité universelle et donc une légitimité à une quelconque communauté autre que fonctionnelle. L’adolescent est ainsi confronté à l’absence de rites de passage officiels. La période adolescente s’est allongée, devenant toujours plus indéterminée, entre une préadolescence et une « adulescence [30] », outre le fait que la « jeunesse » elle-même est une valeur sociale, à laquelle sont assignés à demeure même les plus vieux[31]. Dès lors, le paradoxe de s’inventer soi-même devient une invention sans fin à partir de référents précaires, constamment renouvelés et consommés, et réappropriés par ceux contre qui précisément il convient de s’opposer pour se poser ! Les paradoxes sociaux sont les suivants : l’injonction d’autonomie est contradictoire avec la dépendance aux parents et aux institutions sociales ; l’invention du mode de vie sui generis s’opposant aux modèles parentaux est contradictoire avec le fait que ceux-ci, dépassés par les changements technologiques et sociaux, imitent les modèles adolescents[32].
Conditionnée par le développement pubertaire et son indétermination sociale, l’adolescence est fondamentalement un moment éthique[33]. Elle est le premier moment réflexif au plan de l’identité narrative, c’est-à-dire la reprise par soi d’une histoire écrite d’abord par d’autres. Plus encore, l’adolescent se trouve face au devoir d’acquitter une dette impossible : celle de la vie donnée, qu’il n’a pu se donner à lui-même[34]. Dès lors, l’injonction d’autonomie ne s’édifie qu’à partir d’une hétéronomie radicale. Ce paradoxe éthique, l’adolescence en est la traversée.
L’injonction de s’inventer soi-même distribue donc son paradoxe constitutif, logiquement, au plan de la personne – l’individu – et au plan de la collectivité politique – la démocratie. Ce paradoxe demande à être assumé comme enjeu éthique : se placer en lui pour maintenir ouvertes les déterminations. L’autonomie s’entend comme un programme personnel et collectif, elle n’advient réflexivement qu’à partir d’hétéronomies[35]. En revanche, si le paradoxe ne peut être assumé, la tentation est celle des totalisations forcées[36].
De la banalité du mal-être à la banalité du mal
Dans la personnalité juridique, objective, égale, où chacun équivaut à un autre, l’adolescence correspond, psychologiquement, socialement et éthiquement au moment subjectif d’auto-détermination de la volonté. Or, pour se déterminer soi-même, il faut pouvoir s’opposer à des déterminations antérieures et se déterminer autrement. Le travail du négatif adolescent peut mieux se comprendre à l’aune des §5 et §140 des Principes de la philosophie du droit.
Au §5, introductif aux Principes, le « fanatisme » ne tient pas à une pathologie de la raison mais à une potentialité inhérente à la volonté. Cette dernière, en principe, est possibilité de se déterminer et de reprendre sur soi cette détermination. Dans le fanatisme, au contraire, la volonté reste indéterminée ; elle se veut elle-même abstraitement. La « liberté du vide [37] » ne devient fanatique que si elle se tourne vers l’effectivité, s’attaquant à toutes les différences (qui supposeraient des déterminations) pour rester pure volonté. « C’est un renversement de la volonté qui ne veut rien en volonté qui veut le rien [38]. »
Cependant, si la liberté du vide peut s’égarer, elle est d’abord un moment de la liberté : elle est liée à la subjectivité morale telle qu’elle advenue avec la modernité. Le §140 des Principes de la philosophie du droit développe ce côté subjectif, cette intériorité dans le côté objectif des personnes juridiques. Elle correspond à la morale kantienne : la validation par soi-même des maximes de ses actions en leur faisant passer une épreuve d’universalisation. Or, non seulement cette morale reste pour Hegel abstraite – il faudra la Sittlichkeit pour que la liberté soit concrète –, mais cette liberté est surtout l’occasion du mal radical[39]. Autrement dit, il est deux écueils de la liberté : ou bien une passion subjective de l’abstrait qui détruit toutes les médiations antérieures en les soumettant à la loi du cœur (quand Hegel critique Kant), ou bien le refus de penser la justification des maximes d’action – ce refus de penser assurant le passage du mal radical à ce qu’Arendt a dénommé la « banalité du mal » (quand Kant critiquerait Hegel). C’est cette faillibilité de la liberté qui saisit l’individu moderne et, à plus forte raison, l’adolescent, comme personne à laquelle incombe l’advenue d’une subjectivité morale.
