
Les Amazones. Quand les femmes étaient les égales des hommes (VIIIe siècle av. J.-C. – Ier siècle apr. J.-C.), d'Adrienne Mayor
Les Amazones ont-elles réellement existé ? Que se cache-t-il derrière la représentation que nous avons de ces femmes légendaires à travers les mythes grecs ? Adrienne Mayor mène une enquête historique passionnante sur les conditions de vie de celles qui ont inspiré les mythes. Elle montre qu’il a existé très tôt parmi les peuples scythes des guerrières nomades parcourant à cheval les steppes d’Eurasie. Elle s’interroge sur la manière dont ces femmes ont été perçues par les différentes cultures des contrées qu’elles ont traversées et où elles ont laissé leur empreinte.
Ce livre très précisément documenté se fonde sur les récits des premiers historiens, mais aussi sur les découvertes archéologiques récentes qui prouvent que des femmes guerrières ont bien existé : des femmes enterrées avec leurs armes et portant des traces de blessures au combat ont été retrouvées dans des tombes. En outre, l’utilisation des rayons infrarouges sur des corps momifiés a pu montrer qu’ils étaient couverts de tatouages, ce qui concorde avec l’image des Amazones telle qu’elle apparaît dans les peintures des vases grecs anciens. Confrontant par ailleurs les mythes grecs aux récits et aux légendes du Caucase, de la Perse, de l’Égypte ou encore de l’Inde ou de la Chine, l’auteure montre que les Amazones ont été nombreuses sur un large espace géographique. Cet ouvrage peut ainsi se lire comme une « encyclopédie amazonique » qui explore les coutumes et les mœurs de ces cavalières des steppes et suit le destin des plus célèbres d’entre elles, tout en soulignant les variations dans la manière dont elles ont frappé les imaginaires collectifs.
Si les Grecs ont su célébrer la beauté, la force ou le courage des Amazones, notamment à travers la peinture et la sculpture, ils sont aussi à l’origine d’un certain nombre de fausses croyances. Selon la plus célèbre d’entre elles, qui a survécu jusqu’à nos jours, les Amazones se coupaient un sein pour mieux tirer à l’arc. Les Grecs pensaient également que les Amazones estropiaient, abandonnaient ou même tuaient leurs enfants mâles. Ils ne pouvaient imaginer que des hommes valides acceptent d’obéir à des femmes. Il était de même inconcevable pour eux de penser des relations d’égal à égal avec des femmes. C’est pourquoi les Amazones dans les mythes sont de véritables héroïnes, à la fois séduisantes et fortes, mais qui connaissent invariablement une fin tragique. Parmi les plus connues, Hippolytè et Penthésilée meurent au combat et Antiope est faite prisonnière par Thésée qui en fera son épouse, ce qui l’obligera à renoncer à sa liberté. La mort glorieuse de Penthésilée transpercée par le javelot d’Achille à la fin de la guerre de Troie est plus ambiguë : une reconnaissance et un amour semblent presque possibles entre ces deux êtres. Achille, ôtant son casque à la belle Amazone qui vient d’expirer, découvre son visage et en tombe amoureux, mais cet amour vient trop tard et ne peut s’exprimer qu’à travers le regret.
Adrienne Mayor montre combien les relations entre les Amazones et les hommes sont différemment perçues selon les cultures et les traditions. Contrairement aux mythes grecs, les légendes caucasiennes, comme les récits provenant de Perse ou d’Asie, témoignent de nombreux rapprochements entre les sexes. Selon ces textes, il a existé des armées de femmes mais aussi des armées mixtes, et les combats se terminaient fréquemment par la victoire des Amazones. Ces récits mentionnent aussi de nombreuses alliances et histoires d’amour durables. Ainsi, par exemple, de l’histoire étonnante de la reine Serpot en Égypte, vers 665 avant J.-C. : le prince Pédikhons avait envahi son territoire, les deux armées commencèrent par se combattre, puis les deux héros, ayant décidé de s’affronter seuls durant toute une journée, finirent par tomber amoureux l’un de l’autre et conclurent une alliance. Cette histoire montre que les cultures de Perse et d’Égypte étaient capables d’imaginer une parité entre les genres dans l’amour et la guerre. L’histoire d’Hypsicratia, qui avait rejoint la cavalerie du roi du Pont, Mithridate, vers 67 avant J.-C., et qui devint son amie fidèle et son amante pendant toute sa vie, illustre le fait que les Amazones étaient capables d’attachement. Le désir – ou l’amour – semble cependant toujours lié à la reconnaissance de l’égalité entre les sexes. C’est ainsi que dans le folklore de l’Asie centrale, au moment du mariage, une épreuve, le kesh kumay, veut que le prétendant doive rattraper à cheval la jeune femme qu’il désire et lui voler un baiser. S’il échoue, elle lui donne un coup de fouet. Les hommes et les femmes s’affrontent par ailleurs régulièrement dans des épreuves de lutte à cheval, de tir à l’arc, de course et de voltige qui montrent le savoir-faire, la force et l’endurance des deux sexes. L’auteure conclut son encyclopédie amazonique en Chine, où plusieurs guerrières légendaires ou réelles comme la fille de Yue, Fue Hao, Jinding ou Mulan ont combattu à la tête d’armées composées d’hommes.
C’est donc à un véritable voyage de l’Europe à l’Asie que nous convie ce livre. À travers l’étude fouillée des découvertes archéologiques et de très nombreux témoignages, Adrienne Mayor parvient à redonner vie aux Amazones. Elle montre comment leur figure se réfracte à la surface des différents univers culturels et récits légendaires qui les magnifient tout en exprimant les craintes, les désirs et l’admiration des hommes. Se dégage ainsi l’idée que, dès l’Antiquité, une égalité entre les sexes a pu exister ou être pensée. La lecture de ce livre, qui nous confronte à la diversité des approches, nous invite finalement à nous interroger sur notre culture, héritière des Grecs et de leur point de vue sur les femmes. Saurons-nous trouver dans les autres perspectives qu’il ouvre sur les Amazones une nouvelle dynamique ?
Brigitte Breen