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Écho de Vanasay Khamphommala
Écho de Vanasay Khamphommala
Flux d'actualités

Écho ou la renaissance

Vanasay Khamphommala, artiste trans franco-laotienne, livre avec Écho un spectacle total qui vous touche au cœur. À travers le mythe d’Écho, elle fait entrer le public dans sa propre intimité par le récit d’un chagrin d’amour.

Dans ce spectacle, il y a tout : une tombe, un pique-nique, des fleurs, des chips, du chant baroque, du texte, de la vidéo, Britney Spears, du lao, de l’anglais, de l’abandon, des retrouvailles, du rire, des cheveux longs, des poils, des corps vêtus, un corps nu, du mythe, des voix, du silence et bien des choses encore. Tout cela, ce fatras formidable, cette floraison de créativité, est tendu par une ligne claire, un sens qui vous happe comme une évidence : on peut survivre à un chagrin d’amour, on peut réécrire les histoires d’antan sans les trahir, les tuer sans leur faire mal.

Vanasay Khamphommala, artiste trans franco-laotienne qui avait déjà trouvé dans les mythes la source d’inspiration de son Orphée aphone, livre un spectacle total, un entre-deux jamais brouillon qui vous touche au cœur, jouant avec les genres et les médias. À travers le mythe d’Écho, privée de sa voix, privée de sa vie par un amour trop puissant, elle fait entrer le public dans sa propre intimité par le récit d’un chagrin d’amour qui l’habite depuis des années. Tandis que Vanasay/Écho se montre au public, sur scène, nue et muette, derrière elle sont projetées des images de journal intime filmé, des citations, des récits de ce qu’Écho traverse. Le dialogue est constant entre la peine irrépressible et unique que cause la perte de l’amour à celle qui la subit et le modèle mythique déployé dans l’écrit, le chant et l’image, qui veut que les femmes soient érigées en victimes de l’amour. Aimer, souffrir, disparaître. D’Écho à Anna Karénine, de Tosca à Britney, l’implacable récit se décline dans tous les genres. Mais le spectacle, justement, n’en reste pas là.

En contrepoint de la solitude d’Écho apparaît un groupe de personnages qui entraînent le public dans un pique-nique amusant, où les conversations se tissent autour d’un paquet de chips. Le drame du chagrin d’amour est adouci par une expression lao, Bo pen yang, « pas de problème », « pas de souci » – littéralement : « il n’y a rien ». Le baume du quotidien vient panser les plaies du mythe. Le théâtre et la performance se superposent en une succession de tableaux, une gamme de couleurs qui nous emmène du deuil à la renaissance. Nous ne sommes plus seul·es, alors, face au chagrin d’amour, nous pouvons en parler, le dire, retrouver les mots, renaître, comme Écho, à laquelle le spectacle finit par redonner la voix dans un duo magnifique entre Vanasay Khamphommala et Nathalie Dessay. Le contraste des corps et des voix qui habite tout le spectacle ne peut être rendu par le mot « diversité », que le langage politique semble avoir vidé de sa substance. C’est pourtant cela qui est en jeu aussi : montrer les mille corps et les mille voix qui sont habitées par la souffrance de l’amour, et qui, tous et toutes, peuvent en sortir.

Que l’on ne se méprenne pas ; malgré les références, l’érudition, Écho n’est pas un spectacle intellectuel. C’est une performance intelligente, émouvante, qui met la culture au service des émotions, celles de la dramaturge-performeuse comme celles du public. On rit, on pleure et, par la force de la mise en scène, on en vient à remettre en question des schémas profondément ancrés dans l’histoire de l’art occidental et du modèle patriarcal qui la sous-tend : pourquoi les femmes sont-elles toujours les martyres de l’amour ? Pourquoi les grandes amoureuses sont-elles souvent réduites au silence, tuées ? Pourquoi les femmes se sentent-elles responsables d’avoir été quittées ? En faisant renaître Écho, Vanasay Khamphommala ne nous démontre rien, elle nous fait ressentir l’injustice de ces récits en même temps que leur force. Elle nous donne, à toutes et à tous, la possibilité d’en construire de nouveaux. En somme, elle fait de l’art.

Représentations : Les Plateaux sauvages du 19 au 24 septembre, Théâtre Olympia – Centre dramatique national de Tours du 4 au 7 octobre, Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine du 18 au 22 octobre, Halle aux Grains de Blois les 6 et 7 décembre, Maison de la culture d’Amiens les 13 et 14 décembre.

Alice Béja

Maîtresse de conférences à Sciences Po Lille, chercheuse au CERAPS-CNRS, Alice Béja est spécialiste de l’histoire culturelle et politique des Etats-Unis. Elle travaille sur les mouvements protestataires américains de la fin du XIXe et du premier XXe siècle ainsi que sur leurs représentations littéraires. Ancienne rédactrice en chef de la revue Esprit, elle a notamment publié Des mots pour se