Autrement dit, s’il est un âge où la liberté du vide a l’occasion de s’abîmer dans l’effectivité, c’est bien l’adolescence, sous les figures symétriques du révolutionnaire, qui érige sa volonté en absolu contre l’ordre préétabli, ou du conformiste grotesque qui refuse de penser et applique bêtement les consignes, potentiellement mortifères, de son groupe.
La démocratie est le régime
du déficit d’imaginaire politique, laissant chacun imaginer sa vie.
À l’étude des cas d’adolescents radicalisés, il apparaît que, si rares sont ceux qui ont des pathologies psychiatriques, la plupart ont des fragilités psychologiques, tenant à des carences familiales, à des étayages éducatifs défaillants, avec souvent des vécus abandonniques, de stigmatisation, et une rupture dans les transmissions culturelles[40]. Or la démocratie libérale ne peut assurer un relais satisfaisant à ces carences familiales. Pis, elle contribue aux désaffiliations et ajoute même une invalidation des transmissions culturelles. Le cadre abstrait des institutions laisse libre cours aux stigmatisations sociales, ferments de haine et de replis identitaires imaginaires. Au vide de fondation des démocraties répond le vide des adolescents : absence de repères et d’idéal[41]. La démocratie est le régime du déficit d’imaginaire politique, laissant chacun imaginer sa vie. Comment assumer ce vide, au moment où l’adolescent est soumis à l’injonction d’être soi ? C’est à ce point que le mal-être rencontre l’imaginaire djihadiste : il suture la plaie d’être soi. Et si tous les adolescents en danger ne sont pas des terroristes, ceux qui sont isolés, ceux qui ont pu être dénommés des « perdants radicaux [42] », qui ne trouvent pas un groupe de pairs, fût-il délinquant, peuvent rencontrer comme dernière communauté d’accueil possible celle des terroristes, outre que cette communauté est également virtuelle.
L’offre djihadiste sur le marché
de l’imaginaire politique
L’imaginaire terroriste – dont l’une des occurrences actuelles est le « djihadisme » – est une tentation idéologique propre aux démocraties libérales. Les régimes totalitaires cherchent à totaliser ce « tas » d’individus isolés en une masse susceptible d’être mise en mouvement au service d’une idée. Inversement, cette idée trouve, dans les démocraties, des individus isolés susceptibles de mourir en son nom contre l’ensemble de la société.
L’idéologie djihadiste : un imaginaire totalitaire
L’imaginaire djihadiste lie principalement les concepts de djihad, takfir, shahid, et un discours apocalyptique (la venue imminente du Mahdi). Cet imaginaire est presque une perversion de la réduction transcendantale des trois termes de la corrélation : ego, alter ego, monde. Par le martyre (shahid), le moi, en quête de pureté, paradoxalement se dissout, mais contre-signe son moi imaginaire. Par l’anathème (takfir), l’autre est rejeté dans l’impur, ce qui justifie de le combattre (djihad) pour le détruire[43]. Par l’apocalypse, la contingence du monde est subordonnée à l’imminence d’un ordre supérieur, celui de Dieu, justifiant le rejet des médiations existantes.
Se retrouvent dans cette idéologie – logique d’une Idée – les invariants structurels de tout imaginaire mortifère, tenant à l’identité, à la pureté et à la sécurité[44].
