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Italie : le retour des démo-chrétiens ?

janvier 2012

#Divers

Après l’annonce, début décembre, du plan de rigueur du gouvernement Monti, les réactions en Italie ont été nombreuses. Certains ont lancé des appels à la grève1, d’autres se sont résignés à des efforts qu’ils pensent nécessaires, d’autres encore regrettent peut-être secrètement le « bon vieux temps » berlusconien du laisser-faire. La revue italienne Micromega, dirigée par Paolo Flores d’Arcais, a pour sa part choisi une cible bien précise, et une mesure particulière du plan de rigueur : le rétablissement de l’imposta comunale sugli immobili (Ici), taxe foncière que Berlusconi avait abolie, et dont le Vatican, malgré la politique d’austérité en cours, continuera à être exempt. La pétition a recueilli en quelques jours plus de 100 000 signatures, et a donné lieu à des déclarations du Vatican comme du gouvernement qui laissent entrevoir une possible disparition de cette situation d’exception.

Micromega n’en est pas à sa première croisade contre l’Église et la collusion du pouvoir religieux et du pouvoir politique en Italie, mais cette attaque, faite à ce moment précis contre un gouvernement technique où les catholiques « institutionnels » sont bien représentés, signale un retour de la question religieuse dans la politique italienne. Bien sûr, celle-ci n’a jamais disparu – ne serait-ce que du fait de l’inévitable proximité géographique du Vatican et de la capitale politique du pays – mais Berlusconi, là comme dans d’autres domaines, avait fait bouger les lignes. Le gouvernement Monti semble aujourd’hui incarner un modèle plus classique d’association entre le religieux et le politique, qui serait celui de la Démocratie chrétienne, disparue en 1994, après l’opération Mains propres.

L’harmonie retrouvée entre l’Église et le gouvernement

Le Saint-Siège, pendant longtemps, s’est plutôt bien accommodé de Berlusconi et de ses gouvernements successifs. L’ex-président du Conseil, lors de sa réélection en 2008, s’était rendu au Vatican et avait déclaré que « la politique [de son] gouvernement visait à satisfaire le pape et l’Église ». Ces derniers temps, cependant, l’accumulation des affaires de mœurs avait beaucoup heurté dans les rangs de l’Église qui, sans se désolidariser complètement du chef du gouvernement, avait néanmoins à plusieurs reprises appelé à une « moralisation » de la vie politique. Le 17?octobre 2011, le forum des associations catholiques réuni à Todi s’est même conclu par un appel à un changement de gouvernement. On serait donc tenté de dire qu’avec l’arrivée du gouvernement Monti, l’Église voit ses vœux enfin exaucés.

De nombreux membres du gouvernement sont en effet, outre de fervents catholiques, ce qui est de l’ordre de leur vie privée, des représentants plus ou moins directs d’institutions religieuses ou liées à l’Église. Le journal Il fatto quotidiano titrait ainsi, au moment de l’annonce des nominations du gouvernement Monti : « Universitaires, banquiers et catholiques ». Un gouvernement, en somme, à l’image du nouveau président du Conseil, économiste, ancien président de l’université privée Bocconi de Milan, commissaire européen, conseiller de Goldman Sachs, pratiquant catholique régulier. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’il ait choisi ses collègues parmi ses semblables. Toujours, du reste, avec le souci affiché de la compétence. Ainsi, la figure la plus emblématique de la réconciliation entre l’Église et le gouvernement est le nouveau ministre de la Coopération internationale, Andrea Riccardi, professeur d’histoire (spécialisé dans l’histoire de l’Église moderne et contemporaine) et fondateur de la communauté de Sant’Egidio, une communauté de laïcs qui s’est à plusieurs reprises illustrée dans des négociations internationales (en Algérie ou au Burkina Faso par exemple), par la promotion de la paix, la lutte contre la peine de mort… On pourrait également citer le ministre de la Culture, Lorenzo Ornaghi, président de l’Université catholique de Milan, ou Corrado Passera, ministre du Développement économique et des Transports, dont la carrière s’est déroulée majoritairement dans des institutions financières (Anton-Veneta, Intesa San Paolo) identifiées comme catholiques.

La fin de la deuxième République ?