D’abord, la dimension identitaire est liée au marquage des différences, de sorte que l’autre, si semblable, doit être posé comme absolument différent – au sens étymologique de séparé, détaché[45]. Cette dimension identitaire, qui essentialise les différences, au point d’instituer des incommensurabilités, permet aussi d’assurer la répétition du modèle essentialisé – puisqu’il ne saurait y avoir de répétition que là où il y a substance[46]. D’un côté, les élus – avec leurs signes –, de l’autre, les damnés – avec leurs signes. Peu importe que le modèle imaginaire, le mythe, soit prospectif (l’homme nouveau[47]) ou rétrospectif (le Califat[48]), c’est lui qu’il faut reproduire à la lettre.
Ensuite, à la dimension identitaire s’associe le motif de la pureté. « La volonté identitaire, qui se construit sur le rejet d’un Autre “différent” exprime au fond ce désir régressif d’une unité parfaite […] Le désir fusionnel de l’Un avec l’Un ou du Soi avec Soi interdit toute velléité de discussion et de compromis [49]. » La pureté/impureté vient donc redoubler l’identité/différence, d’une part, en accentuant l’essentialisation et, d’autre part, en visant les autres comme ennemis. Cela permet aussi l’inférence de la catégorisation descriptive, « nous »/« eux », à celle déontique de l’agir purificateur « nous contre eux ». À ce point, très souvent, l’ennemi désigné est exclu de l’humanité, ce qui facilite la levée de l’interdit du meurtre.
Lorsque l’imaginaire de haine est porté à ses plus fortes tensions, la résolution de celles-ci nécessite le passage à l’acte meurtrier. Or c’est en ce point que la corrélation entre exclusion-élimination de l’autre (takfir) et le martyre (shahid) se manifeste. Le martyr, témoin de l’Idéal, s’inscrit donc dans une chaîne de transmission de témoignages. Les comportements extrêmes ne deviennent acceptables que grâce à une communauté de vie et d’interprétation : elle seule lui donne sens, réinscrit l’acte du fidèle dans une tradition et en recueille les bénéfices symboliques. Le martyr a pour la communauté religieuse une fonction essentielle : il l’assure de sa vérité et est la preuve visible de l’existence de Dieu[50]. Dès lors, l’acte du combattant (moudjahid), qui peut aller au martyre (shahid), pourra s’inscrire dans la « néo-oumma », une communauté imaginaire d’affidés, la renforcer et la valider. Le groupe se monumentalise par l’élimination de ses ennemis ; il se certifie par la réception de ses martyrs élus.
Enfin, s’ajoute à cette polarisation celle d’un monde présent dévalué, à l’aune d’un imaginaire apocalyptique. Avec l’eschaton, si le temps qui vient, de façon imminente, est le dernier, alors il justifie le rejet des compromis, pour être du côté des élus contre les damnés[51]. L’action terroriste se place sous le temps de l’urgence, de la présence d’un avenir contre le présent, qui invite à le détruire, soit pour restaurer un passé glorieux, soit au nom d’une utopie future, et revendique ainsi la souveraineté absolue[52]. Or une politique rationnelle, telle qu’héritée de la modernité, suppose une neutralisation des attentes apocalyptiques : « Vidé de Dieu, le temps intermédiaire est à la charge des hommes [53]. » Plus encore, cet imaginaire apocalyptique renforce la division entre les élus (l’avant-garde) et les damnés.
Du vide à l’infini
Que ce soit au plan politique ou personnel, l’imaginaire totalitaire vise à conjurer les divisions, l’isolement, les contradictions intérieures et le vide de fondement. À cet égard, la catégorie des koufar (ceux qui sont rejetés de Dieu) constitue le moteur même de l’idée totalitaire djihadiste : pour assurer l’unité, elle projette sur l’extérieur les divisions internes à la communauté, produisant l’Autre comme réserve incessante d’ennemis[54]. À l’instar des régimes nazi ou bolchevik qui avaient besoin du « juif » ou du « bourgeois » comme ennemis objectifs, les djihadistes ont besoin du mécréant/apostat. Pour produire l’ennemi, les djihadistes usent de la doctrine al-walâ’ wa al-barâ’ (la loyauté et le désaveu), qui assure cette différenciation absolue entre les uns et les autres[55]. Elle compose aussi avec la notion de takfîr (qui recouvre l’excommunication et l’anathème), qui permet de dénoncer l’autre comme apostat (ridday) ou mécréant (kafir), assurant sa mise en dehors de la religion authentique. Or les communautés djihadistes – en tant qu’uniques communautés authentiques – se considèrent seules aptes à décider qui est mécréant et qu’il est donc légitime de tuer. La délimitation de la catégorie des mécréants est extensible ad nutum, puisque nul n’est jamais assez pur : juifs, croisés, chiites, autres musulmans, etc. Mais cette même logique invite à suspecter que des mécréants se dissimulent aussi parmi ses propres rangs, risquant une contamination, ce qui génère une défiance permanente et retourne la lutte contre soi.
Au plan politique, cette logique totalitaire, qu’elle prenne la forme d’un État, sous le nom du Califat ou de l’État islamique (Dawla) avec un territoire, un gouvernement et un peuple, ou davantage d’une structure réticulaire (al-Qaïda), s’attaque aux principes de la démocratie libérale. S’il n’est de souveraineté que d’Allah, la souveraineté du peuple est idolâtrie (taghut). Elle refuse les compromis et la logique du principe majoritaire[56], entend déterminer le pouvoir par la loi de Dieu, faire primer l’appartenance religieuse sur tout concept de citoyenneté[57]. Elle répudie les divisions (fitna), l’égalité des conditions et l’autonomie de la personne, en supprimant la distinction de l’État et de la société civile.
Au plan personnel, cette logique totalitaire est particulièrement séduisante pour l’adolescent, bloqué dans son processus d’individualisation-séparation, perdu dans ses généalogies et transmissions culturelles. « Le djihadisme est un acte de “recouvrement d’identité”, d’unification de soi, dans une société où l’identité est multiple (dimension positive) mais aussi éclatée (dimension négative)[58]. » Cette logique totalise les réponses aux dérélictions existentielles, particulièrement vives au moment adolescent. Le vide identitaire est comblé par une nouvelle identité valorisée. L’adolescent se choisit un nom (kunya), qui le rattache à la communauté virtuelle des djihadistes : il sera élu. L’aspiration à la mort sur « les chemins de Dieu » peut alors être considérée comme la meilleure façon de quitter la vie – d’autant que ce n’est pas vraiment la quitter, mais la purifier devant Dieu et acquérir le statut de héros au sein de sa nouvelle communauté d’interprétation[59]. Il s’agit d’un processus d’individualisation qui répond à l’injonction moderne de s’inventer soi-même. Lui/elle, le stigmatisé, l’exclu, le perdant, trouve une singularité dans la mort glorieuse, décidant de son histoire : il/elle sera une « star négative » dont les enregistrements audiovisuels et les déclarations des affidés assureront une mémoire magnifiée[60].
L’injonction paradoxale de s’inventer soi-même, dans le déficit d’imaginaire des démocraties libérales, exige de chacun de se prendre en charge, dans la concurrence des projets et des héritages démonétisés. Cependant, tous n’ont pas les moyens de s’inventer ou de résoudre sur un plan biographique la contradiction de la pluralité des rôles assignés. Pour nombre d’entre eux – par exclusion sociale, culturelle et économique –, rien n’est possible. Dans ces conditions, comment ne pas être séduit par les doctrines du « tout est possible ». L’imaginaire djihadiste devient alors une utopie salutaire qui, par les promesses d’une communauté virtuelle, peut se croire en cours de réalisation.