De manière générale, le profil des membres du nouveau gouvernement se veut rassurant : il s’agit d’hommes et de femmes qui ont des valeurs, des principes, qui n’ont pas peur de prendre des décisions difficiles pour le bien du pays, qui sont en somme l’exact opposé de ce qu’était Silvio Berlusconi. L’image du « professeur » Monti est d’ailleurs construite de manière totalement antithétique à celle de l’ancien président du Conseil, et rappelle davantage le débonnaire Romano Prodi, catholique de centre gauche (lui aussi surnommé Il professore, par opposition au Cavaliere Berlusconi). Sur le plan politique, cependant, cette évolution mérite d’être analysée. En effet, de nombreux observateurs ont vu dans la nomination de ce gouvernement technique (qui dépend cependant encore du Parlement et donc de l’ancienne majorité) la fin d’une époque, que l’on a appelée la « deuxième République ». Celle-ci – qui n’a jamais été codifiée, ni institutionnalisée, par exemple, par une nouvelle constitution – commence, au début des années 1990, après l’opération Mains propres qui a démantelé la Démocratie chrétienne (DC) et le Parti socialiste italien (Psi), juste après que la chute du mur de Berlin et de l’Urss a fait muter le Parti communiste italien (Pci). La deuxième République, en réalité, fut celle de Berlusconi, marquée par l’émergence d’une nouvelle forme de « culture » politique, mais également par la mise en place progressive (et encore toute relative) de la bipolarisation de la vie politique italienne, à travers la création de grands partis au centre droit (le Peuple des libertés) et au centre gauche (le Parti démocrate).

Or, que constate-t-on aujourd’hui ? Le centre gauche (PD) peine à rassembler, et demeure écartelé entre centristes et partis ou tendances de la gauche plus radicale (dont la personnalité montante est le président de la région des Pouilles, Nichi Vendola, du parti Sinistra ecologia e libertà) ; cet écartèlement est aussi institutionnel, puisque le PD a approuvé la nomination du gouvernement Monti, tout en critiquant certaines mesures du plan d’austérité qu’il a contribué à faire voter. Le centre droit (Pdl), quant à lui, s’est vu progressivement abandonné par un certain nombre de ses alliés : Gianfranco Fini, président de la Chambre des représentants et ancien d’Alleanza nazionale, a créé son mouvement, Futuro e libertà ; quant à la Ligue du Nord d’Umberto Bossi, elle s’est désolidarisée du Pdl en refusant de voter la confiance au nouveau gouvernement.

Face aux incertitudes des deux grands partis qui devaient faire entrer l’Italie dans la « modernité », on voit réémerger un pôle centriste (Terzo Polo) autour de Gianfranco Fini, Francesco Rutelli (ex-maire de Rome) et Pierferdinando Casini (président de l’Udc, l’Union du centre, héritière de la droite de la Démocratie chrétienne). Faut-il y voir une résurgence de la démocratie chrétienne qui a gouverné l’Italie pendant près de cinquante ans, après la Seconde Guerre mondiale ? Ce serait sans doute aller un peu vite en besogne. Reste que, devant ce gouvernement de « sages » sérieux et mesurés, devant l’aspiration à une voie moyenne défendue par les centristes, on ne peut s’empêcher de percevoir une forme de nostalgie, de désir d’oublier le berlusconisme et ses excès en se réfugiant dans des images rassurantes d’hommes politiques qui n’en sont pas vraiment, qui incarnent des valeurs plutôt que des idées, qui sont « des gens bien », savent l’importance du compromis, et veulent redonner au pays son calme et sa dignité. Une tentation qui n’existe pas que chez nos cousins transalpins…

  • 1.

    Les trois principaux syndicats italiens (Cisl, Cgil, Uil), unis par un même mot d’ordre, ont fait une grève de trois heures, assortie de manifestations conséquentes, le lundi 12?décembre 2011.

Alice Béja

Maîtresse de conférences à Sciences Po Lille, chercheuse au CERAPS-CNRS, Alice Béja est spécialiste de l’histoire culturelle et politique des Etats-Unis. Elle travaille sur les mouvements protestataires américains de la fin du XIXe et du premier XXe siècle ainsi que sur leurs représentations littéraires. Ancienne rédactrice en chef de la revue Esprit, elle a notamment publié Des mots pour se

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