Les attentats en série qui ont frappé les démocraties libérales ont rendu chimérique la généralisation de l’éthique de la discussion : le cadre réglé d’un échange d’arguments raisonnables avec des révisions possibles ne peut désormais oublier que certains refusent la discussion et prônent la violence comme mode d’action politique[61]. Jürgen Habermas pouvait se demander si sa théorie n’était pas caduque après le 11 septembre[62]. Il serait naïf, voire coupable, de ne pas faire la guerre à des régimes totalitaires, de ne pas surveiller et lutter contre leurs ramifications. Cependant, les réponses sécuritaires ne sauraient suffire. La démocratie est critique ou n’est pas. Dès lors, il convient d’écouter les motivations des jeunes français, d’horizons divers, souhaitant faire leur hijra et le djihad et mourir en martyrs. Si la démocratie libérale et l’adolescence se conditionnent l’une l’autre, et si les tentations totalitaires se manifestent aux plans individuel et collectif, alors il faut saisir ce mal-être adolescent comme symptôme du malaise collectif.
La confiance qu’une société a d’elle-même se mesure à la clémence ou à la sévérité de ses réponses à la transgression de ses valeurs[63]. Dans nos sociétés, règnent manifestement la défiance et la peur. Or, lorsqu’il s’agit d’adolescents ou de jeunes adultes, à la personnalité en construction, qui ont été séduits par l’idéologie djihadiste, est-ce que la démocratie libérale ne devrait pas les aider à se ré-affilier, à exercer une pensée critique, à se déterminer autrement, plutôt que de les enfermer et les maintenir dans le statut d’exception – une exception tant recherchée – et, obérant le processus d’individualisation, les recoder et les surveiller, avec un peu de contrainte et un peu de psychologie, pour que les « lions » fassent de nouveau partie du troupeau de moutons ? Si le moment de vide radical n’est pas assumé pour être dépassé et repris, s’il est enclos, il deviendra dangereux, contre soi et les autres. Se pourrait-il que le terrorisme soit la mise en intrigue interminable de la démocratie ?
[1] - Hans Blumenberg, « Concept de réalité et théorie de l’État », dans Le Concept de réalité, trad. de l’allemand par Jean-Louis Schlegel, préface de Jean-Claude Monod, Paris, Seuil, coll. « Traces écrites », 2012, p. 84.
[2] - Jacques Derrida, « Auto-immunités, suicides réels et symboliques », dans J. Derrida et Jürgen Habermas, Le « Concept » du 11 septembre. Dialogues à New York (octobre-décembre 2001) avec Giovanna Borradori, Paris, Galilée, 2004, p. 162-163.
[3] - Farhad Khosrokhavar, Radicalisation, Paris, Maison des sciences de l’homme, coll. « Interventions », 2014, p. 19-20.
[4] - Xavier Crettiez et Romain Sèze (sous la dir. de), Bilel Ainine et Thomas Lindemann (chercheurs), « Saisir les mécanismes de la radicalisation violente : pour une analyse processuelle et biographique des engagements violents », Rapport de recherche pour la Mission de recherche Droit et Justice, www.gip-recherche-justice.fr, avril 2017, p. 8-22 et p. 140-143.
[5] - Jean Pradel, Histoire des doctrines pénales [1989], Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1991, p. 72-86.
[6] - Mireille Delmas-Marty, Libertés et sûreté dans un monde dangereux, Paris, Seuil, 2010.
[7] - Olivier Roy, Le Djihad et la Mort, Paris, Seuil, 2016, p. 9 : « Le djihadisme est, du moins en Occident, un mouvement de jeunes, qui non seulement se construit en dehors des références religieuses et culturelles des parents, mais est inséparable de la “culture jeune” de nos sociétés. »
[8] - H. Blumenberg, La Raison du mythe, trad. de l’allemand par Stéphane Dirschauer, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 2005, p. 75.
[9] - Emmanuel Kant, « Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ? » [1784], dans Œuvres philo-sophiques, t. II, édition sous la direction de Ferdinand Alquié, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1985, p. 209-210.
[10] - Philippe Gutton, Adolescence et djihadisme, Bègles, L’Esprit du Temps, 2015, p. 8.
[11] - Ibid., p. 59.
[12] - J. Habermas, Droit et Morale. Tanner Lectures (1986), trad. par Christian Bouchindhomme et Rainer Rochlitz, Paris, Seuil, coll. « Traces écrites », 1997, p. 72.
[13] - Claude Lefort, L’Invention démocratique [1981], Paris, Fayard, 1994, p. 92.
[14] - Éric Weil, « Tradition et traditionalisme » [1953], dans Essais et conférences, t. II, Paris, Vrin, 1991, p. 21.
[15] - Marc-Olivier Padis, « À la poursuite du paradoxe politique », Esprit, mars-avril 2006.
[16] - C. Lefort, L’Invention démocratique, op. cit., p. 65 : « C’est donc un tout autre mode d’extériorité au pouvoir qui s’instaure, dès lors qu’il n’y a plus de point d’attache du droit. Cette dernière formule peut paraître outrancière. Un nouveau point d’attache est fixé : l’homme. »
[17] - Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t. I, Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1986, p. 38 et 41, et t. II, p. 139-142.
[18] - C. Lefort, L’Invention démocratique, op. cit., p. 76.
[19] - Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 302.
[20] - Ph. Gutton, Le Pubertaire, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2013, p. 11-12.
[21] - Paul Audi, Au sortir de l’enfance, Lagrasse, Verdier, 2017, p. 36-38.
[22] - Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Principes de la philosophie du droit [1940], édition critique établie par Jean-François Kervégan, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2013, §33, p. 179 et §105, p. 259.
[23] - Ibid., § 175, p. 339, §181-182, p. 347-350 et §238, p. 400-401.
[24] - G. W. F. Hegel, Phénoménologie de l’Esprit, trad. par Gwendoline Jarczyk et Pierre-Jean Labarrière, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 1993, p. 433-434.
[25] - G. W. F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, op. cit., §249-250, p. 409-410.
[26] - André Lécrivain, Hegel et l’éthicité. Commentaire de la troisième partie des Principes de la philosophie du droit, Paris, Vrin, 2001, p. 86.
[27] - Ph. Gutton, Le Pubertaire, op. cit., p. 45 : « Le pubertaire est tout l’inverse d’un mouvement de séparation […] La séparation est un travail d’adolescens. »
[28] - Michèle Emmanuelli, L’Adolescence, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 2016, p. 35 : « La puberté constitue un temps où les fantasmes infantiles acquièrent, après-coup, un potentiel traumatique : inceste et meurtre parental prennent un caractère de proximité qui rend leur seule évocation angoissante. »
[29] - Ph. Gutton, Le Pubertaire, op. cit., p. 53 : « Les modalités de l’inadéquation (incestueuse) de l’objet parental forment une étape obligée où s’élabore l’adéquation de l’enfant à la sexualité adulte ; le partenaire inadéquat permet la représentation de l’éprouvé pubertaire nécessaire à sa négociation seconde (refoulement-désexualisation). »
[30] - David Le Breton, Une brève Histoire de l’Adolescence, Paris, Jean-Claude Béhar, 2013, p. 7 et p. 69.
[31] - Ibid., p. 71.
[32] - M. Emmanuelli, L’Adolescence, op. cit., p. 17.
[33] - P. Audi, Au sortir de l’enfance, op. cit., p. 78.
[34] - Ibid., p. 70.
[35] - P. Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit., p. 321.
[36] - P. Ricœur, Le Conflit des interprétations. Essais d’herméneutique, préface de Jean Greisch, Paris, Seuil, 1969, p. 339 : « Le mal vraiment humain concerne les synthèses prématurées, les synthèses violentes, les courts-circuits de la totalité. »
[37] - G. W. F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, op. cit., §5, p. 153-154.
[38] - Philippe Soual, Le Sens de l’État. Commentaire des Principes de la philosophie du droit de Hegel, Louvain, Peeters, coll. « Bibliothèque de philosophie de Louvain », 2006, p. 43.
[39] - G. W. F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, op. cit., §140, p. 295-312.
[40] - Abdessalem Yahyaoui, « Stigmatisation, vulnérabilité psychologique et risque d’affiliation extrémiste », dans A. Yahyaoui (sous la dir. de), L’Adolescence à l’épreuve de la stigmatisation. Aux sources de la radicalisation, Paris, In Press, 2017, p. 77.
[41] - Ph. Gutton, « Bref essai afin de penser la transgression adolescente », dans ibid., p. 133-135.
[42] - Hans Magnus Enzensberger, Le Perdant radical. Essai sur les hommes de la terreur, trad. de -l’allemand par Daniel Mirsky, Paris, Gallimard, 2006, p. 19.
[43] - Mathieu Guidère, La Guerre des islamismes, Paris, Gallimard, coll. « Folio actuel », 2017, p. 67-81.
[44] - Jacques Sémelin, Purifier et Détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2005, p. 26.
[45] - Ibid., p. 46-47.
[46] - H. Blumenberg, La Légitimité des Temps modernes, trad. de l’allemand par Marc Sagnol, Jean-Louis Schlegel et Denis Trierweiler, avec la collaboration de Marianne Dautrey, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 1999, p. 18 : « Il n’y a de répétitions, de recouvrements et de dissociations, mais aussi de travestissements et de dévoilements que là où la catégorie de substance domine la compréhension de l’histoire. »
[47] - Philippe Buc, Guerre sainte, martyre et terreur. Les formes chrétiennes de la violence en Occident, trad. de l’anglais par Jacques Dalarun, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 2017, p. 98 et p. 111-112.
[48] - Nabil Mouline, Le Califat. Histoire politique de l’islam, Paris, Flammarion, coll. « Champs histoire », 2016, p. 138-145.
[49] - J. Sémelin, Purifier et Détruire, op. cit., p. 52.
[50] - Antoine Courban, « Martyr(e). Témoin de vie ou témoin de mort ? », Topique, no 113, 2010, p. 57-71.
[51] - Norman Cohn, Les Fanatiques de l’apocalypse. Courants millénaristes révolutionnaires du xie au xvie siècle [1957], trad. de l’anglais par Simone Clémendot, Bruxelles, Aden, 2011, p. 9-10.
[52] - Ph. Buc, Guerre sainte, martyre et terreur, op. cit., p. 109-110.
[53] - M. Fœssel, Après la fin du monde. Critique de la raison apocalyptique, Paris, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2012, p. 40.
[54] - C. Lefort, L’Invention démocratique, op. cit., p. 166.
[55] - Sabrina Mervin, Histoire de l’islam. Fondements et doctrines [2000], Paris, Flammarion, coll. « Champs histoire », 2016, p. 222 : « Il s’agit, d’un côté, de prêter allégeance ou de s’associer à une communauté et, de l’autre, de rompre ou de se dissocier d’une autre communauté. Ainsi, dans les djihadistes, les (vrais) croyants se doivent une solidarité totale alors que les “impies” doivent se soumettre à la communauté ou être combattus. »
[56] - Alberto Toscano, Le Fanatisme. Modes d’emploi [1934], Paris, La Fabrique, 2011, p. 11.
[57] - Dominique Colas, Le Glaive et le Fléau. Généalogie du fanatisme et de la société civile, Paris, Grasset, 1992, p. 312.
[58] - F. Khosrokhavar, Radicalisation, op. cit., p. 94.
[59] - Emmanuel Gratton et Claudine Combier, « L’adolescence face à la tentation de la radicalisation : quand l’idéal prend le visage de la haine », dans A. Yahyaoui (sous la dir. de), L’Adolescence à l’épreuve de la stigmatisation, op. cit., p. 117.
[60] - F. Khosrokhavar, Radicalisation, op. cit., p. 27-28.
[61] - Céline Spector, Éloges de l’injustice. La philosophie face à la déraison, Paris, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2016, p. 223 sqq.
[62] - J. Habermas, « Fondamentalisme et terreur », dans J. Derrida et J. Habermas, Le « Concept » de 11 septembre, op. cit., p. 53 sqq.
[63] - G. W. F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, op. cit., §218, p. 385.